PRESQUE quatre ans après les accords d'août 2004 sur la chirurgie française, censés répondre au profond malaise d'une spécialité en crise de recrutement, la colère des chirurgiens resurgit de plus belle. Cette fois, deux syndicats de verticalité (les orthopédistes du SNCO et les viscéraux et digestifs du SNCVD qui fournissent les gros bataillons de chirurgiens, quel que soit leur mode d'exercice) montent au front.
Ils dénoncent, pêle-mêle, l' «acharnement» et les «amalgames» concernant les dépassements d'honoraires, la situation démographique très préoccupante ou encore les récentes décisions «incohérentes» sur le secteur libéral à l'hôpital. Autant de coups de canif portés à la chirurgie française qui n'attendrait plus que «le coup de grâce».
Les limites des centrales polycatégorielles.
«France, ta chirurgie fout le camp!»: le cri d'alarme des deux syndicats s'adresse en premier lieu au ministère de la Santé accusé d' «autisme».«La question du jour n'est plus “Par qui serez-vous opérés demain ?”(slogan d'une précédente campagne), mais “Serez-vous opérés ?”, met en garde le Dr Jacques Caton, chirurgien-orthopédiste à Lyon et président du SNCO. On est en train de tuer la chirurgie française, il est ahurissant que Roselyne Bachelot ne nous reçoive pas directement.»
Le SNCO comme le SNCVD estiment que les centrales dites «polycatégorielles» (CSMF, FMF, SML), qui ont, certes, constitué des « pôles » chirurgicaux, «ne peuvent pas tout faire». En clair, les préoccupations spécifiques des chirurgiens ne sont pas suffisamment relayées et défendues.
Première raison de la colère : la campagne «antichirurgicale» sur le thème des dépassements généralisés, obstacles à l'accès aux soins. «Depuis quelques semaines, c'est l'hallali médiatique et politique, se désole le Dr Caton. La Mutualité française, le CISS (usagers) , la presse nationale et locale… pas un jour sans attaque contre les compléments d'honoraires avec de faux chiffres ou des amalgames avec les dessous-de-table. La réalité, c'est que les chirurgiens libéraux en secteurII [près de 80 % des effectifs] réalisent en moyenne 50% de leur activité en tarifs opposables [bénéficiaires de la CMU, urgences, patients démunis] . Est-ce vraiment l'horreur?» Face à la volonté de certains de «casser» le secteur II, les syndicats soulignent que seul cet espace de liberté tarifaire a permis jusque-là de «maintenir la qualité de la chirurgie française», compte tenu du «blocage» des tarifs opposables conjugué à la hausse continue des charges (60 % du chiffre d'affaires), du coût de la pratique et des assurances. Le Dr Philippe Breil, président du SNCVD, va plus loin : «Avec les tarifs opposables les plus bas d'Europe, les dépassements garantissent la survie de l'entreprise chirurgicale.»
Les syndicats disent avoir fait leurs calculs : le tarif horaire moyen du chirurgien (revenu rapporté à une activité hebdomadaire de 80 heures) serait de «71euros avant les charges, compris entre celui de l'ascensoriste –69 euros- et du garagiste –80euros…».
Le secteur optionnel avec dépassements transparents encadrés et remboursés serait-il une solution ? «Pour certains chirurgiens bloqués, oui», modère le Dr Caton. Tout dépendra du taux de dépassement autorisé.
« On n'est pas des robots. »
La démographie est le deuxième grand sujet d'inquiétude. «Nous exerçons un métier prestigieux mais pénible et stressant, tous les chirurgiens font des gardes ou des astreintes, explique le Dr Hubert Johanet, secrétaire général du SNCVD. D'autres spécialités sont plus compatibles avec une vie familiale. Il y a aussi la judiciarisation, on sait que l'on aura plusieurs procès dans sa vie. Nous ne sommes pas des robots...» Façon d'expliquer que la crise de recrutement risque de s'aggraver si on ne restaure pas rapidement et fortement l'attractivité de la profession. Seuls 75 chirurgiens-orthopédistes sortent chaque année de la faculté. Il en faudrait 210, expliquent les syndicats. La situation est pire en chirurgie viscérale avec 25 médecins formés par an alors qu'il en faudrait quatre fois plus.
À l'hôpital, les signaux envoyés à la profession sont également négatifs en raison des «attaques» récentescontre le secteur libéral (décret de mai 2008 prévoyant que la redevance de 40 % est calculée sur la totalité des honoraires – tarifs opposables et dépassements). Selon les syndicats, parmi les 4 185 PH ayant un secteur libéral à l'hôpital, on recense 324 chirurgiens-orthopédistes et 709 chirurgiens dits généraux. Le Dr Caton condamne une «taxation confiscatoire, raison supplémentaire de se détourner de la carrière chirurgicale».
Bachelot, Fillon ou Sarkozy.
L'habilitation des chirurgiens à diplômes extra-européens qui ont été appelés en renfort pour «combler certains vides chirurgicaux» est une autre exigence des syndicats. Un chirurgien-orthopédiste sur six exerce aujourd'hui avec un diplôme extra-européen. «Certains sont parfaitement formés dans un cursus identique aux chirurgiens français, d'autres, insuffisamment formés, sont livrés à eux-mêmes dans de petits établissements», juge le Dr Caton . Le Dr Breil fait état de «filières japonaises, brésiliennes» qui font tourner des services entiers. Or ces praticiens n'ont pas forcément vocation à rester sur le territoire.
Le SNCO et le SNCVD réclament un entretien immédiat au ministère de la Santé. Si Roselyne Bachelot ne répond pas, les chirurgiens frapperont à la porte de François Fillon et même de Nicolas Sarkozy. Ils n'excluent pas un «mouvement de cessation d'activité» à la rentrée. Ce tableau n'empêche pas le Dr Johanet d'ironiser, philosophe : «En France, on protège l'aigle royal, espèce en voie de disparition. Mais on ne protège toujours pas le chirurgien.»
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