La recherche des cellules souches à l'origine de telle ou telle lignée cellulaire est devenue importante en biologie, à la fois pour comprendre la différenciation et, éventuellement, pour élaborer des stratégies régénératives. Jusqu'à présent, on s'est surtout intéressé aux cellules souches hématopoïétiques, circulantes ou médullaires, qu'il n'est pas nécessaire de localiser, seulement de caractériser. Hormis ce cas particulier, toutefois, le problème posé est celui de la localisation. D'innombrables expériences menées sur la drosophile ont montré que la « vocation » d'une cellule à se développer en tel ou tel membre dépend de sa position sur la larve. Apparemment, il en va de même dans les tissus structurés : il existe des réservoirs de cellules souches capables de générer tout ou partie des lignées constituant ces tissus et la différenciation de ces cellules souches est fonction de la position et de l'environnement du réservoir.
La peau est un tissu qui se prête à ce genre d'étude. L'an dernier, l'équipe de Yann Barradon (INSERM) avait ainsi pu localiser, dans la partie supérieure du follicule pileux, des cellules souches capables de se différencier en kératinocytes, en cellules de glande sébacée et en cellules de follicule pileux (« le Quotidien » du 26 janvier 2001). Ces résultats ouvrent notamment des perspectives aux greffes de peau - sous réserve, toutefois, de maîtriser l'orientation selon les trois axes de différenciation.
Dans « Nature », ce sont maintenant des résultats concernant les précurseurs des mélanocytes qui sont publiés - Yann Barrandon fait d'ailleurs encore partie des auteurs.
Eliminés par apoptose
Les mélanocytes prolifèrent durant la phase anagène, se différencient pour produire de la mélanine qui colore le cheveux ou le poil, puis sont éliminés par apoptose durant la phase catagène. Se pose donc la question du renouvellement de ces cellules.
En utilisant des souris transgéniques exprimant la bêta-galactosidase sous contrôle d'un promoteur spécifiquement activé dans les mélanocytes (promoteur Dct de la dopachrome tautomérase), les auteurs ont d'abord pu prouver l'existence de cellules précurseurs. Le traitement des animaux à la naissance par des anticorps spécifiques des mélanocytes en développement se solde, en effet, par l'apparition d'un premier pelage décoloré, puis d'une certaine proportion de poils colorés, sous l'effet de mélanocytes qui, nécessairement, ont été régénérés à partir de précurseurs. Grâce à leur coloration par la bêta-Gal, ces précurseurs ont pu être localisés au niveau du bulbe du follicule pileux, au niveau de l'attachement du muscle érecteur.
Les caractéristiques des cellules souches
Des techniques de marquage moléculaire, de microdissection du follicule et de greffe des différentes parties de celui-ci sur la peau de souris ont ensuite confirmé que ces cellules précurseurs ont bien les caractéristiques que l'on attend de cellules souches : cycle de division très lent, production d'un grand nombre de mélanocytes et persistance d'au moins une cellule souche lors de ce processus.
Enfin, chez des souris exprimant à la fois la bêta-galactosidase et, de manière constitutionnelle, le facteur de différenciation SLF (Steel Factor), le traitement par anticorps dirigés contre les mélanocytes en développement s'est traduit, comme précédemment, par une absence de coloration du premier pelage, puis par l'apparition de taches colorées, se développant et finissant par se rejoindre. Il faut donc en conclure que des cellules souches résiduelles ont pu migrer hors de certains follicules, s'installer dans d'autres niches épidermiques laissées vacantes après traitement par anticorps, puis se différencier en mélanocytes sous l'action du facteur SLF, partout présent dans l'épiderme.
Les auteurs notent que l'apparition et le développement des zones colorées rappellent fortement, en négatif, le développement du vitiligo. Pour le moment, toutefois, aucune application thérapeutique n'est en vue ; il s'agissait dans un premier temps de localiser les cellules souches des mélanocytes et de « dégrossir » la question de leur différenciation. Manifestement, la présence de SLF dans l'environnement est capitale. Ce facteur est normalement présent dans la papille folliculaire, au voisinage, justement, du site de prolifération des mélanocytes dans la matrice du poil. Il est donc logique de le trouver dans le rôle de facteur de différenciation des cellules souches en mélanocytes. Et c'est peut-être un élément qui fera progresser le thème de la différenciation des cellules souches de l'épiderme découvertes l'an dernier, dont l'intérêt médical est plus évident.
E. K. Nishimura et coll. « Nature », vol. 416, 25 avril 2002.
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