ON REPERE cliniquement le début de la puberté par l'apparition du bouton mammaire (S2) chez les filles et l'augmentation du volume testiculaire au dessus de 4 ml (30 x 15 mm) chez les garçons. Les pédiatres ont longtemps utilisé des limites établies dans les années 1960 dans la banlieue londonienne pour classer le développement pubertaire : avancé avant 9,5 ans chez le garçon ou 8 ans chez la fille, retardé après 13 ans chez la fille ou 14 ans chez le garçon.
Ces limites ont été ardemment discutées, en particulier aux Etats-Unis ou une étude (1) a montré que 48 % des filles d'origine afro-américaine et 15 % des filles d'origine caucasienne avaient un développement des seins ou de la pilosité pubienne à l'âge de 8 ans.
Trop tôt, trop tard ou juste normal ?
Ces données ont suscité de nombreuses interrogations, tant sur le plan mécanistique (pourquoi la puberté avance-t-elle et jusqu'où va-t-elle aller ?) que sur le plan pratique (à partir de quel âge faut-il considérer un début pubertaire comme anormal et déclencher des investigations et éventuellement un traitement ?). Plusieurs pays en Europe se sont également questionnés sur la pertinence des données américaines à leur propre situation et n'ont pas détecté une telle évolution. Par exemple, aux Pays-Bas, une variation de l'âge au stade S2 de quelques mois en trente ans a été détectée et, en Italie, les limites traditionnelles ont été validées par des études récentes, également utilisées dans notre pratique en France. L'augmentation de la prévalence de l'obésité infantile explique probablement les données américaines, puisque le développement pubertaire est accéléré par la surcharge pondérale, qui, de plus, rend l'appréciation du développement des seins plus difficile. Une vigilance particulière au problème de la fréquence et de la définition des pubertés précoces est nécessaire en France, d'autant que la prévalence croissante de l'obésité infantile est susceptible d'entraîner les mêmes effets qu'aux Etats-Unis.
Le déterminisme de la puberté normale et pathologique.
La puberté correspond à la mise en place de la sécrétion pulsatile de LH et de FSH, elle-même sous le contrôle de la sécrétion pulsatile de LH-RH (ou GnRH) hypothalamique. Si la description de ce système remonte aux années 1970, la régulation de sa mise en jeu reste mal comprise et la pathologie humaine a grandement contribué à déterminer des gènes essentiels à son déroulement. Les hypogonadismes hypogonadotrophiques constituent un ensemble hétérogène et plusieurs équipes françaises ont récemment permis de réaliser des avancées majeures à la fois dans la caractérisation moléculaire de pathologies rares, mais surtout dans la compréhension du rôle, jusque-là insoupçonné, de molécules dans la régulation de la puberté.
Les hypogonadismes hypogonadotrophiques sont habituellement divisés entre ceux qui s'associent à une anosmie (syndrome de Kallmann) ou pas. Un premier gène, porté par le chromosome X a été caractérisé au début des années 1990 par l'équipe du Dr Christine Petit à l'Institut Pasteur, mais n'est impliqué que dans une faible proportion des patients. L'équipe de Catherine Dodé et de Jean-Pierre Hardelin (Institut Pasteur et hôpital Cochin) a identifié le gène FGFR1 (le récepteur de type 1 aux Fibroblast Growth Factors) comme impliqué dans ces formes d'hypogonadisme avec anosmie (2). Le point particulièrement intéressant sur le plan médical est la variabilité de l'expression clinique, certains individus porteurs de la mutation ayant une anosmie sans hypogonadisme et d'autres un hypogonadisme avec un sens de l'olfaction relativement conservé. Surtout, ce travail indique un rôle important de FGFR1 dans la constitution des bulbes olfactifs et dans la migration des neurones à GnRH de la placode olfactive vers l'hypothalamus.
Une découverte française.
L'identification du récepteur GPR54 comme un régulateur majeur de la puberté par l'équipe du Dr Nicolas de Roux (3) constitue l'événement d'actualité dans le domaine. L'observation par le Pr Jean-Louis Chaussain d'une famille consanguine dans laquelle cinq enfants étaient porteurs d'hypogonadisme hypogonadotrophique sans anosmie a permis de localiser, puis d'identifier le gène GPR54, sur le chromosome 19. Une équipe américaine a ensuite confirmé ces données et présenté un modèle animal qui confirme le rôle de GPR54 dans le déroulement de la puberté. Quel est le rôle de GPR54 et de son ligand, KiSS-1 dans le déroulement de la puberté ? Ce couple ligand récepteur, initialement décrit comme un modulateur de la dissémination métastatique et jouant également un rôle dans la physiologie du placenta, est fortement exprimé dans l'hypophyse et l'hypothalamus. De nombreux systèmes in vivo et in vitro ont maintenant permis d'établir que le système KiSS-1/GPR54 module l'activation des neurones à GnRH et/ou des cellules hypophysaires gonadotropes. Par exemple, l'expression du récepteur et du ligand augmentent pendant la puberté ; et l'injection de KiSS-1, non seulement dans le liquide céphalo-rachidien, mais aussi dans le sang périphérique, augmente la sécrétion de LH et de FSH chez l'animal. L'administration chronique est également capable d'avancer le déroulement de la puberté chez le rat. Plus récemment, les premières données humaines indiquent que l'administration périphérique de Kiss-1 chez des volontaires sains augmente la production de LH et de FSH (4), faisant de cette molécule un traitement potentiel des troubles de la puberté. Il faut souligner la puissance d'observations cliniques à identifier des gènes impliqués dans des maladies rares et surtout des pans insoupçonnés de la régulation de l'axe gonadotrope.
Les éléments de la prise en charge.
Avant d'utiliser Kiss-1 ou d'autres ligands potentiels de GPR54 dans les anomalies de la puberté, l'actualité dans le domaine thérapeutique nous semble plutôt aller dans le sens de messages de prudence vis-à-vis de l'utilisation des médicaments modulant la puberté. Les estroprogestatifs sont utilisés depuis longtemps pour réduire la taille des filles dont le pronostic statural dépasse les normes considérées comme « socialement acceptables ». Ces traitements sont utilisés en l'absence d'enregistrement dans l'indication et n'ont pas fait l'objet d'étude de suivi à long terme jusqu'à la publication d'un travail rétrospectif australien (5) qui a analysé la fertilité des femmes traitées dans l'enfance. Les auteurs ont constaté une diminution de moitié de la fertilité et une multiplication par deux des recours à la médecine de la reproduction. Ces résultats incitent, bien sûr, à la plus grand prudence pour l'utilisation future de ces traitements. Les effets des traitement combinés par l'hormone de croissance et par les agonistes de la puberté ont été présentés au cours du récent congrès de l'Epse qui a eu lieu à Lyon par une équipe hollandaise (6). Après trois ans de traitement combiné, le gain en taille adulte est en moyenne de 4,3 cm, par rapport à un groupe contrôle. Ces résultats, relativement décevants, soulignent la nécessité d'obtenir des données complémentaires sur le sujet et contrastent avec l'utilisation relativement fréquente de cette association en l'absence d'enregistrement de cette indication. Enfin, dans le syndrome de Turner, une situation où l'utilisation des estroprogestatifs est le plus souvent indispensable pour induire les signes de la puberté, nous avons analysé l'influence de l'âge à l'induction pubertaire sur la qualité de vie à l'âge adulte (7). En effet, il était de pratique courante de retarder l'âge à l'introduction des estroprogestatifs, parfois jusqu'à 17 ou 18 ans afin de favoriser la croissance. Les données, portant sur environ 600 jeunes femmes, montrent clairement que ce retard est délétère et qu'une induction pubertaire à un âge voisin de la norme donne les meilleurs résultats à long terme.
* Endocrinologie pédiatrique et Inserm U561,
groupe hospitalier Cochin - Saint-Vincent-de-Paul, Paris.
(1) Herman-Giddens ME, Bourdony C, Slora E, Wasserman R. Early Puberty : a Cautionary Tale. « Pediatrics » 2001 ; 107 (3) : 609-610.
(2) Dode C, Levilliers J, Dupont JM, De Paepe A, Le Du N, Soussi-Yanicostas N et coll. Loss-of-Function Mutations in FGFR1 Cause Autosomal Dominant Kallmann Syndrome. « Nat Genet » 2003 ; 33 (4) : 463-465.
(3) De Roux N, -Genin E, Carel JC, Matsuda F, Chaussain J-L, Milgrom E. Hypogonadotropic Hypogonadism Due to Loss of Function of the KiSS1-Derived Peptide Receptor GPR54. « Proc Natl Acad Sci U S A » 2003 ; 100 (19) : 10972-10976.
(4) Dhillo WS, Chaudhri OB, Patterson M, Thompson EL, Murphy KG, Badman MK et coll. Kisspeptin-54 Stimulates the Hypothalamic-Pituitary Gonadal Axis in Human Males. « J Clin Endocrinol Metab » 2005.
(5) Venn A, Bruinsma F, Werther G, Pyett P, Baird D, Jones P et coll. Oestrogen Treatment to Reduce the Adult Height of Tall Girls : Long-Term Effects on Fertility. « Lancet » 2004 ; 364 (9444) : 1513-1518.
(6) Van Gool S, Kamp GA, Mul D, Waelkens J, Jansen M, Delemarre van der Waal HA et coll. Long Term Outcome of a Randomized Controlled Clinical Trial of 3 years GH and GnRH Analogue Treatment in Children Born Small for Gestational Age or with Idiopathic Short Stature with Relatively Early Puberty. « Horm Res » 2005 ; 64S1 : 52.
(7) Carel JC, Ecosse E, Bastie-Sigeac I, Cabrol S, Tauber M, Leger J et coll. Quality of Life Determinants in Young Women with Turner's Syndrome after Growth Hormone Treatment : Results of the StaTur Population-Based Cohort Study. « J Clin Endocrinol Metab » 2005 ; 90 (4) : 1992-1997.
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