La guerre des mots est désormais ouverte entre la Mutualité française (FNMF), de loin le premier mouvement mutualiste, et une partie des spécialistes libéraux.
La menace brandie par la Mutualité de publier, au nom de la « défense des assurés sociaux » et de la transparence , la liste des médecins « se mettant hors la loi », c'est-à-dire qui augmentent régulièrement le prix de leurs consultations en facturant un dépassement tarifaire, a jeté un trouble profond parmi les praticiens concernés et leurs organisations représentatives.
La plupart des réactions en réfèrent aux « heures sombres » de l'histoire. La Coordination nationale des médecins spécialistes (CNMS) s'insurge contre la publication éventuelle de « listes noires ». « Une telle discrimination, si elle venait à entrer dans les faits, entraînerait une vigoureuse réponse judiciaire », ajoute la CNMS. La Conférence nationale des associations de médecins libéraux (CNAMLIB), qui dit fédérer au moins « 4 000 praticiens » et plaide pour une revalorisation des consultations à leur juste prix économique, est sur la même longueur d'onde. « Votre dernière et pitoyable initiative de publier des listes de médecins qui pratiqueraient des tarifs soi-disant illégaux, outre que la méthode rappelle de sinistres moments de notre histoire, a un caractère diffamatoire évident », écrit le Dr Guy Schucht, président de la CNAMLIB, dans une lettre adressée au président de la Mutualité française.
Les syndicats médicaux représentatifs ne sont pas en reste. Le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), majoritaire, estime que « la chasse aux sorcières » n'est pas « la bonne solution » pour aborder sereinement le débat actuel sur la liberté tarifaire. Quant au Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), il condamne lui aussi ces « méthodes de délation qui rappellent de très mauvais souvenirs ».
Fait accompli
Même si beaucoup la jugeront contestable sur la forme, la charge de la Mutualité française a le mérite de soulever deux questions fondamentales.
La première a trait au respect du contrat conventionnel. La Mutualité affirme que les spécialistes en secteur I qui augmentent unilatéralement le prix de leurs consultations sont en contradiction avec le principe même du conventionnement, dont les médecins tirent certains « avantages » (prise en charge d'une partie des cotisations sociales). « Si le droit de ces médecins de choisir une pratique totalement libérale doit être respecté, il faut aller au terme de cette logique en renonçant aux bénéfices du conventionnement », estime la Mutualité. Mais, de leur côté, les spécialistes font valoir que, après huit ans de blocage des tarifs conventionnels, les contraintes économiques qui pèsent sur les cabinets sont telles que seuls des « espaces de liberté tarifaire » peuvent leur permettre d'assumer leurs obligations éthiques et juridiques. « Nous n'avons plus guère le choix », constate le Dr Schucht. Des centaines de spécialistes font donc depuis des mois une utilisation large du DE, appliquant strictement des consignes syndicales. Mais, en la matière, tout est question de tact et de mesure. Le cas du département des Deux-Sèvres, où de très nombreux spécialistes (ophtalmologues, pédiatres, gynécologues) utilisent le DE lorsqu'un patient exige un rendez-vous avancé, n'a fait que relancer la polémique sur la liberté tarifaire, qui existe dans beaucoup d'autres départements. « Le vrai problème, c'est qu'il y a un risque d'extension et de généralisation du phénomène des dépassements, déclare un haut responsable de la Mutualité. Nous avons jugé qu'il était de notre rôle de tirer la sonnette d'alarme et de tenter de stopper cette dérive. »
Etait-ce le meilleur moment ?
Pour le Dr Chassang, les rappels à l'ordre de la Mutualité, qui s'ajoutent à ceux ceux de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), ne tombent pas par hasard, mais en pleine négociation conventionnelle. « La Mutualité et les caisses sont un peu nerveuses car la question de la liberté tarifaire les hérisse, analyse-t-il . Elles en profitent pour sortir du bois et hurler au loup. Il y a là une tentative de déstabilisation ; chacun voit bien aujourd'hui que les espaces de liberté sont incontournables. » Pour lui, l'utilisation, même élargie, du DE par les médecins n'a rien de condamnable dès lors que certains principes sont respectés : qualité des soins, absence de discrimination et de ségrégation, prise en compte de l'urgence médicale et des patients démunis. « Si on ne donne pas aux médecins des possibilités d'exercer hors des tarifs opposables, il n'y aura pas de convention », martèle aussi le Dr Cabrera. « En attendant, ajoute-t-il, qu'on nous laisse travailler ! »
Payeur avisé
L'autre question de fond que pose indirectement la Mutualité française est celle de la nouvelle gouvernance de l'assurance-maladie. La Mutualité ne supporte plus d'être un « payeur aveugle », de rembourser à guichets plus ou moins ouverts sans avoir voix au chapitre. « Les mutuelles sont dans un rôle de tiroir-caisse », regrettait Jean-François Mattei dans nos colonnes (« le Quotidien » du 20 janvier). Alors que la réforme annoncée à l'automne 2003 devrait accroître le rôle et le champ d'intervention des organismes complémentaires, la Mutualité est donc amenée à intervenir de plus en plus dans le débat sur la gestion de l'assurance-maladie (et donc du risque), même lorsque le terrain est glissant. « La situation actuelle est difficile, les mutuelles ne savent pas ce qu'elles remboursent, constate-t-on à la Mutualité. Il est de notre devoir de dire aux patients et aux adhérents à quoi ils s'exposent si les dépassements des tarifs médicaux se multiplient. » Quitte à donner matière à controverse.
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