«IMMENSÉMENT SATISFAIT!» Le Dr Christian Bagate, président de la commission médicale de la FFR (Fédération française de rugby), ne mâche pas ses superlatifs pour saluer la « totale réussite médicale de cette belle Coupe du monde». «N'en déplaise aux grincheux, affirme-t-il, la médicalisation à la française a fait la démonstration qu'elle compte parmi les meilleures du monde.»
Médecin officiel du tournoi (MOT), le Pr François Laborde, qui a conçu et mis en oeuvre la prise en charge des joueurs et de leurs staffs lors des 48 matchs disputés pendant six semaines dans dix villes de France et du Royaume-Uni, a fait ses comptes : 189 joueurs ont fait l'objet d'une intervention de l'une de ses équipes, c'est une moyenne de 4 par match qui ont reçu des soins, un score conforme aux données habituelles du rugby professionnel. La majorité (27 %) des prises en charge ont concerné des lésions musculo-tendineuses (hématomes, déchirures au niveau du quadriceps, lésions articulaires, entorses du genou).
Les sutures ont représenté 17 % des actes, réalisées en moyenne en sept minutes par deux chirurgiens qui travaillaient en tandem ; 80 % d'entre elles ont été réalisées à la face, essentiellement sur l'arcade sourcilière. Les traumatismes crâniens et rachidiens ont représenté 7 % des interventions. Enfin, des signes neurologiques inquiétants ont été observés chez 3 joueurs, par suite de traumatismes de la colonne vertébrale, mais grâce à la rapidité des interventions, tous ont connu une évolution favorable dans les 72 heures.
En fait, note le Pr Laborde, «les seuls joueurs qui pourraient garder des séquelles de leur participation au Mondial sont les trois victimes d'une rupture des ligaments croisés».
Toujours sur la pelouse, les équipes du MOT ont également été appelées à la rescousse pour les arbitres, qui, à la différence des joueurs, ne disposaient pas d'une équipe médicale propre. C'est ainsi que l'un d'eux a dû être traité pour une fracture du nez.
Un staphylocoque antibiorésistant.
La couverture médicale a débordé les enceintes des stades pour assurer le suivi des quelque 1 000 joueurs et membres des staffs pendant les périodes de non-match. Tous les jours, les 12 médecins coordinateurs urbains (MCU, un par ville de match) ont systématiquement visité les résidences et les sites d'entraînement des équipes, orientant les joueurs en cas de nécessité vers l'un des hôpitaux sélectionnés où avait été mis en place un accueil dédié à la Coupe du monde. Cinquante-neuf actes ont été effectués, en général pour des problèmes dentaires, dermatologiques ou gastro-intestinaux.
Seul épisode inattendu, une souche bactérienne antibiorésistante, un staphylocoque inconnu en France, a été détectée sur la blessure d'un joueur des Etats-Unis, entraînant des mesures prophylactiques simples pour ses équipiers et ceux de l'équipe adverse.
«Au passage, se réjouit le Pr Laborde, nous avons expérimenté et validé à petite échelle le système DMP [dossier médical personnalisé] que nous avions élaboré avec les spécialistes de la Mutualité française, sous le contrôle de la CNIL [Commission nationale de l'informatique et des libertés]. Tous les antécédents des joueurs de chaque équipe y avaient été recueillis et ont pu être partagés tout au long des six semaines du Mondial avec l'ensemble des intervenants médicaux, au gré des événements.» Ce beau modèle expérimental semble avoir fait la satisfaction de tous, si l'on excepte l'Equipe de France, apparemment peu encline à jouer le jeu. Il se murmure que la ministre Roselyne Bachelot elle-même a dû monter en ligne pour vaincre les résistances.
Deux fois moins d'accidents qu'au Mondial de 1998.
Sur les gradins, les médecins stadistes aussi affichent leur satisfaction d'avoir vécu une belle aventure. «Avec un public sympathique, convivial et familial, nous avons travaillé dans une atmosphère agréable et sereine», résume le Dr Nicolas Gorodeztky, chargé pour le GIP Coupe du monde France 2007 de la coordination de la sécurité médicale du public. «Sur les 1,9million de spectateurs comptabilisés, parmi lesquels 400000supporters étrangers, détaille l'urgentiste spécialisé dans la prise en charge des grands rassemblements, nous avons pris en charge 687personnes. Trente-huit ont nécessité une évacuation non médicale et 9 une évacuation de type SMUR. Pour comparer avec le Mondial de football de 1998, nous enregistrons des données d'accidentologie deux fois moindres, dans des stades aussi remplis et avec des supporters parfois tout aussi alcoolisés. C'est une confirmation: le monde du rugby est pacifique. Le hooliganisme, lui, reste étranger. Et aucun phénomène dit d'agressologie n'aura été déploré à notre connaissance, quelle qu'ait pu être la tension entre les équipes sur le terrain.»
Ce constat fait dire au Dr Bagate que «si le rugby est fait pour une élite athlétique et morale, tous les amateurs partagent aujourd'hui ses valeurs de non-violence».
Aucune mêlée n'ayant été déplorée dans les rangs des spectateurs, les deux accidents les plus graves ont été un arrêt cardiaque qui a pu être récupéré sur site et un accident voie publique : un piéton fauché par une voiture à l'entrée d'un stade, qui se trouve toujours en réanimation.
Avec un tel bilan médical, d'aucuns s'interrogent au sujet de la surdimension des moyens médicaux mobilisés tout au long du tournoi. En particulier, la présence sur le terrain, à chaque match et uniquement pour les joueurs, d'un médecin du sport, d'un neurochirurgien, d'un chirurgien-orthopédiste, d'un chirurgien du rachis, d'un chirurgien maxillo-facial, d'un ophtalmologiste, de deux réanimateurs, d'un infirmier-anesthésiste, d'un infirmier du bloc opératoire et d'un kinésithérapeute, avec huit secouristes et quatre ambulances dont une type SAMU, tout cela correspond-il à une juste évaluation des risques ? «De toute façon, répond le Pr Laborde, un événement comme la Coupe du monde est en lui-même surdimensionné. Et la question autour d'une éventuelle insuffisance des moyens aurait été autrement grave si elle s'était posée. En fait, notre dispositif a respecté le cahier des charges rédigé par l'IRB [International Rugby Board], comme, en son temps, le précédent Mondial, organisé en 2003 en Australie. Garantir un suivi médical, être opérationnel en permanence et en tout lieu, avec un circuit d'établissements de repli, nécessite des moyens importants.»
Le Dr Gorodeztky ne disconvient pas que la question d'une hypertrophie du dispositif puisse être posée. «Songez cependant, ajoute-t-il, à tous les événements dramatiques qui auraient pu survenir et au sujet desquels, stade par stade, nous avions procédé à des simulations de plan rouge: attentats, effondrements de tribunes, crises de panique, canicules. Rien de tel ne s'est produit. Mais la mise en place de postes tièdes de secours s'est révélée utile à plusieurs reprises, quand les les infirmeries des stades ont été saturées.»
Fort de ce sans-faute, le manager médical du Mondial travaille quoi qu'il en soit à un schéma général d'organisation qui pourrait faire l'objet d'une réglementation, sous l'égide des ministères de l'Intérieur et de la Santé.
Jean-Pierre Davant : en faire bénéficier nos adhérents
C'est la Mutualité française qui a assuré l'organisation de la prise en charge médicale des joueurs et des officiels lors de la Coupe du monde. «Un formidable défi», confie son président, Jean-Pierre Davant, qui se déclare très satisfait du bilan. Lui-même aficionado déclaré du rugby, il note que «le public est resté de bout en bout de la compétition pacifique et fraternel, comme c'est la tradition de l'ovalie, y compris que le choc sur le terrain est extrêmement violent».
Au-delà de cette «expérience fantastique», le président de la Mutualité fait état des témoignages qui lui sont parvenus en provenance de Grande- Bretagne, de Nouvelle-Zélande, d'Australie ou des îles Fidji, au sujet de la qualité du suivi médical assuré par les équipes du Pr Laborde, ainsi qu'à propos du dossier médical personnalité spécialement mis en place.
«Nous allons maintenant nous employer à monter des programmes sport- jeunesse, annonce-t-il, en lien avec des fédérations sportives, pour promouvoir la pratique du sport comme mode de prévention de la maladie.» Jean-Pierre Davant pense également «faire bénéficier (ses) adhérents de l'expérience acquise lors du Mondial en matière de coordination des soins».
Comment Betsen a échappé à trois semaines d'arrêt
En cas de K.-O., le règlement de l'IRB prévoit un arrêt de trois semaines. Sauf si un expert indépendant lève toute contre-indication après examen du joueur. C'est un tel examen neurologique qui a permis au troisième ligne français Serge Betsen, victime d'une commotion lors du quart de finale contre la Nouvelle-Zélande, le 6 octobre à Cardiff (après un coup de genou involontaire de Fabien Pelous), de participer malgré tout à la demi-finale du 13 octobre contre l'Angleterre. Pour y être autorisé, Betsen a dû consulter à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière le Pr Olivier Lyon-Caen, chef du service de neurologie qui, après un examen complet qui s'est révélé totalement normal, a signé le certificat médical de non-contre-indication.
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