LA THÉRAPEUTIQUE par petits ARN soulève de grands espoirs, pour autant que les nombreux obstacles soient surmontés. Lorsque l’on passe des cultures cellulaires aux organismes vivants, on doit s’efforcer d’atteindre les cellules cibles, de faire franchir les membranes cellulaires, de vérifier l’absence de toxicité (compétition avec les ARN naturellement présents), d’estimer la stabilité, de vérifier les doses à administrer, de s’assurer de leur spécificité... Les écueils sont nombreux.
Chez les organismes dont le génome a été séquencé, des comparaisons fines ont permis de trouver sur des gènes les séquences qui correspondent à celles des petits ARNi, qui peuvent ensuite s’apparier aux ARNm de ces gènes.
Ces séquences sont stockées dans les banques d’ARNi mises à la disposition des chercheurs du monde entier. On sait maintenant leur associer des promoteurs qui peuvent les faire s’exprimer dans des cellules où elles sont introduites. Par exemple, il existe depuis 2004 une bibliothèque d’ARNi correspondant à 10 000 gènes humains à Cold Spring Harbor (voir article page 8).
Quelques exemples peuvent rendre compte de l’état d’avancement des recherches dans le domaine des ARNi comme voie de traitement.
Dégénérescence maculaire liée à l’âge (Dmla)
C’est le premier exemple où la thérapie par ARNi a été testée en clinique humaine. Elle a fait l’objet d’un essai de phase I aux États-Unis. Chez les 129 patients qui ont contribué à l’étude, le produit a permis de réduire la croissance des vaisseaux sanguins et la vue a même été légèrement améliorée par le bevasiranib, produit développé par la société Acuity Pharmaceuticals. L’idée est de cibler le gène responsable de la synthèse du Vegf (facteur de croissance endothéliale vasculaire) qui fait proliférer les vaisseaux de la rétine pour aborder la forme humide de la Dmla. Les essais chez des primates avaient montré un arrêt des fuites provenant des vaisseaux, par l’injection d’ARNi dans le corps vitré, à raison d’une fois toutes les six semaines.
Tumeurs cérébrales
La croissance des tumeurs cérébrales, comme celle des autres tumeurs solides, est gouvernée par la présence des récepteurs Egfr qui captent activement le facteur de croissance EGF.
Si l’on entrave par ARN-interférence la construction de ce récepteur, on empêche l’entrée du calcium Ca++ dans les cellules (il stimule la réplication des ADN et donc la prolifération).
Des chercheurs ont annoncé qu’ils sont parvenus chez des souris à faire franchir la barrière hémato-encéphalique, puis la membrane plasmique des cellules cancéreuses par des liposomes contenant des plasmides codant pour les ARNi, qui ont pu reconnaître les ARNm-Egfr, puis les ont détruits. Les liposomes ont franchi ces obstacles car ils contenaient aussi des anticorps spécifiques se liant aux récepteurs de la barrière hémato-encéphalique des souris et des cellules cancéreuses humaines. William Partridge et coll. (2004) ont observé que ces souris ainsi traitées ont survécu deux fois plus longtemps.
Cancer de la prostate
On est parvenu à faire régresser ce cancer sur un modèle animal en ciblant par ARNi des récepteurs de surface spécifiques, en l’associant à un ligand (haptamère) (McNamara et coll., juin 2006).
Sida
Les ARNi sont envisageables dans la lutte contre le VIH, car des succès très préliminaires ont été obtenus in vitro. Par exemple, des ARNi sont parvenus à détruire les ARNm des protéines de réplication du virus (Tat, Gag, Rev) dans des cultures de lymphocytes et de macrophages infectés par le virus. La réplication du virus est bloquée pendant un temps car il finit par varier et échapper aux ARNi. Il faudrait jouer avec toute une gamme d’ARNi pour contourner cette résistance. Mais là n’est pas le seul obstacle, il y a aussi celui de la variété et du nombre des cellules infectées. Les recherches foisonnent et des résultats in vitro sont publiés régulièrement.
Lutte contre les virus
En découvrant que la stratégie des ARNi existe chez les plantes et chez les animaux, on a ouvert un champ d’études prometteur, en plus du VIH. In vitro, il a été montré une efficacité contre le virus de la poliomyélite. On envisage des traitements agissant sur les protéines virales qui bloquent les ARNi. La drosophile nous a appris des choses dans ce domaine : l’étude de son génome a montré que les ARNi codés par trois gènes principaux sont impliqués dans les réactions de défense lors d’une infection virale.
Par ailleurs, on s’est aperçu que le virus de l’herpès simplex de type 1 utilise les ARNi pour se loger dans les cellules sans provoquer leur mort (état quiescent). Cet ARN maintient la cellule en vie en perturbant l’expression de deux gènes de la cellule nerveuse qui régulent l’apoptose. Et dans la plus grande discrétion : le système immunitaire s’intéresse en priorité aux protéines étrangères, pas aux brins d’ARN... (Gupta et coll., juin 2006). Par ailleurs, on a protégé des souris contre le virus herpès simplex 2 en faisant une instillation vaginale d’ARNi (contre l’enveloppe virale et contre l’ADN viral) complexés à des lipides (novembre 2005). Les ARNi ont été aussi testés chez l’animal dans l’hépatite B.
Maladie de Huntington
On a obtenu sur un modèle murin de cette maladie neurodégénérative une régression des anomalies neurologiques (symptômes et anomalies histologiques). Les ARNi étaient dirigés contre la protéine mutante, la huntingtine (Harper et coll., avril 2005).
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