LA LIGUE contre le cancer avait marqué les esprits en lançant en janvier sa percutante campagne de communication. Les affiches et les spots télévisés montraient quarante témoignages parmi les deux millions de personnes qui vivent ou ont vécu avec un cancer en France, baptisées «héros ordinaires». Des parcours de vie, brisés par la maladie, puis reconstruits à travers un projet personnel ou professionnel. Or, bien souvent, derrière ces deux millions de malades, veillent, dans l'ombre, quatre autres millions. Que l'on appelle proches, aidants, accompagnants.
Les Laboratoires Novartis ont organisé un colloque, à Paris, pour cerner les représentations sociales de l'entourage des personnes malades, les tabous et les préjugés qui les entourent, avec à l'appui trois enquêtes. La première (Admire) analyse le discours des médias. Les aidants sont totalement absents des médias audio-visuels, admet Bruno Rougier, responsable sciences et santé de France Info. «Parler d'eux se fait à travers leur vie quotidienne. Or, malheureusement, l'audio-visuel exige une accroche actualité. Les accompagnants n'ont d'ailleurs que peu de visibilité, ou bien est-ce un manque de revendications? Ce qui fait que, à notre niveau, nous ne percevons pas de message fort. Peut-être faudrait-il monter une association transversale, qui réunirait des aidants, quelle que soit la pathologie de leur proche. J'ai noté, cependant, quand j'interviewe des malades, qu'ils ne parlent pas spontanément de leurs proches, par pudeur sans doute.»
Il y a un code social, répond Emmanuel Hirsch, directeur de l'espace éthique de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, «qui fait qu'un malade parle généralement de sa maladie au sens purement pathologique, sans aborder les personnes qui l'accompagnent. Il faut faire attention aussi à ne pas imposer une image du “bon proche”. »
La personne aidante existe en revanche dans les études, assure Gaël Sliman, directeur du département santé de l'institut de sondages BVA, évoquant trois enquêtes récemment réalisées pour le compte de grandes associations de malades. «Nous avons pu constater une grande difficulté financière des aidants, dont le profil est essentiellement féminin et qui souffrent à un point que l'on n'imagine pas.» Quant à la pub, elle ne semble pas considérer l'aidant comme une cible de marketing. «L'aidant familial fait partie de ces réalités, comme la diversité raciale ou les familles recomposées, qui sont négligées par la publicité, expliquele publicitaire Nicolas Riou. La souffrance ne fait pas vendre. Et l'aidant n'est pas une cible commerciale à part entière, du moins en France, elle n'entre pas dans une case.Ce serait pourtant sûrement intéressant d'utiliser cette image-là pour véhiculer des valeurs d'amour, de solidarité. Mais, de mémoire, la dernière pub qui abordait le sujet, c'était celle qui, dans la campagne Benetton, montrait des personnes au chevet d'une personne mourant du sida. Elle avait provoqué un tollé. Donc, il ne faut pas s'étonner que les publicitaires ne s'aventurent pas sur ce champ-là. Ce n'est peut-être pas à eux de s'en mêler.»
Entité dérivée.
La deuxième enquête menée par Novartis situe l'entourage du malade dans le discours des associations (Predam). «Les textes publiés par les associations ont tendance à privilégier une vision pragmatique des proches, notamment en soulignant la contribution de l'entourage au processus qui amène au diagnostic et à la prise en charge médicale, analyse Andréa Semprini, directeur de l'institut d'études Arkema. Elles semblent réticentes à aborder la question de l'affect. Leur discours part toujours des malades, les proches apparaissent ensuite comme une entité dérivée. Seules quelques-unes mettent en avant le rôle de l'entourage comme béquille affective du malade.»
L'étude Asped, quant à elle, confirme, par une analyse « sémio-juridique », la place de l'entourage dans les textes normatifs de droit français.
Mais il y apparaît clairement que l'entourage personnalisé ne jouit pas d'un statut à part entière. «Quand il y a reconnaissance, elle est intéressée, indique Coline Klapisch, directrice de recherche à l'institut d'études Arkema. On en appelle au sens civique, pour faire prendre en charge financièrement l'entourage.»
Avec l'allongement de la durée de vie et de la dépendance, l'assistance familiale directe est devenue moins facile. «Aider un parent âgé était plus simple avant, c'était même naturel. Aujourd'hui, il y a des familles qui réclament un salaire. Du coup, la frontière entre aidant et bénévole devient de plus en plus mince», souligne Christine Legrand, du journal « la Croix ». Les aidants ne peuvent pas s'improviser, ajoute Françoise Demoulin, présidente de l'Alliance nationale des associations en milieu de santé (Anams), «et s'écartent de plus en plus car les pathologies sont de plus en plus lourdes».
«Les accompagnants sont secoués au gré des aléas, des découvertes, des espoirs, parfois des fausses bonnes nouvelles», insiste encore Christian Saout, président à la fois d'Aides et de la Conférence nationale de santé, qui milite pour «une loi Kouchner2», car «l'entourage est complètement absent de la loi de 2002».
Sébastien Hauger, chercheur à l'université de Genève et au Centre européen de recherche en éthique des universités, reste plus optimiste, notamment au vu du droit européen du Conseil de l'Europe, qui donne des impulsions au droit français. «La loi de 2002 n'a certes pas accordé de statut à l'entourage, mais au moins a- t-elle instauré la personne de confiance »*.
Valoriser la solidarité.
Entité dérivée, entité improvisée, ni la loi ni les études ne savent trop comment définir ces aidants. Les données statistiques manquent, relève Florence Weber, chercheur au centre d'études de l'emploi. «Pourtant, l'enjeu économique est considérable.» La question ne semble pas cependant se poser à ce seul plan. «Il faut valoriser les gestes de solidarité», implore Atanase Perifan, président de la Fédération européenne des solidarités de proximité et créateur de l'événement Immeubles en fête – la fête des voisins. «Il faut aider les aidants, ces aidants au carré, victimes de la souffrance, au deuxième degré.»
Novartis Pharma a créé en France un service santé et proximologie, structure de coordination, recherche et services. Le directeur de la communication, Hugues Joublin, a conclu sur le rôle du professionnel de soin, «acteur clé, capable de repérer l'essoufflement de l'aidant».
www.proximologie.com * La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades prévoit que toute personne majeure hospitalisée en France peut nommer une personne de confiance qui l'accompagnera lors de son hospitalisation. Cette personne peut être un médecin traitant, un parent ou un proche majeur. Elle peut seconder le malade dans toutes ses démarches administratives au sein de l'établissement d'accueil.
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