LES CAUSES de la fatigue au cours du cancer sont multiples avec une intrication des éléments somatiques et psychiques.
Les mécanismes somatiques de la fatigue sont liés à trois grandes causes : la malnutrition, les effets secondaires des traitements et l'anémie.
S'y ajoute souvent un état dépressif dont la fatigue est un symptôme majeur. Mécanismes somatiques et psychiques s'autoentretiennent et contribuent à exclure le cancéreux d'une vie socio-familiale normale.
Effets secondaires des traitements.
La fatigue est un effet secondaire bien connu des traitements, qu'il s'agisse d'une fatigue postopératoire après une ou plusieurs interventions lourdes ayant nécessité une ou plusieurs hospitalisations.
La fatigue postchimiothérapie est due à la neurotoxicité directe de certaines molécules : platine, taxanes, irinotécan, et surtout à l'anémie.
La fatigue engendrée par la radiothérapie est majorée par l'âge, le site irradié (abdomen, tête et cou), l'extension tumorale et l'association avec la chimiothérapie.
Les effets secondaires sont plus fréquents en cas de dénutrition : la fréquence des mucites sévères est multipliée par 2 ou 3, celle des syndromes main /pied de grade 3 par 3 ou 4 fois.
Mucite, nausées, vomissements, troubles intestinaux peuvent de plus entraîner des difficultés d'alimentation. Il faut anticiper pour limiter les effets secondaires, donner des compléments nutritionnels pour augmenter l'appétence, varier l'alimentation et présenter les plats de façon attractive.
Il existe aussi une dénutrition irréversible d'origine tumorale. Dans ce cas la pharmaconutrition a sa place, notamment avec les dérivés des acides gras oméga 3 présents dans les huiles de poisson. Un apport lipidique de 10 % en oméga 3 stabilise le poids et permet même chez certains de reprendre quelques kilos. La sécrétion de facteurs cachectisants d'origine tumorale tel que le PIF (Proteolysis-Inducing Factor) est alors réduite de moitié. Dans le cancer du pancréas la prise d'oméga 3 diminue la cachexie et améliore la durée et la qualité de la survie.
L'anémie fréquente, mais curable.
L'anémie peut être une conséquence de la maladie, mais elle est aussi très fréquente lors des chimiothérapies cytotoxiques souvent myélosuppressives, ce qui concerne beaucoup de molécules. Elle est encore aggravée par la radiothérapie.
Une étude prospective récente, (Ecas) portant sur 15 000 patients dans 24 pays d'Europe a montré que 67 % des patients avaient, au moins une fois pendant les six mois de l'étude, un taux d'hémoglobine inférieur à 12 g/dl, taux correspondant à une qualité de vie optimale. Les trois quart des patients recevant une chimiothérapie étaient anémiés.
Surtout, l'anémie est trop souvent négligée puisque, dans cette étude, seuls 40 % des patients recevaient un traitement spécifique.
Outre le fait qu'un taux d'hémoglobine faible entraîne une grande fatigue et oblige les malades à réduire leurs activités quotidiennes de façon drastique, l'anémie contribue à l'hypoxie tumorale, laquelle est associée à la résistance à la chimiothérapie et à la radiothérapie. Elle peut aussi stimuler l'angiogenèse et augmenter l'agressivité de la tumeur. De nombreux travaux ont montré que l'anémie peut altérer la qualité de vie et avoir un impact négatif sur la réponse aux traitements, la survie sans récidive et la survie globale.
Les transfusions ont été longtemps les seuls moyens de restaurer un taux d'hémoglobine normal, mais les risques viraux et bactériologiques, ainsi que leur effet transitoire, les réservent aujourd'hui aux situations cliniques graves et urgentes. Depuis quelques années, l'érythropoïétine humaine recombinante en traitement ambulatoire permet de retrouver rapidement un taux d'hémoglobine normal avec un retentissement spectaculaire sur la fatigue et la qualité de vie.
L'érythropoïétine (EPO) humaine recombinante est proposée sous trois spécialités : Eprex (époétine alfa, Laboratoires Janssen-Cilag) ; Neorecormon (époétine bêta, Laboratoires Roche) et Aranesp (darbépoétine alfa, Laboratoires Amgem). Elle permet une augmentation du taux d'hémoglobine de 2 g/dl après 4 à 8 semaines de traitement. L'objectif est de maintenir l'hémoglobine au minimum à 12 g/dl. Le traitement est bien toléré et très efficace et l'amélioration est sensible dès la troisième semaine. Les résultats sont stables lorsque l'EPO est administrée après la chimiothérapie. En cours de chimiothérapie, il est possible de faire plusieurs cures.
Beaucoup de médicaments cytotoxiques entraînent une diminution de la production d'érythropoïétine et il est donc justifié d'utiliser l'EPO chez ces patients dès que le taux d'hémoglobine se situe entre 10 et 12 g/dl comme le recommande l'Asco. Si le taux d'hémoglobine est inférieur à 10 g/dl, une transfusion peut être nécessaire et l'EPO est donnée en relais pour maintenir un taux d'hémoglobine normal.
Intrication entre fatigue somatique et psychique.
La détresse émotionnelle, le sentiment d'impuissance, la perte d'estime de soi sont fréquents au cours du cancer et favorisent la dépression. Il est de ce fait parfois difficile de différencier la composante somatique de la composante psychique de la fatigue. Cette dernière peut être symptomatique de la perte de l'élan vital, de l'anhédonie et l'association avec les troubles du sommeil orientent vers une dépression. Les troubles dépressifs sont entretenus, voire aggravés par l'asthénie d'origine somatique et, inversement, un bon état général est un facteur d'amélioration de l'état dépressif. Un soutien psychosocial assuré par un travail en groupe ou, éventuellement, une psychothérapie individuelle est utile, associé ou non à une intervention pharmacologique.
Si beaucoup de patients souffrent de fatigue, ils sont nombreux à la banaliser, la considérant comme une fatalité, et ne s'en plaignent pas. Il faut savoir les interroger systématiquement, analyser les causes, définir des attentes raisonnables et évaluer régulièrement les effets des thérapeutiques proposées afin de les ajuster.
Le traitement de la dépression, de la malnutrition, de l'anémie, des troubles du sommeil, de la douleur réduit la fatigue et améliore très significativement la qualité de vie des patients en leur permettant de se réinsérer dans la vie familiale, sociale et même professionnelle.
D'après la session coordonnée par D. Delfieu, G. Nitemberg, M. Schneider, J. Trédaniel.
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