BONJOUR VACHES, cochons, moutons, chèvres... La recherche vous appelle.
Trois cents bovins, 450 moutons, 450 caprins, 1 000 lapins et 80 microporcs (qui présentent l'avantage de ne peser qu'une vingtaine de kilos à l'âge adulte). Ce sont les effectifs du troupeau en cours de constitution pour le nouveau physiopôle de l'INRA. à l'UCEA (unité commune d'expérimentation animale) de Jouy-en-Josas, la bergerie est en fonction et le bâtiment des lapins qui pourra en accueillir jusqu'à 1 500 est déjà achevé. Les clapiers aux normes européennes font 1 m2 au sol sur 60 cm de hauteur. Avec un laboratoire d'analyse et une salle de surveillance postopératoire. Du grand confort. Il faut préciser, tous les animaliers vous le diront, qu'un lapin, ça peut vous mourir de peur entre les mains (voir encadré). La prise de sang est toujours délicate. Les bovins sont installés un peu plus loin, à Bressonvilliers, qui va également abriter ovins et caprins. C'est là que se trouvent déjà la quarantaine de clones et de descendants de clones nés depuis dix ans. Depuis Marguerite, la première vache clonée à l'INRA en 1998.
«Le projet de Physiopôle, ou pôle de recherche et d'expérimentation animale, nous aura pris six ans, explique Jean-Paul Renard, responsable de l'unité de biologie du développement et reproduction et père de Marguerite. Il est né du constat que les mammifères d'élevage prenaient une place de plus en plus grande comme animaux modèles pour la recherche biomédicale.»
Sur un total de 81 933 publications faisant appel à l'expérimentation sur la période 1991-2000, l'homme est le principal sujet (57 %), suivi du rat (25 %) et de la souris (16 %). Mais les animaux d'élevage atteignent le score de 15 %, soit 4,8 fois plus de vaches et 2,8 fois plus de porcs que sur la période 1966-1979. Et la tendance se confirme. Jean-Paul Renard cite le centre de recherche sur la transgenèse chez le porc financé par Monsanto à l'université du Missouri et qui est déjà opérationnel. Il était temps. Les hôpitaux de l'AP-HP, comme Cochin et l'HEGP ou l'institut mutualiste Montsouris, font partie des partenaires du physiopôle. «Les animaux à vocation agronomique deviennent des modèles d'hypothèse, de mécanisme, de prévision et de décision. Ils permettent d'analyser des phénomènes complexes mieux qu'une lignée cellulaire. L'analyse moléculaire est replacée dans un contexte tissulaire. Et l'environnement peut être pris en compte.»
L'intersexualité chez la chèvre.
Reste à choisir les bons modèles. Ainsi, la chèvre, chez qui l'intersexualité est fréquente, sert depuis quinze ans aux généticiens qui cherchent à caractériser la région génique impliquée lors du phénomène d'inversion sexuelle et des insuffisances ovariennes.
Les vaches laitières connaissent, quant à elles, depuis le début des années 1980, une baisse de fertilité tout à fait comparable à ce que l'on observe chez la femme (à ceci près qu'il s'agit d'une baisse de réussite de la gestation à la première insémination puisque les vaches ne sont plus guère menées au taureau !). Chez les femmes, le taux de prématurité augmente jusqu'à représenter 7 % des naissances. D'où le réseau PremUp, qui réunit le physiopôle de l'INRA et ses modèles animaux et les services mère-enfant des hôpitaux Port-Royal et Robert-Debré, avec mise en commun des images foetales. «On étudie aussi l'alimentation maternelle et ses effets sur le devenir des enfants à long terme et le rôle trop longtemps négligé du placenta»,poursuit Jean-Paul Renard. Un régime hypercholestérolémique chez la lapine aboutit à des lapins plus petits à la naissance qui ont rattrapé leur retard pondéral au sevrage mais présentent une obésité à l'âge adulte. «Le développement foetal du lapin peut être suivi en imagerie au bout de neuf jours, ce qui est assez pratique...»
Chirurgie animale.
Un autre atout du physiopôle, c'est la proximité du CR2I, centre d'imagerie interventionnelle dont le personnel est en tenue de salle d'op' – non-tissée verte et sabots blancs. Et pour cause ; dans cette unité INRA-AP-HP, les salles d'échographie sont des salles de chirurgie où les animaux sont opérés selon les règles de l'art. Ici, explique Michel Bonneau, responsable du centre aux côtés du Dr Alexandre Laurent (AP-HP), «on pratique la chirurgie générale, digestive, vasculaire, orthopédique, gynécologique». Une cinquantaine de modèles animaux sont disponibles : des brebis et des porcs spontanément hypercholestérolémiques (avec des plaques athéromateuses tout à fait semblables à celles de l'homme), des porcs atteints de maladie de von Willebrand (vWD), affection hémorragique autosomale identique à la vWD humaine de type 3, des modèles chez lesquels on a induit des tumeurs ou des insuffisances cardiaques, etc. Parmi les protocoles récemment évalués au CR2I, on peut citer les prothèses endo-aortiques, un nouveau produit Hydrocoil, les embolisations d'anévrismes ou de tumeurs par des microsphères. C'est d'ailleurs ici que des médecins viennent apprendre à réaliser des embolisations. «Les animaux arrivent prémédiqués et sont complètement endormis sur place; ils sont tous intubés pendant l'opération. Ils sont réveillés, désintubés, souligne Michel Bonneau, et sont envoyés en convalescence à la ferme, lors des protocoles d'orthopédie ou sacrifiés pour effectuer des prélèvements.» Tous les tissus et prélèvements (foie, tumeur, tube digestif) sont analysés et conservés dans les plasmathèque et tissuthèque du CR2I. C'est obligatoire dans le cadre des évaluations de protocoles qui pourraient être menés chez l'homme.
Du souriceau au veau.
Il arrive aussi que la recherche puisse faire coup double et produire des résultats aussi utiles à l'homme qu'à l'animal. Ainsi du virus respiratoire syncytial, qui affecte aussi bien les nouveau-nés en provoquant des bronchiolites que les élevages de veaux. «Le veau est un animal à la fois cible et modèle pour le développement d'un vaccin contre la bronchiolite du nouveau-né», insiste Sabine Riffault, du département de virologie et immunologie moléculaire. Mais les essais concluants de vaccination pratiqués chez le souriceau se sont révélés décevants chez le veau avec une protection qui n'était plus que partielle. D'autres pistes vont donc être explorées. Comme quoi avant de passer au nourrisson, mieux vaut tester le veau que le souriceau.
Le futur centre Charles-Thibault
Le physiopôle doit aussi comprendre un centre de bioéthique, baptisé du nom du chercheur qui a réalisé, à Jouy-en-Josas, en 1956, la première FIV de mammifère sur la lapine, Charles Thibault. Selon Jean-Paul Renard, ce centre devrait permettre d'enrichir le débat éthique sur les liens entre l'homme et l'animal. Mais il n'y a pas encore de financement prévu. L'éthique, cela ne doit pas être seulement des formulaires à remplir par les chercheurs lorsqu'ils font une expérimentation sur l'animal. Mais une réflexion sur le choix des modèles, sur les pratiques innovantes, etc. Cette réflexion doit être pluridisciplinaire incluant la représentation de l'animal dans la société. L'INRA vient, d'ailleurs, à travers un documentaire « Paroles d'animaliers », de recueillir le témoignage des animaliers (ils sont soixante-cinq), qui sont à la fois garants du bien-être animal et de la qualité des expérimentations.
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