Par le Dr Françoise Laroche
L'INTERNATIONAL ASSOCIATION for the Study of Pain définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en termes d'un tel dommage ». Cette définition rend légitimes les douleurs sans lésion (fibromyalgie) et met sur un même plan les dimensions sensorielle et affective.
En effet, la douleur présente différentes composantes dont les composantes affective, émotionnelle, cognitive et comportementale :
- la composante affective et émotionnelle reflète son aspect désagréable et permet de comprendre l'évolution possible des douleurs chroniques vers l'anxiété et la dépression ;
- la composante cognitive comprend l'attention, les croyances et les interprétations vis-à-vis de la douleur ;
- la composante comportementale regroupe l'ensemble des manifestations observables du patient douloureux chronique. Ces manifestations jouent un rôle dans la communication du patient. Elles induisent des situations désirées (renforcement positif) et permettent d'éviter des situations déplaisantes (apprentissage de l'évitement).
Au bout de quelques mois (trois), une douleur, quelle qu'en soit la cause, se complique de phénomènes psychologiques, qui peuvent à eux seuls en assurer la pérennité. Il ne s'agit plus d'une douleur aiguë qui dure, mais d'une pathologie à part entière qui peut être amplifiée par des mécanismes de conditionnement.
L'évaluation clinique ne peut donc contourner les aspects psychologiques et comportementaux susceptibles d'intervenir dans l'origine, l'entretien et l'aggravation de la douleur. La douleur chronique doit être considérée comme un phénomène multidimensionnel nécessitant une approche globale somatique, psychologique et sociale.
Approche psychothérapique de type cognitif et comportemental.
La prise en charge médicale conventionnelle est en général en échec dans la douleur chronique. En effet, il est nécessaire de proposer une approche pluri- et interdisciplinaire. L'approche cognitivo-comportementale est en continuité avec cette approche globale. En effet, elle s'aide de plusieurs stratégies de traitement de manière concomitante et présente moins de clivage entre le modèle médical pur et le modèle psychologique.
L'objectif des thérapies comportementales et cognitives est de rendre le patient actif dans sa prise en charge, celle-ci étant centrée sur le « Comment faire avec ». Il s'agit d'améliorer la qualité de vie, la condition physique, le sommeil, l'humeur et le niveau de confiance, de permettre aux patients de retrouver certaines activités, y compris professionnelles, en maintenant les capacités acquises et, enfin, d'adapter les traitements médicamenteux, voire de supprimer les traitements ayant des effets indésirables importants.
Les modalités de prise en charge impliquent un contrat explicite, la définition d'objectifs réalistes, le travail en groupe, la recherche de solutions, la valorisation des activités, l'autoattribution des changements, l'apprentissage de l'autoévaluation et le passage du comprendre au faire. En effet, la façon d'aborder la douleur est fondamentale.
Processus thérapeutiques utilisés.
Les concepts mis en œuvre au cours de la thérapie comportementale et cognitive sont l'éducation et l'information à visée thérapeutique (avec reformulation des croyances sur la maladie et le rôle à adopter), l'approche cognitive (apprentissage de stratégies de coping ou « faire face » et réassurance afin de renforcer l'efficacité personnelle), la réactivation physique (pour limiter la kinésiophobie, les évitements et le déconditionnement physique), l'apprentissage de la relaxation (avec désensibilisation en imagination) et de la gestion du stress, et, enfin, l'exposition graduée (aux situations redoutées et évitées).
Travail sur les croyances.
Les patients ont des croyances erronées sur la cause de la douleur, la gravité de la maladie et son retentissement, ainsi que sur leur rôle et leurs attentes de traitement. Elles constituent un frein à la prise en charge et, lorsqu'elles sont méconnues du praticien, empêchent toute adhésion du patient.
L'une des croyances des patients est que la douleur reflète un problème de santé sérieux. Il en résulte une attention sélective à travers des signaux physiques mal interprétés, entraînant une amplification de l'intensité de la douleur ressentie. Cela peut entraîner un processus de « catastrophisme » qui se définit comme un état de focalisation exclusive du patient sur les aspects aversifs de la douleur. Cet état empêche l'adaptation du patient à sa douleur. En effet, l'adaptation du patient ou « coping » lui permet de s'ajuster, de faire avec. Ces stratégies de coping peuvent être adaptées ou au contraire dysfonctionnelles. Par exemple, il a été démontré que les stratégies dites actives (dédramatisation de la douleur, distraction, adaptation physique...) sont plus efficaces que les stratégies dites passives (évitement, catastrophisme, demande d'aide extérieure...). Ces stratégies de coping peuvent être évaluées par des instruments validés (Coping Strategy Questionnaire).
Travail sur le comportement.
L'évitement prolongé du mouvement a des conséquences négatives, physiquement (déconditionnement à l'effort) et psychologiquement (dévalorisation, anxiété, dépression). La confrontation progressive à l'effort permet une réduction progressive de cette kinésiophobie. Il y a une forte association entre les croyances de peur et d'évitement (concernant le travail, la vie quotidienne), et la perte d'emploi. En conclusion, la peur de la douleur serait plus incapacitante que la douleur elle-même.
Différents facteurs psychologiques de vulnérabilité à la douleur ont été identifiés à ce jour. Il s'agit des affects négatifs (McCracken, 1992), de l'hypervigilance (Crombez, 2004), de la dépression (Taylor, 1999), de la peur de la douleur (McCracken, 1992), du catastrophisme (Keogh, 2005), de la « sensibilité anxieuse » (Reiss, 1986) et de la « vulnérabilité anxieuse à la maladie ou aux lésions physiques » (Van Cleef, 2005).
L'Anaes cite l'intérêt de ce type de prise en charge dans plusieurs recommandations, dont la migraine en 2002 et la lombalgie chronique en 2000 : « Les thérapies comportementales sont efficaces sur l'intensité de la douleur et le comportement vis-à-vis de la douleur en comparaison d'un placebo ou d'une liste d'attente (grade C). Aucune technique n'est supérieure aux autres. Les thérapies comportementales associées à un autre traitement (exercice physique, kinésithérapie, etc.) semblent plus efficaces sur la douleur que ce même traitement seul (grade C). »
Centre d'évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Saint-Antoine, Paris.
Bibliographie médecins :
(1) Boureau F. Pratique du traitement de la douleur, éditions Doin, Paris, 1988.
(2) Boureau F, Luu M, Doubrère JF et Morel Fatio M. Le malade douloureux chronique in Douleurs. Brasseur L, Chauvin M, Guilbaud G, éditions Maloine, Paris,1997.
(3) Boureau F. Modèles théoriques cognitifs et comportementaux de la douleur chronique. « Doul et Analg » 1999 ; 4 : 265-272.
(4) Main CJ, Keefe FJ, Rollman GB. Psychological Assessment and Treatment of the Pain Patient. « Pain » 2002 ; 30 : 281-301.
(5) Pincus T, Burton AK, Vogel S, Field AP. A Systematic Review of Psychological Factors as Predictors of Chronicity/Disability in Prospective Cohorts of Low Back Pain. « Spine » 2002 ; 27 : E109-120.
(6) Moulin JF, Boureau JF, Ferreri M. La prise en charge de la douleur par la médecine comportementale in Manuel de thérapie comportementale et cognitive, chap. XX. Samuel-Lajeunesse B, Mirabel-Sarron Ch, Vera L, Mehran F et coll. Ed Dunod, 363- 375, 1998, Paris.
(7) Vlaeyen JWS. Place du concept de « peur de bouger/(ré)apparition du "mal" dans l'analyse et la réhabilitation comportementale des lombalgies chroniques ». « Doul et Analg » 1999 ; 4 : 281-288.
è8) Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Diagnostic, prise en charge et suivi des malades atteints de lombalgie chronique. Paris : Anaes 2000.
(9) Mease P. Fibromyalgia Syndrome : Review of Clinical Presentation, Pathogenesis, Outcome Measures, and Treatment. « J Rheumatology » 2005 ; 32 : 6-21.
(10)Cedraschi C. Fibromyalgia : a Randomised, Controlled Trial of a Treatment Programmme Based on Self Management. « Ann Rheum Dis » 2004 ; 63 : 290-296.
(11) Linton SJ. The Effects of Cognitive-Behavioral and Physical Therapy Preventive Interventions on Pain-Related Sick Leave : a Randomized Controlled Trial. « The Clinical Journal of Pain » 2005 ; 21 : 109-119.
(12) Vlaeyen J . Cognitive-Behaviora Treatments for Chronic Pain : what Works for whom ? « The Clinical Journal of Pain » 2005 ; 21 : 1-8.
Bibliographie patient :
(1) Boureau F. Contrôlez votre douleur, Petite bibliothèque Payot/Documents.
(2) Van Rillaer J. Les thérapies comportementales.
(3) Thevenot M-J, Boureau F. Mieux vivre avec une douleur. Exemple du mal de dos, éditions L et F.
(4) Blanchet V, Boureau F. Mieux vivre avec une douleur. Douleurs neurogènes et fibromyalgie, éditions L et F.
(5) Laroche F, Boureau F. Mieux vivre avec une douleur. Arthrose, éditions L et C. A paraître.
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