C'EST UN ÉTRANGE PARADOXE. Alors que la plupart des responsables de syndicats de médecins libéraux se félicitent, ouvertement ou mezza voce, de la victoire de Nicolas Sarkozy – un gouvernement de droite étant supposé plus enclin à prêter une oreille attentive à leurs préoccupations –, les mêmes leaders s'inquiètent d'un plan de redressement qui interviendrait dès cet été, et qui serait rendu inévitable pour endiguer la dérive des dépenses maladie. Un plan qui pourrait comporter des mesures immédiates douloureuses, n'épargnant ni les assurés ni les professionnels de santé. Pourquoi cette crainte ?
Ces dernières semaines, la perspective d'une alerte sur les dépenses d'assurance-maladie s'est imposée dans les esprits en raison de l'impossibilité avérée de rester dans les clous du dernier objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam 2007), très ambitieux, voté à l'automne dernier par le Parlement (+ 2,6 %). Cette hypothèse de la « sortie de route » a été accréditée par le comité d'alerte lui-même (voir encadré). Dans un avis publié le 6 avril, il estimait que, «compte tenu des évolutions constatées» sur les premiers mois de 2007, il faudrait que les économies prévues soient «intégralement réalisées» pour contenir les dépenses en deçà du seuil de 0,75 % de dépassement de l'objectif.
Un mois plus tard, «il n'y a pas d'élément nouveau» susceptible de changer la donne,confie au « Quotidien » un des trois « sages » du comité. Malgré un mois de mars «un peu meilleur» que janvier et février, «qui étaient très hauts», la progression du poste des soins de ville (autour de 4 % sur le premier trimestre) reste largement supérieure au taux draconien autorisé par le Parlement pour ce secteur en 2007 (+ 1,1 %). Un écart qui ne pourra être comblé. «Il y a la tendance actuelle sur les dépenses de soins de ville, mais, surtout, un effet de base qui résulte du dépassement important de 2006»,rappelle ce même expert (l'objectif des dépenses maladie avait été dépassé de 1,2 milliard d'euros l'an passé).
Plusieurs leviers d'action.
C'est dans ce contexte que le comité d'alerte doit se réunir cette semaine, à plusieurs reprises, pour «affiner» son diagnostic. Et arrêter la date à laquelle il rendra son avis officiel, le troisième de son histoire, le débat portant sur l'opportunité de laisser passer les législatives ou de respecter les délais habituels (avant le 1er juin).
Face à une procédure d'alerte sur les dépenses maladie 2007, quelle réponse apportera le nouveau gouvernement ? Tout est ici affaire de dosage. Selon un connaisseur du dossier, le pouvoir peut toujours être tenté de «frapper vite et fort» pour endiguer la dérive des dépenses avec un « paquet » de mesures d'urgence. L'an passé, le gouvernement n'avait-il pas décidé une baisse provisoire des tarifs des cliniques et des mesures « comptables » sur certains actes de biologie ? Moins risquée politiquement, la deuxième hypothèse consisterait à faire adopter cet été une loi de financement de la Sécurité sociale rectificative (Lfss), permettant d'actionner plusieurs leviers (coup de pouce sur l'Ondam 2007 pour franchir un cap difficile, vote de nouvelles recettes, mesures structurelles). Bien qu'inédite, cette procédure a des partisans. Du côté de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam), on «se prépare» à toutes les hypothèses ,avec une «palette de mesures» parmi lesquelles il sera possible de «piocher» le moment venu . «On ne veut pas s'enfermer dans le conjoncturel, on travaille déjà pour 2008», précise-t-on du côté de la caisse.
Rallonge budgétaire.
La profession, de son côté, est déjà sur le qui-vive. Certains responsables ont réclamé une « rallonge » financière immédiate au profit de la médecine libérale en 2007. Cette requête en dit long sur les inquiétudes. «Tout le monde sait que le taux de 1,1% pour les soins de ville est intenable, analyse Michel Chassang, président de la Csmf (Confédération des syndicats médicaux français). Et tous les économistes s'accordent sur le fait que, pour répondre aux épidémies, aux progrès thérapeutiques et au vieillissement, le niveau de progression des dépenses maladie doit être supérieur de1 à 1,5point à celui de la croissance.» Le message est clair : les médecins libéraux ne pourront être tenus responsables du dépassement d'objectifs «notoirement sous-évalués». «La pire erreur du gouvernement serait d'arrêter des mesures intempestives», martèle Michel Chassang . La Csmf réclame non seulement un « bonus » budgétaire pour 2007, mais, pour 2008, une réflexion globale sur l'adéquation entre les ressources et les dépenses utiles «qui ont vocation à augmenter».Ce qui signifie ouvrir la discussion sur la médicalisation des objectifs, le financement de l'assurance-maladie et le « panier de soins » remboursables.
Autant de pistes pour la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale, qui se construira dès juin prochain. Sans faire de «procès d'intention» au futur gouvernement, le Dr Dino Cabrera, président du SML (Syndicat des médecins libéraux), juge lui aussi que «l'objectif 2007 [assigné aux soins de ville] est beaucoup trop bas» et «doit être revu dans une loi rectificative» dèscet été . S'il voit mal comment un gouvernement tout juste installé pourrait «taper sur les assurés et les médecins», ilaffiche sa vigilance. «L'heure n'est pas à la mobilisation générale, dit-il. Mais nous allons prendre immédiatement des contacts et voir ce que le ministre a l'intention de faire. S'il le faut, on s'exprimera.» Le Centre national des professions de santé (Cnps) pourrait également mobiliser ses relais départementaux dès les législatives. Et alerter les députés sur la question de l'Ondam. Pour le Dr Jean-Paul Hamon, chef de file de la FMF-Généraliste (Fédération des médecins de France), un plan de redressement brutal signifierait que le gouvernement «engage l'épreuve de force et veut mettre au pas les médecins». La nouvelle équipe, qui sera dévoilée en fin de semaine, est prévenue. Son état de grâce pourrait être de courte durée.
Trois experts chargés de sonner l'alarme
Créé par la réforme de 2004, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses maladie réunit trois experts indépendants : il est composé du secrétaire général de la commission des comptes de la Sécurité sociale, François Monier, du directeur général de l'Insee, Jean-Michel Charpin, et du directeur de l'institut de conjoncture Rexecode, Michel Didier. En cas de «risque sérieux» d'un dépassement de l'objectif supérieur à 0,75 % pour l'exercice en cours (ce qui signifie un dérapage d'au moins 1,1 milliard d'euros en 2007 avec un Ondam à 144,8 milliards d'euros), le comité notifie un avis d'alerte au Parlement, au gouvernement et aux caisses nationales d'assurance-maladie au plus tard le 1er juin. Celles-ci sont chargées de proposer sous un mois des mesures de redressement.
L'influence de la Cfdt, autre source d'inquiétude
Au-delà des impératifs comptables, l'autre motif d'inquiétude des médecins libéraux tient au rôle que jouera la Cfdt dans les prochains mois. François Fillon, ultrafavori pour le poste de Premier ministre, a l'intention de s'appuyer sur un pôle réformiste autour de la centrale cédétiste. Or les dernières interventions de ce syndicat ne vont guère dans le sens d'un soutien aux médecins libéraux. En mars, le président Cfdt de l'Uncam, Michel Régereau, avait condamné l'avenant n° 23 à la convention sur les revalorisations d'honoraires ,jugeant qu'il augmentait le risque de dérive des dépenses, de déclenchement d'une procédure d'alerte et, ce faisant, celui «de pénaliser à nouveau les malades et les assurés». Mi-avril, Gaby Bonnand, autre responsable Cfdt, a enfoncé le clou en refusant que «les salariés et les patients soient la seule variable d'ajustement conjoncturelle pour réguler les dépenses».En clair, si les comptes dérapent, les médecins doivent être mis à contribution. Quelques jours plus tard, la charge est plus explicite encore : la Cfdt demande – sans succès – au gouvernement de ne pas publier le décret sur l'augmentation du C à 22 euros au 1er juillet en raison de la forte augmentation des dépassements d'honoraires. Un gel du C que le syndicat suggérait de mettre à profit pour «revoir les modes de rémunération des médecins».
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