LA SCLÉRODERMIE systémique (ScS) est une maladie orpheline appartenant à la famille des atteintes du tissu conjonctif. Elle est caractérisée par une fibrose du derme, mais aussi des organes et des vaisseaux, et est à différencier des morphées ou des sclérodermies localisées qui ne touchent que le derme ; ces dernières étant beaucoup plus fréquentes et de pronostic favorable. La ScS est une maladie multifactorielle faisant intervenir des phénomènes d'environnement et un fond génétique prédisposant. Parmi les facteurs de risque environnementaux, si la silice est depuis de nombreuses années bien identifiée, il existe probablement d'autres facteurs encore mal connus. Ainsi, des études ont pu mettre en évidence des liens entre certains solvants ou encore le fait de vivre près d'un aéroport et l'augmentation de la fréquence ou de la sévérité de la maladie.
Ces dernières années, différents polymorphismes de gènes ont été identifiés comme pouvant favoriser l'émergence de la maladie. Ces gènes interviennent dans les voies biologiques qui régulent la fibrose et dans les voies de l'immunité. Ainsi, lors du 21e Congrès français de rhumatologie, le Dr Philippe Dieudé, de l'hôpital Bichat, présentera un travail montrant l'association du gène IRF5, intervenant dans la régulation de l'interféron alpha, au risque de ScS et de fibrose pulmonaire. Ce gène est également impliqué dans d'autres connectivites, comme le lupus ou le syndrome de Sjögren, ce qui suggère que la ScS partagerait certains éléments génétiques communs sur les voies de régulation de l'immunité innée avec les autres maladies du groupe des connectivites.
En réalité, la physiopathologie de la ScS est mal connue et il reste à découvrir les voies spécifiques conduisant au phénotype fibrosant. Le rôle des différents facteurs de croissance (TGF-ß, PDGF, TDGF) dans les voies de régulation de la fibrose a été mis en évidence, faisant de ces facteurs des cibles thérapeutiques potentielles. Des autoanticorps, dirigés contre les récepteurs du PDGF, ont été identifiés récemment et semblaient être assez spécifiques de la maladie. Mais, aujourd'hui, des travaux montrent qu'ils seraient également présents dans d'autres affections, et même peut-être dans la population générale, remettant en cause cette spécificité. Les premiers résultats cliniques des inhibiteurs de tyrosine kinase, dont l'imatinib, tendent à tempérer les espoirs suscités par les études in vitro, mais il faudra attendre les données des études randomisées.
Le NT-proBNP.
Un des enjeux importants de cette maladie, dont les formes cliniques sont nombreuses, est de pouvoir identifier précocement les formes évolutives vers des atteintes d'organes sévères. À cette fin, le groupe européen de recherche sur la sclérodermie EUSTAR (EULAR Scleroderma Trials and Research) réalise un travail important de reclassification clinique qui a pour objectif d'identifier des formes précoces, à partir de connectivites non encore différenciées.
De nombreux travaux s'attachent également à mettre en évidence des facteurs prédictifs d'atteinte d'organe, et notamment des deux complications majeures, encore mortelles, de la ScS que sont la fibrose pulmonaire et l'HTAP. L'équipe du Pr Yannick Allanore, à l'hôpital Cochin (rhumatologie A, Pr Kahan), travaille depuis plusieurs années sur un marqueur sérique des augmentations des contraintes de charge des ventricules droit et gauche, le NT-proBNP (N terminal-pro Brain Natriuretic Peptid), précurseur du BNP. Un travail prospectif sur trois ans a démontré que les patients sclérodermiques présentant au départ un NT-proBNP élevé ou une DLCO abaissée étaient plus à risque de développer une HTAP au cours de l'évolution de leur maladie. Lors de ce congrès, le Pr Allanore présentera ainsi les résultats d'une étude transversale portant sur 80 patients sclérodermiques et montrant que le NT-proBNP a une très bonne spécificité et sensibilité pour détecter toute anomalie cardiaque survenant au cours de la maladie, qu'elle soit secondaire à une myocardiopathie ou à une HTAP débutante. Ce marqueur pourrait être, en pratique courante, un outil de suivi et d'orientation important.
Les traitements à visée vasculaire.
La prise en charge de l'HTAP a évolué ces dernières années grâce à de nouvelles molécules, comme les inhibiteurs des phosphodiestérases de type 5 (sildénafil) ou les antagonistes de l'endothéline (bosentan, sitaxsentan et ambrisentan). Ces derniers sont indiqués dans l'HTAP, même si les études existantes n'ont pu clairement démontrer leur place spécifique dans la ScS. En effet, le nombre de malades avec HTAP et ScS est souvent trop faible dans les études HTAP, qui incluent majoritairement des formes idiopathiques, pour bien définir les effets de ces produits dans le sous-groupe ScS.
Le bosentan a également l'AMM en prévention de la récidive d'ulcères digitaux. Le sildénafil n'a pas été évalué dans cette indication, mais, lors du dernier congrès américain, une présentation montrait l'efficacité du tadalafil, un inhibiteur des phosphodiestérases en développement, sur le syndrome de Raynaud et peut-être en traitement curatif des ulcères digitaux.
En revanche, les praticiens sont plus démunis face à la fibrose pulmonaire. Des essais thérapeutiques ayant évalué le cyclophosphamide n'ont pas montré de résultats pertinents sur l'évolution de la fibrose, ce qui suggère qu'aujourd'hui le cyclophosphamide ne doit plus être utilisé de façon systématique dans la ScS. Les travaux du Dr Dieudé, qui montrent une forte association entre un variant du gène IRF5 et la fibrose pulmonaire, pourraient désigner l'interféron alpha comme une cible thérapeutique potentielle et une voie de recherche future.
Une journée européenne de la sclérodermie.
Les projets de recherche sur la sclérodermie sont nombreux aujourd'hui, notamment grâce au groupe de recherche EUSTAR, qui dispose d'une importante base de données rassemblant 8 000 cas de ScS. Celui-ci participe également à des actions de formation, en organisant tous les deux ans un congrès d'enseignement pour les médecins européens, dont la prochaine édition se tiendra à l'hôpital Cochin, à Paris, en 2009. En France, le groupe de recherche sur la sclérodermie est dirigé par le Pr Jean Cabane à l'hôpital Saint-Antoine et travaille en étroite collaboration avec l'Association des sclérodermiques de France. Au niveau européen, la Fédération des associations de malades, la FESCA (Federation of European Scleroderma Associations), organisera le 29 juin 2009 une journée européenne de la sclérodermie, le Scleroderma Day, qui sera l'occasion de nombreuses initiatives d'information et d'éducation.
D'après un entretien avec le Pr Yannick Allanore, hôpital Cochin, Paris.
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