De notre correspondante
à New York
« C'est un grand pas en avant pour le domaine des matériaux auto-assemblés », déclare Ulrich Wiesner, un chimiste de l'université Cornell à Ithaca (New York). Cette recherche « conjugue la synthèse des matériaux artificiels et les leçons de la biologie. Cette interface est très, très excitante. Nous nous sommes donné pour objectif de recréer la structure naturelle de l'os à l'échelle nanoscopique, le premier niveau de hiérarchie structurelle de l'os, et nous avons réussi », déclare dans un communiqué de presse Jeffrey Hartgerink, l'un des membres de l'équipe de l'université Northwestern (Evanston, Illinois). Leurs travaux sont publiés cette semaine dans la revue américaine « Science ».
« La médecine régénératrice est une grande frontière », déclare le Pr Samuel Stupp qui a dirigé l'équipe. « Dans l'idéal, nous voulons que le corps se guérisse tout seul. Dans ce cas, nous voulons réparer l'os en encourageant le matériel minéralisé à pousser sur un échafaudage fibreux qui serait perçu comme naturel par le corps », explique-t-il.
Une matrice organique
« Cette recherche est aussi un pas important pour créer un échafaudage ou une matrice organique qui peut procurer aux cellules l'information adéquate pour se différencier en cellules osseuses, en neurones ou en cellules pancréatiques. Ce dernier exemple est important, bien sûr, pour le traitement du diabète. Les cellules, dans n'importe quel tissu, vivent dans une matrice extracellulaire d'où elles tirent leurs signaux. La matrice est comme une carte routière, composée principalement de signaux chimiques. Nous avons cherché à reproduire cela pour l'os, mais nous avons aussi offert une stratégie qui pourrait marcher avec d'autres tissus du corps humain. » En outre, ajoute le Pr Stupp, cette stratégie pourrait aussi servir à créer des matériaux composites organiques/inorganiques utiles en électronique ou en photonique.
Au niveau le plus bas de son organisation, l'os est composé par des fibres protéiques de collagène qui s'autoassemblent et sur lesquelles des ions calcium, phosphate et hydroxyde viennent se condenser pour former une structure rigide de cristaux d'hydroxyapatite tous orientés dans la même direction.
Jusqu'ici, plusieurs équipes de chercheurs avaient réussi à faire pousser des cristaux d'hydroxyapatite sur d'autres matériaux comme les polymères, mais n'étaient pas parvenus à les aligner sur des matériaux autres que le collagène. Stupp et coll. ont donc cherché à synthétiser une molécule qui soit dotée d'une telle capacité. Les chercheurs savaient, grâce à de précédentes recherches, comment synthétiser des molécules qui s'autoassemblent en fibres. Ces molécules coniques, appelées peptides-amphiphiles sont composées d'une queue hydrocarbonée aquaphobe et d'un groupement de peptides aquaphiles. Lorsque ces molécules sont placées dans l'eau, elles s'assemblent spontanément en fibres ou en micelles vaguement connectées, les queues aquaphobes se pressant au centre des micelles.
Pour favoriser la formation de cristaux d'hydroxyapatite sur ces fibres, les chercheurs ont ajouté, d'une part, des peptides qui lient réversiblement les fibres entre elles et, d'autre part, des peptides chargés négativement qui attirent les ions positifs pour former les cristaux d'hydroxyapatite. A leur grande surprise, les cristaux se sont alignés dans la même direction des fibres, comme dans l'os naturel.
Les chercheurs s'intéressent déjà à d'autres applications que l'os. Ils décrivent comment ils ont ajouté des peptides avec un trio d'acides aminés (arginine, glycine et acide aspartique) qui attirent les cellules et les encouragent à se lier à une surface particulière. « Ces fibres sont favorables aux cellules. Les cellules aiment pousser sur elles », explique le Pr Stupp. Cette propriété pourrait permettre d'utiliser les nanofibres pour le génie tissulaire. Les chercheurs espèrent aussi pouvoir utiliser ces fibres pour réparer le tissu nerveux endommagé en attirant les neurones et en les encourageant à pousser le long des fibres.
« La nature utilise des matériaux organiques et inorganiques pour construire des systèmes dotés de certaines propriétés, comme les os fort solides. Notre système d'autoassemblage est modelé sur la nature »,
conclut le Pr Stupp.
« Science », 23 novembre 2001, pp. 1684 et 1635.
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