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« DES QUE nous nous trouvons confrontés à l'autisme, nous sommes devant l'inconnu, ressentons une certaine fascination mêlée de phases d'impuissance. De tels sentiments ne s'accordent guère avec la solitude, il faut parler, échanger, confronter, essayer, remettre en cause, réussir sans qu'on comprenne toujours pourquoi, échouer sans pouvoir en retenir les causes », explique Michel Lemay. Complexes et encore mal connus, l'autisme et ses troubles apparentés, qui constituent des troubles gravissimes de l'identité, sont diversement analysés et pris en charge selon la conception de la maladie, souvent âprement défendue, par tel ou tel spécialiste. Les enfants malades comme leurs parents sont nombreux à avoir souffert de ces rigidités et de ces dogmatismes.
Il est possible de sortir de cette impasse tragique à condition de ne pas rester dans des positions théoriques univoques où chacun renvoie à l'autre l'image de ses dérives possibles, soutient Michel Lemay. Sans parti pris infondé ni langue de bois, son ouvrage s'y emploie avec énergie. Les conceptions des uns et des autres sont présentées avec objectivité, avant d'être éventuellement critiquées, sans jamais céder aux simplifications, et les positions idéologiques confrontées honnêtement.
La tâche était pourtant ardue s'agissant d'un sujet complexe et encore plein d'inconnues : « J'invite le lecteur à me suivre dans une quête difficile, puisqu'elle concerne un syndrome dont les limites, les causes, les évolutions et les formes de traitement demeurent imprécises », dit l'auteur en préambule.
Diagnostics différentiels.
Un long chapitre est consacré aux manifestations de l'autisme et à leur diagnostic, qui nécessite du temps pour l'observation et le dialogue, des moyens humains (pédopsychiatres, psychologues, psychomotriciens, etc.) et techniques parfois (enregistrement vidéoscopique, protocoles d'ados, par exemple), puisqu'il s'agit d'analyser le rapport de l'enfant autiste avec son corps, avec le temps, avec la causalité, entre autres.
Si l'étiologie de l'autisme n'est probablement pas univoque et reste mystérieuse, un certain nombre de progrès permettent d'éliminer certaines causes et de faire des diagnostics différentiels pertinents. Si Michel Lemay accorde aux théories psychanalytiques un intérêt dans l'analyse du sens éventuel des symptômes autistiques, il en conteste fermement et sévèrement de nombreux aspects. « J'ai souvent l[212]impression que l'enfant autiste présenté est en partie une construction hallucinatoire tantôt freudienne, tantôt kleinienne, tantôt lacanienne », écrit-il, avant d'ajouter : « Je ne peux pas admettre que des praticiens se permettent encore de faire porter le poids de l'origine autistique à des mères ou à des pères en laissant filtrer dans leur discours des thèmes autour de la forclusion, de la symbiose maternelle, de la dépression précoce, des projections mortifères et des désirs aliénants. »
Dialogue entre les spécialités.
En matières d'autisme, toute réflexion doit s'appuyer sur des cas d'enfants correctement diagnostiqués, ce qui ne peut se faire avec certitude avant 24 ou 30 mois, et ce qui nécessite aussi des outils et des définitions cliniques validés et acceptés par tous. Michel Lemay plaide pour l'ouverture, le dialogue entre les spécialités et déplore la scission radicale entre les tenants des courants psychodynamiques et ceux des orientations cognitives et neurobiologiques. Les uns pèchent parfois par leur absence de rigueur et leur excès de « réflexions énigmatiques », les autres, par leur absence de chaleur et leur excès de croyances magiques dans les chiffres et la cotation, explique-t-il. Les choses sont en train de changer, les clivages, de s'estomper, et le tri entre les pratiques positives ou négatives pour les enfants, de se faire pour partie sous la pression des associations de parents qui ont imposé aux praticiens de sortir de leurs tours d'ivoire. Ce discours vécu d'abord comme irritant a remis en cause nos désirs hégémoniques, a fait vivre aux pédopsychiatres une crise identitaire salutaire en leur rappelant une vérité essentielle, que « c'est par le doute que nous avançons », conclut Michel Lemay.
Il faut que les choses bougent.
En France, il est grand temps, en effet, que les choses bougent, souligne Patrick Coupechoux, dans un panorama plus bref, mais complet et pratique, consacré à l'autisme. Il porte un œil d'enquêteur sur ce qui se fait et évolue dans ce domaine, n'étant ni parent d'autiste ni professionnel, mais journaliste. Sur les 80 000 personnes autistes que compte notre pays, seulement 10 000 bénéficient d'un accompagnement. Cette situation catastrophique pour de nombreuses familles est pour partie le fait du statut des handicapés en France, mais également celui de l'impact de la vision psychanalytique, souligne-t-il.
Entrecoupée de récits d'expériences souvent poignantes et de photos émouvantes réalisées par Gilles Rigoulet, photographe et père d'un enfant autiste, son enquête bien documentée rejoint les conclusions du Pr Lemay. L'intérêt de tous les travaux scientifiques résumés par P. Coupechoux n'est pas seulement théorique, explique, dans sa préface, Gilbert Lelord, spécialiste de l'autisme : leurs résultats ont déjà abouti à l'acquittement des mères et certains orientent certaines modalités thérapeutiques. Une vision à la fois ouverte et scientifique de cette pathologie, longtemps mal évaluée, voit donc enfin le jour. Pour le bénéfice de tous.
« L'Autisme aujourd'hui », de Michel Lemay, Odile Jacob, 420 pages, 25,90 euros.
« Mon enfant autiste, le comprendre, l'aider », de Patrick Coupechoux, photos de Gilles Rigoulet, Seuil Pratique, 214 pages, 19 euros.
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