A la fin de septembre dernier, « le Journal Officiel » publiait la liste de 82 médicaments à SMR (service médical rendu) insuffisant, et désormais non remboursés par la Sécurité sociale depuis le 25 octobre. Mais cette première vague de déremboursements (normalement prévue pour être suivie de deux autres au cours des étés 2004 et 2005), et dont Jean-François Mattei espère environ 40 millions d'euros d'économies en année pleine pour l'assurance-maladie, a eu un « effet secondaire » sur les médicaments concernés, dont les prix se sont envolés dans des proportions parfois importantes.
Exemple pris dans une officine du VIe arrondissement de Paris : « Avant, le collyre " B12 Allergan »"m'était facturé à 1,37 euro la boîte de dosettes, indique la pharmacienne au « Quotidien » ; aujourd'hui, je la paie environ 7,50 euros. Si vous ajoutez à ça la TVA qui est passée sur ces produits déremboursés de 2,1 % à 5,5 %, ça fait une sacrée augmentation pour des médicaments qui, en outre, ne sont plus remboursés par la Sécu. Quant aux autres médicaments déremboursés, je ne sais pas trop, mais s'ils ont augmenté, ça ne m'a pas fait autant tiquer ». Au Laboratoire Allergan, le service communication se refuse à tout commentaire : « Nous n'avons pas l'habitude de communiquer sur les augmentations de prix », dit-on. Mais, le P-DG des laboratoires Allergan, Mir Nizam, a précisé à l'AFP que ces augmentations « étaient attendues ». Pour lui, ces hausses trouveraient leur origine dans la hausse des frais de distribution et de publicité de ces médicaments, et par la hausse de la marge des grossistes et pharmaciens.
Une spirale diabolique
Mais dans ce processus de déremboursement, tous les médicaments ne sont pas logés à la même enseigne. Au laboratoire Crinex, qui produit le Spasmodex, l'un des produits visés par cette première vague de déremboursements, le directeur général, Nicole Lèbre, se veut pragmatique : « Le Spasmodex ne représentait, de toute façon, qu'une faible part de notre chiffre d'affaires, et nous avons choisi de ne pas l'augmenter ». Nicole Lèbre tient d'ailleurs à rappeler que, en 1987, des déremboursements avaient affecté des médicaments vitaminiques : « Nous avions, déjà à l'époque, un médicament d'apport vitaminique pour les enfants sous allaitement, l'Uvesterol ; quand il a été déremboursé, nos ventes ont sensiblement chuté, mais pour autant nous ne l'avons pas augmenté. Comme ce médicament avait une utilité thérapeutique, il a recommencé à se vendre, et aujourd'hui nous le produisons à 2,5 millions d'exemplaires par an. » Malgré tout, Nicole Lèbre n'apprécie que modérément cette politique de déremboursement : « Nous n'augmentons pas nos prix par respect pour le patient, mais il faut savoir que notre baisse de chiffre d'affaires affectera en priorité notre recherche appliquée. Pour nous, ces déremboursements sont catastrophiques. »
De son côté, Bernard Capdeville, président de la fédération des syndicats des pharmaciens de France (FSPF) estime que « il y a une règle malthusienne constante qui veut que quand on perd en volume, on se rattrape sur le prix unitaire ; c'est une spirale diabolique ». Mais sur le fond, Bernard Capdeville se veut réaliste et ne croit pas trop à une flambée des prix de ces médicaments : « Avant d'être déremboursés, un certain nombre d'entre eux étaient déjà en état de coma avancé, et à trop les augmenter, on les tuerait ; il y aura sûrement ici ou là des reports de prescription sur des médicaments remboursables, mais sans plus. »
Un point de vue partagé par le Dr Pierre Costes, président de MG-France : « Dans certains cas, ces déremboursements accompagnés de hausse des prix provoqueront un glissement de prescription, mais le plus souvent on va assister à une réduction du volume des prescriptions, ce qui était le but recherché. En matière de prescription en France, on part de tellement haut qu'on ne peut se permettre de maintenir un tel volume. C'est aussi une question de santé publique. »
Un avant-goût de 2004
Enfin, au Laboratoire Bouchara-Recordati, qui fabrique notamment le Néocodion qui fait partie de la liste des médicaments déremboursés, le directeur général, Frédéric Soubeyrand note que, « dans tous les cas de déremboursement de médicaments, même si le labo n'augmente pas son prix, les grossistes répartiteurs et les pharmaciens le font ». Selon Frédéric Soubeyrand, « un produit déremboursé perd entre 60 % et 80 % de ses volumes de ventes, il est donc normal qu'il y ait des ajustements tarifaires ». Sur le Néocodion, le directeur général joue la carte de la transparence : « Il s'agit d'un médicament qui se vendait déjà beaucoup hors prescription ; nous avons augmenté notre prix de 28 %, mais en comptant les augmentations des grossistes et des pharmaciens, le patient va le payer environ 40 % plus cher. » Et il se livre, pour finir, à une analyse globale de la situation : « Il est normal que les patients soient un peu perturbés par ce qui se passe actuellement, car il ont été habitués pendant des décennies à une logique d'économie de la santé administrée. On est en train, avec les déremboursements, de passer à une logique de marché, et c'est un changement qui peut être source de perturbation pour les patients. Cela dit, ces hausses de prix sur les médicaments déremboursés, c'est un peu la préfiguration de ce qui pourrait se passer en 2004 si la deuxième vague de déremboursements prévue pour 400 médicaments a bien lieu. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature