ARTS
PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE
C E n'était, juste à la veille de la dernière guerre, qu'un de ces nombreux ateliers du quartier des Champs-Elysées, attachés au commerce du luxe, tenu par la famille Bleibtreu. Il y avait Denise, secondée par une sur et un frère qui prendra en main l'activité éditoriale de la galerie. Denise avait déjà, dans les années trente, écumé Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés et établi des relations amicales avec les surréalistes (Masson, Hérold, Dominguez, Hugnet, Camille Bryen).
A la Libération, Paris se secoue avec enthousiasme et les galeries se multiplient qui souvent sont animées par des femmes (Lydia Conti, Colette Allendy, Eva Philippe) rivalisant sans complexe avec les bastions qui sont des « institutions », comme Kanhweiler, Pierre Loeb, Jeanne Bucher, Louis Carré dans l'illustration et la défense des nouvelles valeurs artistiques.
Denise René transforme l'appartement en galerie dans les années 1944 avec une exposition Vasarely qui restera une sorte de directeur dans l'ombre. Elle se cherche d'abord (Max Ernst, Atlan, Picabia, Herbin, Hartung, Schneider), avant de trouver la voie stricte et austère de l'abstraction géométrique à laquelle elle restera fidèle même devant les changements de cap des modes, l'hostilité de l'opinion et les fluctuations capricieuses du marché. Elle donne l'exemple d'une « politique » surtout remarquable par sa cohérence historique, alors que certaines galeries jouent la carte de l'éclectisme (Pierre Loeb, Jeanne Bucher, René Drouin).
Une suite d'expositions dont certaines sont aujourd'hui « historiques », en particulier celles qui fédèrent les artistes du même courant sur des thèmes forts comme « le mouvement » ou l'émergence de « l'optical art », ne dédaignant pas de tendre la main à des nouveaux qui s'intègrent un temps aux activités de sa galerie avant de poursuivre leur évolution hors d'elle, comme Tinguely, Pol Bury.
Elle prend soin aussi de s'appuyer sur des valeurs reconnues et des précurseurs de l'art qu'elle défend entre abstraction et cinétisme, de Sonia Delaunay à Mondrian, en passant par Kandinsky, Herbin, Calder, Arp, ne dédaignant pas de prospecter hors de l'Hexagone (vers l'Allemagne, l'Amérique du Sud, les Etats-Unis) s'imposant ainsi comme une sorte de laboratoire mondial de l'art qu'elle représente jusque dans son évolution, ses débouchés vers l'architecture, le design et les arts appliqués.
Raconter l'histoire de la galerie, c'est raconter celle de l'art de la deuxième moitié du XXe siècle placée sous la lumière vive d'un dépassement de la peinture de chevalet et de l'intégration dans l'espace comme un programme rénovant des formes, propre à donner à l'artiste une nouvelle fonction dans la société, un rôle plus dynamique.
Plus qu'une simple galerie marchande, serait-elle dans l'obligation d'y pourvoir, elle est du type de celles qui participent étroitement à l'histoire de l'art, jusque dans les formes qui s'opposent à ce qu'elle défend, car tout se tient dans le monde des idées, jusque dans leurs contradictions et leurs oppositions. La galerie Denise René a ainsi pu se référer à « dada » (Janco, Sophie Taueber-Arp), pour le passé de l'art qu'elle défend, et annoncer aussi bien le nouveau réalisme (Tinguely) trouvant sa ligne de conduite dans la synthèse de forces contraires. Et c'était là son secret.
Denise René, l'intrépide, une galerie dans l'aventure de l'art abstrait, 1944-1978. Centre Beaubourg, jusqu'au 4 juin.
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