Brigitte Autran, professeur en immunologie cellulaire et tissulaire à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, interne en maladies infectieuses en 1981.
«J'ai pris mes fonctions d'interne en maladies infectieuses à l'hôpital Claude-Bernard, à Paris, début octobre 1981. Lorsque j'ai pris contact avec mon prédécesseur (Bernard Morinière) , il m'a parlé d'un patient qui présentait tous les signes de la maladie décrite dans le “New England Journal of Medicine” en mai 1981. C'est d'ailleurs le premier patient qui a été authentifié en France. Grâce à ce jeune steward, qui a pris contact avec ses collègues, nous avons eu l'occasion d'examiner des hommes potentiellement atteints de la maladie, afin de déterminer s'il existait des signes épidémiologiques communs. Willy Rozenbaum s'est ainsi aperçu que certains d'entre eux n'étaient pas malades, mais qu'ils présentaient des ganglions périphériques. C'est ce qui nous a fait évoquer une participation immunologique à la maladie, d'autant plus que l'analyse sanguine mettait par ailleurs en évidence une baisse du taux des lymphocytes CD4.
J'ai ensuite été interne en dermatologie à l'hôpital Tarnier (Paris) , où j'ai eu l'occasion d'accueillir la première femme atteinte de la maladie en France. Cette Haïtienne était traitée pour un herpès génital extensif.
La publication de l'agent causal m'a conduite à bifurquer d'un cursus clinique vers une activité de recherche. Nous avons vécu une aventure communautaire avec Jacques Leibovitch et Françoise Brun-Vezinet qui nous a conduits à nous intéresser à l'immunité anti-VIH. C'est ainsi qu'avec l'aide de Fernando Plata nous avons été les premiers à démontrer que, malgré un déficit immunitaire, il existait une défense naturelle par le biais de lymphocytes tueurs. C'est cette collaboration clinique et biologique sans rivalité qui a permis aux équipes françaises de faire avancer de façon déterminante la recherche sur le VIH. Le rôle joué par le PrMontagnier dans cette aventure est apparu comme déterminant. Il a su, en effet, coordonner les efforts de recherche et contribuer à les faire financer, sans jamais baisser les bras.»
Simon Wain Hobson, chef de l'unité de rétrovirologie moléculaire à l'Institut Pasteur, travaillait en 1983 dans l'unité Recombinaison et expression génétique.
«Au cours des 25dernières années, nous avons fait un somptueux festin de sciences. Mais il n'en demeure pas moins que je ressens une gêne. Celle de ne pas avoir, en dépit de promesses toujours reportées, participé à l'élaboration d'un vaccin pour lutter contre le virus.
Depuis le début de l'aventure pasteurienne du VIH, je n'ai plus eu de temps à moi. Imaginez qu'en 2 à 3ans l'équipe des jeunes chercheurs a autant appris que des confrères en une dizaine d'années. Il fallait tout découvrir, il y avait vraiment urgence. Nous avons progressé très vite, de façon très intense. Nous avons tous grandi ensemble. En dépit des scepticismes initiaux et malgré les conflits qui ont rapidement entouré la découverte du virus, nous savions au plus profond de nous qu'il ne fallait pas s'arrêter.
Aujourd'hui, on connaît le mécanisme de l'infection, les interactions avec le système immunitaire, on dispose de traitements…
Nous bénéficions tous d'une véritable reconnaissance de la communauté scientifique. Pourtant, je ressens toujours cette gêne. Je me sens encore incompétent par rapport aux malades à qui, depuis des années, la communauté scientifique promet des traitements curatifs ou des vaccins.»
Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Chef de clinique en néphrologie, en 1983.
«Chef de clinique au début des années quatre-vingt, je m'apprêtais à entrer dans une carrière de soins et de recherche à l'hôpital, consacrée aux maladies du rein et à l'auto-immunité.
Les premiers patients atteints de déficit immunitaire que j'ai vus en 1983 et la découverte du VIH allaient changer ma vie. Ils allaient me placer dans “l'humilité” des limites de ce que peut faire la médecine; me mettre au contact quotidien de la souffrance et de la mort dans les années 1984-1995; dans l'enthousiasme du progrès, avec l'avènement des trithérapies en 1995-1996; dans l'indignation devant l'ignorance de l'épidémie dans les pays pauvres; et maintenant, dans mon rôle au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dans ma participation à cet espoir qu'apporte l'arrivée des traitements dans la lutte contre la pauvreté et la recherche d'un monde globalisé plus juste.»
Michel Rosenheim, Conseil supérieur d'hygiène publique de France, Comité technique des vaccinations, professeur en santé publique à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, chef de clinique à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (service du Pr Gentilini), à Paris, au début des années 1980.
«Je dois dire que l'impact de cette publication a été modéré dans ma vie de praticien. Je m'occupais alors de sida depuis 1982 et les données épidémiologiques, une fois l'hypothèse des poppers (inhalation de nitrite d'amyle) et du cytomégalovirus écartée, plaidaient en faveur d'un virus lymphotropique, transmis par voie sanguine, sexuelle et de mère à enfant, à l'instar de ce que l'on connaissait pour le virus de l'hépatiteB. Cette découverte me donnait l'espoir de la mise à disposition d'un test sérologique de dépistage, de diagnostic et d'un vaccin. J'étais plus dubitatif quant à la mise au point, à court ou moyen terme, de traitements antiviraux, tant ils me semblaient complexes à élaborer. La révolution est venue, à mon sens, plus tard, en 1996, avec la mise sur le marché des antiprotéases et l'utilisation d'associations d'antiviraux.
Le seul impact de cette publication dans ma vie de praticien a été de pouvoir mettre un nom (provisoire) et un “visage” sur le criminel.»
Olivier Schwartz, groupe de travail sur les virus et l'immunité, département de virologie à l'Institut Pasteur, étudiant en pharmacie en 1983.
«Je me rappelle avoir appris la découverte du VIH par l'équipe de Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi en une de “Libération”. J'étais étudiant à la faculté de pharmacie, il y avait un gros titre, ça m'avait frappé. Ensuite, j'ai fait un stage dans un laboratoire de virologie (à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre) . Isoler et manipuler les virus m'a immédiatement passionné. J'ai ensuite rejoint l'Institut Pasteur où j'ai commencé à travailler sur la multiplication du VIH. Je n'ai pas arrêté depuis.
D'une manière générale, la recherche sur le VIH a été un moteur et une source de progrès dans de nombreuses disciplines: virologie en général, immunologie, biologie cellulaire et moléculaire. En tant que chercheurs, nous avons un devoir d'information auprès des patients et des associations de patients. J'ai rejoint en tant qu'étudiant “le Journal du sida”, édité à l'époque par l'association Arcat/sida. J'ai écrit quelques articles de “vulgarisation” des découvertes. J'ai ensuite rejoint le comité scientifique de l'ANRS et le comité médical et scientifique de Sidaction, afin d'aider à la distribution des subventions de recherches sur le sida.»
Jacques Gilquin, infectiologue à l'hôpital Saint-Joseph, Paris, travaillait en 1983 comme interne dans le service du Dr Kazatchkine, à l'hôpital Broussais.
«Ma rencontre de jeune interne avec des patients souffrant de sida a été un bouleversement. Elle a constitué une expérience humaine irremplaçable. Aujourd'hui, je peux dire que j'ai connu toutes les étapes dans la compréhension et le traitement de cette infection, sauf, bien sûr, celle du vaccin et du traitement curatif.
Cette maladie a été très révélatrice des différents comportements des équipes médicales. La plupart des soignants fuyaient les malades. J'ai encore du mal à comprendre aujourd'hui combien cette maladie a fait peur à un grand nombre de soignants (qui appliquaient une pastille rouge sur les dossiers, voire sur la porte des patients) . Les comportements de stigmatisation pouvaient entraver les soins, mais beaucoup ne s'y attardaient guère.
L'année 1983 correspond à l'identification d'un agent viral étrange débusqué au sein de ganglions de malades. A l'époque, la communauté médicale était loin d'adhérer unanimement à l'idée du rôle d'un virus dans un désordre immunologique, d'autant que certains patients étaient porteurs mais considérés comme asymptomatiques.
Cette maladie a bouleversé les rapports établis avec ces patients qui souffraient et mouraient très jeunes. Les médecins qui avaient accepté de s'impliquer devaient se battre et ne pas désespérer.»
Jean-François Delfraissy, chef du service de médecine interne à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, immunologiste au début des années 1980.
«En 1983, je travaillais dans le domaine de l'immunologie fondamentale. Déjà, au moment de la publication par le “New England” des premières descriptions cliniques de la maladie, j'ai imaginé réorienter ma pratique vers une approche plus clinique. Le travail de l'équipe pasteurienne n'a fait que renforcer ma conviction. J'ai choisi de participer au début de l'aventure de la virologie moderne avec un regard de santé publique.
Étant immunologiste de formation, j'ai immédiatement adhéré au concept de déficit immunitaire acquis d'origine virale. Pourtant, on oublie encore trop souvent qu'à cette époque les réticences ont été nombreuses. Il a fallu un nombre important de publications pour que les pionniers du domaine soient relayés par la majorité des cliniciens, des immunologistes et des virologues. C'était la première fois en effet qu'on évoquait une relation entre virus et déficit immunitaire, et, comme devant toute théorie novatrice, les incrédules et les sceptiques ont été nombreux.»
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