Il Y A UN PEU moins de trente ans, le Pr D. Di Francesco (Milan) individualise au niveau du noeud sinusal les canaux If (f comme « funny », en raison de propriétés inhabituelles). On a montré que l'effet chronotrope négatif des bêtabloquants passait en grande partie par une diminution du courant If, courant entrant Na+-K+, activé par l'hyperpolarisation et modulé par le système nerveux autonome. D'où l'idée d'agir sélectivement sur ces canaux pour ralentir le coeur, en se débarrassant des effets latéraux des bêtabloquants (et de certains inhibiteurs calciques).
Les premiers candidats ont dû être abandonnés, en raison d'un allongement de l'espace QT. Les chercheurs du groupe Servier, dirigés par le Dr J.-P. Vilaine, effectuent alors un screening de nombreux dérivés des benzocycloalkanes, ce qui aboutit à l'identification et à la synthèse d'un inhibiteur spécifique et sélectif, l'ivabradine. Une découverte qui est le fruit d'une collaboration étroite entre chimistes, laboratoires de recherche expérimentale et d'électrophysiologie : des équipes relativement restreintes travaillant dans des locaux confortables et très bien équipés, mais beaucoup moins vastes que ceux que l'on visite parfois dans le New Jersey ou en Californie.
Une collaboration étroite.
L'objectif fixé aux chercheurs est « simple » : trouver une molécule ayant une activité bradycardisante pure, sans effet délétère sur la contractilité myocardique, la conduction auriculo-ventriculaire et la perfusion myocardique.
On identifie et synthétise plusieurs composés, on démontre leur effet bradycardisant sur organes isolés, on étudie les potentiels d'action à l'aide de microélectrodes intracellulaires. On aboutit ainsi à un premier candidat S 155 44, on sépare deux isomères de ce dernier et l'on retient ainsi le (+)S 16257 ou Procoralan. Un choix dicté par l'importance de l'effet bradycardisant, mais aussi par l'absence d'allongement de l'espace QTc sur divers modèles expérimentaux. On montre aussi une réduction de la consommation d'oxygène par le myocarde et une augmentation très forte des apports en oxygène liée à une amélioration de la perfusion diastolique des coronaires.
Des études sur cellules sinusales auriculaires de lapin confirment l'inhibition dose-dépendante du courant If, sans interférence avec l'activité des autres canaux : des techniques de clamp établissent un lien formel entre cette activité et l'effet bradycardisant de Procoralan. Au niveau moléculaire, on montre que l'ivabradine bloque plus particulièrement l'isoforme HCN4 qui est particulièrement exprimé au niveau du noeud sinusal.
Enfin, les études expérimentales réalisées sur le cochon et sur le chien permettent d'analyser et de comparer les effets anti-ischémiques régionaux de Procoralan et du propranolol, au cours d'épreuves d'effort. Pour une réduction équivalente de la fréquence cardiaque, Procoralan ne modifie pas les résistances coronaires ou périphériques, la contractilité ventriculaire gauche et tous les autres paramètres hémodynamiques étudiés… Procoralan démontre pourtant des effets anti-ischémiques équivalents au propranolol sur l'électrocardiogramme et supérieurs au propranolol lorsque l'ischémie est évaluée par la mesure de la contractilité régionale.
L'attente de l'étude Beautiful.
Un large programme d'études cliniques a confirmé l'efficacité de l'ivabradine dans l'angor stable, ce qui conduit à l'enregistrement de Procoralan dans de nombreux pays. Mais les résultats de l'étude Beautiful sont très attendus par les cliniciens comme par les chercheurs de Suresnes ; en effet, cette importante étude ayant inclus près de 11 000 patients dans 33 pays permettra de dire si la longue identification, synthèse et validation d'un inhibiteur sélectif If aboutit à la réduction des événements cardio-vasculaires chez des coronariens. En un mot, d'affirmer ou non l'importance d'une réduction pure et sélective de la fréquence cardiaque dans cette population.
(1) Visite du centre de recherches cardio-vasculaires Servier à Suresnes.
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