PRIX INTERALLIÉ en 1977 pour « les Feux du pouvoir », prix Renaudot en 1983 pour « Avant-guerre », prix de l’essai de l’Académie française en 1985 pour « Ils ont choisi la nuit », Jean-Marie Rouart est un auteur-académicien qui a engagé sa plume dans différents combats, en faveur notamment des prostituées et bien sûr dans l’affaire Raddad qui a défrayé la chronique en 1994 et dont il a fait un livre, « Omar, la construction d’un coupable ».
Pour son retour à la fiction, il se présente un peu comme un militant d’arrière-banc, non dans les idées mais dans les faits, qu’il situe dans la paisible et pimpante petite ville de Norfolk fondée par des méthodistes d’origine suédoise auxquels s’étaient mêlés des Allemands calvinistes. Attachés à leurs principes religieux – «la Bible pouvait donner une explication à tout»– les Blancs et les Noirs du ghetto coexistaient sans se voir, avec une apparence d’indifférence... Qui n’a pas empêché Jim Gordon de tomber amoureux d’une jeune Noire de dix-huit ans comme lui, rencontrée sur les bords de la Molly River. Alors même qu’on repêchait le corps d’une autre jeune fille noire, « suicidée » aux dires de la police, bien que son visage et son corps fussent marqués de contusions.
Puisqu’il n’était pas question de mettre en cause le rejeton d’une des plus honorables familles de la ville – qui, coïncidence, avait fait bamboche cette fameuse nuit du suicide – fut-il décidé d’envoyer Jim faire des études de droit à Boston et d’enfermer Angela dans une maison close de Bethlehem, une ville de garnison à une cinquantaine de kilomètres de Norfolk.
Tout aurait dû s’arrêter là et la population continuer à pratiquer son sport favori, la chasse au renard, si le jeune homme n’était revenu tout aussi amoureux bien que marié à une WASP pur jus, tandis qu’Angela, libérée du bordel on ne sait comment – on apprendra plus tard le rôle qu’a joué la fantasque tante Lisbeth avec l’aide d’un prêtre catholique ! –, s’était rangée avec un métis. Les jeunes gens auraient pu continuer à s’aimer en secret si un journaliste – bien intentionné – n’avait révélé au grand jour du « Chicago Star » tous les crimes qui avaient eu pour victimes des jeunes filles noires depuis dix ans à Norfolk. C’en fut trop pour la communauté, noire et blanche mélangées.
Jean-Marie Rouart décrit alors l’irrésistible spirale de la violence montante, chacun cherchant à défendre ses intérêts ou simplement son confort et donc à trouver un bouc émissaire, et des dérivatifs. Il démonte ainsi la parodie de justice orchestrée depuis Washington : «On avait donné de l’espérance aux Noirs et on avait feint de taper sur les doigts des Blancs. N’était-ce pas cela la meilleure justice: donner l’espoir qu’elle existe sans avoir les inconvénients de la rendre?» Jusqu’à l’horrible conclusion de ce fait divers sans queue ni tête et qui n’aurait pas dû être.
Éditions Gallimard, 164 p., 15 euros
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