« De la même façon qu’une bactérie présente un profil de sensibilité propre aux antibiotiques, les tumeurs sont caractérisées par un profil d’activité biologique spécifique qu’il convient de caractériser pour le cibler », avance Jean-Yves Blay du centre Léon Bérard de Lyon pour expliquer la mutation vécue en oncologie depuis une douzaine d’années.
La localisation tumorale a laissé place à la biologie moléculaire. Celle-ci a permis de repérer de nombreuses pistes d’approches, dont trois sont particulièrement développées : celle des kinases reste d’actualité : « Seule une vingtaine est caractérisée et ciblée parmi le demi-millier aujourd’hui identifié » argumente le Pr Jean-Yves Blay. Ensuite, celle de l’immunothérapie connaît un regain d’intérêt : « Le succès des inhibiteurs de CTLA4 dans le mélanome et de la vaccination antitumorale dans le cancer de la prostate ont remis la voie de l’immunomodulation sur la selle », raconte le professeur. Enfin, celle des couples d’interactions protéine-protéine ou protéine-acide nucléique est la plus récente. Ces tandems jouent un rôle majeur dans la tumorogénèse : p53-Mdm2, Myc-Max, bcl-2/bcl-xl… En tant que cible pharmacologique, ces composants intracellulaires sont difficiles à atteindre, notamment parce que les surfaces d’interactions sont larges et que les protéines possèdent une certaine variabilité conformationnelle. L’enjeu est aujourd’hui de déterminer les « hot spots », ces quelques acides aminés majeurs pour la réalisation de ces interactions. Des données probantes ont d’ailleurs été obtenues chez l’animal autour du cuple p53-Mdm2.
Comment contourner la résistance aux traitements actuels et le développement de métastases ? Ces deux limitations majeures sont essentiellement liées à la forte évolutivité et à l’instabilité génétique des cellules cancéreuses qui lui permettent d’échapper au traitement d’emblée ou dans un second temps. La génétique puis la pharmacogénétique y apporteront certaines réponses. La détermination de mutations somatiques ou de polymorphismes influençant l’efficacité thérapeutique devient d’ailleurs une constante dans le développement des nouvelles molécules. L’étude de ces adaptations peut aussi déboucher sur de nouvelles pistes : le concept d’addiction oncogénique, qui se traduit par la prédominance d’une voie oncogénique devenue préférentielle pour la survie de la tumeur, permet d’envisager des traitements spécifiques dont l’efficacité est redoutable pour la cellule, une fois cette voie de régulation bloquée.
Rhumatologie
En rhumatologie, la première génération de thérapies ciblant des agents de l’inflammation est aujourd’hui secondée par celles visant des cibles intracellulaires : dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (PR), sont étudiés les anti-JAK3, les anti SYK-kinases, les anti-MAP38 kinases… Les agents extracellulaires, eux, continuent à faire l’objet de développement de molécules ciblées, et se développe parallèlement l’idée d’une vaccination contre les médiateurs de l’inflammation, comme le TNFα.
Pour améliorer l’efficacité des traitements disponibles, il est possible qu’à terme il soit utile « d’associer une thérapie à cible extracellulaire à une autre intracellulaire, qui bloqueraient toutes deux des acteurs d’une même cascade, comme par exemple le TNFα », suggère Marie-Christophe Boissier de l’hôpital d’Avicenne. Mais d’autres développements pourraient pallier cette difficulté. Ainsi, l’ubiquité des cibles des biothérapies de la PR pose à la fois un problème de toxicité et d’efficacité : « Des travaux sont engagés pour rechercher des isoformes des cibles moléculaires afin de ne viser que le tissu d’intérêt. Des approches de vectorisation sont aussi étudiés », rapporte le rhumatologue. Parmi elles, la thérapie génique. Dans la polyarthrite rhumatoïde, des études ont ainsi été conduites ces dernières années pour cibler le gène du TNFα dont le rôle d’initiateur et de promoteur du mécanisme inflammatoire délétère est reconnu. Pour l’heure, l’approche n’est pas concluante, mais les travaux se poursuivent.
Autre difficulté : prévoir l’efficacité des traitements. À l’instar de la cancérologie, la recherche de biomarqueurs prédictifs de réponse thérapeutique est active, mais leur concrétisation reste encore relativement limitée. Ces biomarqueurs seront d’autant plus importants à identifier et à suivre que certaines de ces pathologies inflammatoires (PR, spondylarthropathies) sont caractérisées par un échappement aux traitements, expliqué par une adaptation des mécanismes immunologiques. Dans le traitement de la PR, des biomarqueurs simples ne semblent pas accessibles. Ainsi, le dosage du TNFα dans le cadre d’un traitement anti-TNF n’est pas concluant. Des combinaisons multiparamétriques devront probablement être utilisées. Des approches protéomiques ou transcriptomiques semblent aussi apporter des résultats intéressants, notamment sous anti-TNFα, mais leur utilisation en pratique courante est complexe.
Une perspective : le diabète
Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune où l’une des principales difficultés réside dans la destruction rapide et irréversible des cellules beta-2 pancréatiques. Le concept de thérapie ciblée est ici limité par la nécessité d’une intervention aussi précoce que possible, avec des traitements suffisamment spécifiques et bien tolérés pour envisager un traitement chronique chez des sujets jeunes sans risque dysimmunitaire à terme.
Le décryptage des mécanismes auto-immuns a mis en lumière des autoantigènes spécifiques cibles, le GAD, l’Insuline ou la protéine chaperon HSP60. Plusieurs traitements ciblés ont été développés pour endiguer la réponse immune vis-à-vis de ces marqueurs, mais aucun n’a permis pour l’heure de prévenir la progression du diabète ou de réduire la dose d’insuline requise par les patients déjà diabétiques. L’une des seules approches permettant d’envisager la prévention de la maladie réside aujourd’hui dans une approche alternative : celle du ciblage anti-CD3. Il ne s’agit plus de contrer le mécanisme immunitaire, mais d’induire une tolérance spécifique initiale dès l’hyperglycémie identifiée. Le CD3 est une molécule présente à la surface des cellules T qui est impliquée dans la présentation de l’antigène. Les données de phase II conduites avec deux AC monoclonaux – le teplizumab et l’otelixizumab – ont montré qu’il était possible de supprimer les injections d’insuline sur plusieurs mois pour une fraction des patients nouvellement diagnostiqués. Même si les données de phase III ont été moins concluantes, notamment par choix inapproprié des critères d’analyse, leur développement se poursuit.
L’IL-1 est une autre cible exploitée, commune au diabète de type 1 et de type 2. Dans le diabète de type 2, l’hyperglycémie stimule la production de l’interleukine qui inhibe la production d’insuline. Des premières preuves de concept ont été apportées avec l’anakinra, AC anti-IL1. Dans le diabète de type 1, les études d’efficacité sont en cours.
Leçons d’échec
Le TNFα est l’une des cibles les plus ubiquitaires et les plus étudiées dans l’approche ciblée des maladies chroniques. Dans l’insuffisance cardiaque, son rôle a été caractérisé sur le plan physiopathologique, mais les traitements anti-TNFα ont tous échoué. Si plusieurs explications peuvent éclairer ce phénomène, il est probable que les autres cytokines inflammatoires non bloquées par ce mécanisme entretiennent la cascade délétère. Un rôle parallèlement bénéfique du TNFα sur le remodelage myocardique semble aussi devoir expliquer ce phénomène. Aussi, même si le rôle d’un même médiateur est commun à plusieurs situations pathologiques, la réponse à une même approche thérapeutique n’apporte pas le même succès, confirmant la complexité des cascades biologiques incriminées. L’échec de l’approche anti-TNFα dans la sclérose en plaques ou l’asthme illustre aussi ce constat. Dans ce dernier exemple, le décryptage des cascades pathogéniques montre que l’asthme regroupe plusieurs phénotypes dans lesquels le rôle de certains médiateurs (éosinophiles, IgE…) diffère, et forment autant de niches thérapeutiques distinctes. Le démembrement des pathologies et de leur approche thérapeutique n’en est probablement qu’à son début. La transversalité biologique vient se superposer aux entités cliniques. Dernier exemple en date : depuis quelques années, la piste des micro-ARN est étudiée. Ces entités semblent impliquées et contrôlent l’expression de gènes dans de nombreux mécanismes cellulaires (différenciation, maturation, …). Leur dérégulation semble avoir un rôle dans plusieurs domaines pathologiques comme le cancer, les maladies inflammatoires et les maladies auto-immunes. Preuve supplémentaire d’une évolution vers la transversalité des thérapies ciblées.
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