« L'Ordinaire », de Michel Vinaver

Déplacement d'une question

Publié le 24/02/2009

Article réservé aux abonnés

ENTRÉE au répertoire de « l'Ordinaire », de Michel Vinaver. L'auteur a toujours été en prise directe avec son temps et sa première uvre dramatique d'importance, « les Coréens », était inspirée de la guerre de Corée. Pour « l'Ordinaire », il était parti d'un atroce fait divers : en 1972, après le crash de leur avion dans la Cordillère des Andes, des étudiants, sportifs et très éduqués, avaient survécu en se résignant à manger la chair de leurs camarades décédés. Cette transgression d'un tabou socio-culturel universel, avait tétanisé et questionné nos sociétés avancées.

Lorsque la pièce fut pour la première fois mise en scène, en 1983, on pensait à cette problématique. Aujourd'hui, et c'est bien la force d'une grande uvre, on entend autre chose. Comme il s'agit des membres d'une société américaine en tournée en Amérique du Sud, comme le P-DG et sa garde rapprochée de direction est là, et qu'ils ne cessent de parler, de se projeter dans l'avenir pour mieux « tenir », on est saisi par le discours du capitalisme. Et alors que la crise frappe les pays occidentaux - et pas seulement -, c'est la sauvagerie du capitalisme que l'on entend, de conversations exaltées en considérations plus feutrées. C'est un glissement qui témoigne de la plasticité d'une grande uvre dramatique.

Évidemment, la question de l'anthropophagie n'est en rien évacuée. Mais on y prête une autre attention. Question de décor et de mise en scène aussi : au Français, on est dans l'abstraction et dans une ouverture en oratorio. Les comédiens sont remarquables : onze à tenir leurs personnages, les situations et cette langue tellement particulière. C'est un peu austère, mais non ennuyeux.

Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu'au 19 mai. Horaires différents selon les jours. Durée : 2 h 40 sans entracte. Les uvres complètes de Michel Vinaver sont publiées par Actes Sud. Tél. 0825.10.16.80, www.comedie-francaise.fr.

A. H.