Le dernier congrès francophone d’allergologie a réuni plus de 2?500 participants. Fil rouge de cette septième édition, les allergies cutanées ont été largement abordées avec notamment?de?nombreuses sessions dédiées à la dermatite atopique dont les mécanismes physiopathologiques sont de mieux en mieux compris.
Une maladie de la barrière cutanée ?
La dermatite atopique a longtemps été considérée comme l’expression, au niveau cutané, d’un dysfonctionnement immunologique interne, aggravé par des facteurs exogènes environnementaux. Mais cette conception dite « inside-outside » est aujourd’hui battue en brèche, plusieurs publications récentes plaidant pour une conception inverse (« outside-inside ») où le primum movens de la maladie serait en fait une altération de la barrière cutanée.
Des études basées sur la mesure de la perte insensible en eau cutanée avaient déjà montré que l’épiderme de sujets atteints de dermatite atopique était davantage perméable que celui de sujets sains avec une corrélation entre le niveau de perméabilité et la sévérité des lésions. « Des travaux génétiques récents ont confirmé cette notion de “déficit de barrière épidermique” associée à la dermatite atopique, en mettant en évidence chez environ 30 % des sujets, des mutations du gène codant pour la filaggrine, une protéine indispensable à l’intégrité structurelle et fonctionnelle de la couche cornée et du film hydrolipidique de surface », indique le Pr Jean-François Nicolas, immuno-dermatologue à Lyon et membre du comité d’organisation du congrès.
Chez les patients non porteurs de ces mutations de la filaggrine, d’autres anomalies génétiques, concernant diverses molécules de structure?épidermique, pourraient être en cause, comme le suggèrent certains travaux.
Par ailleurs, « il est aussi probable que des facteurs épigénétiques – exposition aux polluants, mauvaise qualité de la flore cutanée et digestive, stress psychologique – altèrent la transcription du gène de la filaggrine pour aboutir à un défaut de barrière épidermique chez des patients ne présentant aucun déficit au niveau des gènes », avance le Pr Nicolas.
Une boucle pathogénique auto-entretenue
Dans tous les cas, « la problématique initiale de la dermatite atopique ne serait donc pas immunologique mais bien cutanée, l’épiderme n’exerçant pas correctement sa fonction barrière », résume le Pr Nicolas. Ce déficit fonctionnel permettrait aux allergènes de l’environnement (pneumallergènes mais aussi allergènes alimentaires) de pénétrer dans l’enveloppe cornée puis d’interagir ensuite avec les cellules présentatrices d’antigène pour aller stimuler la production de lymphocytes T effecteurs spécifiques. Après cette phase de sensibilisation, ces lymphocytes T seraient à même d’activer la cascade de l’inflammation cutanée responsable des manifestations cliniques de la dermatite atopique. Avec, notamment, une sécrétion accrue de cytokines elles-mêmes capables de majorer les altérations de la couche cornée, aggravant et entretenant la boucle pathogénique de la dermatite atopique. Certains travaux suggèrent par ailleurs qu'une partie des?signaux?pro-inflammatoires générés au niveau de la peau pourrait agir à distance notamment au niveau bronchique.
Les émollients, un traitement de fond essentiel
Dans ce contexte, la restauration de la barrière cutanée apparaît primordiale. « Les émollients ne doivent plus être considérés comme un simple traitement d’appoint ou de confort mais deviennent le traitement de fond essentiel de la dermatite atopique puisqu’ils jouent sur la composante physiopathologique la plus importante à l’origine des poussées, insiste le Pr Jean-François Nicolas. Leur utilisation doit être quotidienne ou biquotidienne, et intéresser l’ensemble du tégument et pas seulement les lésions cutanées. » À plus long terme, cette nouvelle approche physiopathologique ouvre aussi des perspectives de traitements ciblés. Par exemple, comme l’a expliqué le Pr Thomas Bieber (Bonn) lors de la conférence internationale du congrès, on pourra peut-être à l’avenir, à partir d’un prélèvement de sang de cordons, identifier dès la naissance les sujets ayant une mutation du gène de la filaggrine. Puis, grâce à une analyse fonctionnelle, évaluer l’impact de la mutation sur la fonction barrière. Et proposer, le cas échéant, des traitements à même d’augmenter l’expression de la transcription de ce gène. « Ces stratégies sont déjà en développement dans certains laboratoires de recherche », précise le Pr Bieber.
Vers une prise en charge stratifiée ?
D’autres mutations portant sur des gênes responsables d’anomalies de structure de la peau ou intervenant dans la cascade inflammatoire pourraient être recherchées et ciblées de la même façon. Avec, en toile de fond, l’espoir de pouvoir un jour proposer une prise en charge stratifiée en fonction de différents biomarqueurs. Lesquels permettraient d’identifier très tôt, pour chaque patient, les anomalies en cause, mais aussi de prédire l’évolution et la sévérité de la maladie et la réponse à tel ou tel traitement.
Un peu à l’image de ce qui pourrait se faire un jour dans l’asthme avec le concept des phénotypes.
Du nouveau aussi dans l’asthme
Cette notion de phénotype de l’asthme est un autre sujet qui a également été largement abordé lors du congrès comme le souligne le Pr Pascal Demoly, président de la Société française d’allergo-
logie et coprésident du congrès. Depuis quelques années, face à l’hétérogénéité de la maladie asthmatique, la tendance est en effet au regroupement des patients par phénotypes en tenant compte des différentes formes cliniques, des facteurs favorisants, des données biologiques et des comorbidités. « Si pour le moment on ne sait pas encore très bien quoi en faire, reconnaît le Pr Demoly, cette approche pourrait permettre à terme d’optimiser la prise en charge thérapeutique notamment dans l’asthme sévère ».
Des travaux récents ont par exemple permis d’isoler un nouveau phénotype d’asthme sévère dans lequel l’augmentation des doses de corticoïdes inhalés telle que préconisée dans les recommandations est sans effet. « Il s’agit généralement de femmes, le plus souvent obèses et fumeuses », rapporte le Pr Demoly. Chez ces patientes, « ça ne sert à rien d’augmenter les doses de corticoïdes et mieux vaut augmenter les bronchodilatateurs et travailler sur le surpoids ».
L’amélioration de la prise en charge des asthmes sévères pourrait aussi venir des futurs traitements en développement. « Une association fixe de fluticasone et bêta-mimétiques longue durée d’action à prise quotidienne unique, actuellement à l’étude, pourrait permettre d’améliorer l’observance », indique le Dr Jean-Pol Dumur, président de l’Anaforcal et coprésident du congrès.
Des anti-interleukines (anti-IL5, anti-IL 13, etc.) sont aussi dans les pipelines mais avec, pour le moment,
« des résultats décevants et de nombreux effets secondaires ». L’intérêt des anti-IgE, en revanche, semble acquis. Une méta-analyse récemment publiée vient en effet de confirmer l’efficacité de l’omalizumab dans l’asthme allergique sévère, en permettant versus placebo une réduction de 50 % de la posologie quotidienne de corticostéroïdes inhalés, et une diminution de 45 % des exacerbations. Compte tenu de cette efficacité, « les anti -IgE sont aussi à l’étude dans d’autres aspects de la pathologie allergique comme la prévention des accidents anaphylactiques chez les sujets présentant des allergies sévères à l’arachide », rapporte le Dr Dumur.
Dans cette pathologie, des essais d’immunothérapies épicutanées sont également en cours avec des premiers résultats qui semblent prometteurs (lire ci-dessus). Enfin, toujours dans le domaine des allergies alimentaires plusieurs communications ont aussi mis en exergue les allergènes alimentaires émergents (voir p. 16) avec notamment « beaucoup de choses sur les hydrolysates de blé », souligne le Pr Demoly. Issu des procédés de fabrications de l’industrie agroalimentaire, ce néo-allergène serait responsable d’environ 1 % des réactions anaphylactiques sévères.
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