En promettant de ne plus former chaque année 4 700 médecins en France mais 6 000, l'opération se faisant progressivement et à une échéance qui reste à définir précisément, (« Le Quotidien » d'hier), le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, a suscité parmi les professionnels des réactions mitigées.
Tout d'abord, le contexte dans lequel le ministre s'empare du dossier, alors que se profile l'élection présidentielle, alors que c'est en juin que se fixe traditionnellement le numerus clausus en concertation avec l'Education nationale, laisse le secteur perplexe.
Président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), le Dr Michel Chassang évoque un « effet d'annonce » et une « mascarade ». Le Dr Dinorino Cabrera, qui préside le Syndicat des médecins libéraux (SML), accuse Bernard Kouchner de pratiquer l' « amuse-peuple ». Quant au président de la Confédération des hôpitaux généraux, le Dr Pierre Faraggi, il dénonce une « pirouette de départ » du gouvernement.
Sur le fond, pourtant, l'augmentation annoncée du numerus clausus, même si elle est jugée souvent insuffisante en volume, est saluée positivement par le corps médical. « Les pouvoirs publics ont reçu le message », note le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (UCCSF). Dans un communiqué, l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) se « satisfait » de ce « premier pas ».« L'important était d'équilibrer, au moins par des mesures conservatoires, les flux d'entrée dans la professions et les flux de sortie », estime de son côté le président de MG-France, le Dr Pierre Costes. Pour les internes, le Dr Stéphane Litrico, président de l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux (ISNIH), ajoute : « Si on n'augmentait pas le numerus clausus , on courait à la catastrophe. 6 000 est un bon chiffre et qu'on l'atteigne de manière progressive est une bonne chose dans la mesure où cela permettra aux facultés de s'organiser. »
Porter le quota de médecins formés en France de 4 700 à 6 000, se garantir un effectif médical de 180 000 praticiens à l'horizon 2020, c'est enrayer l'hémorragie des prochains départ en retraite (8 000 par an en 2012). C'est accepter aussi que la France compte dans vingt ans 10 % de médecins de moins qu'aujourd'hui, ce que ne manque pas de souligner le Pr Jean Langlois, du Conseil national de l'Ordre des médecins. Il explique : « La décision du ministre est une décision de sagesse mais elle est nettement insuffisante. Nous demandions à l'Ordre que le numerus clausus soit porté à 7 000 médecins dès 2001. A nos yeux, c'était un minimum. »
Le Pr Langlois reconnaît « la raison économique » dans le choix du ministre, mais il sait aussi que les projections statistiques laissent des données sur le bord du chemin. « En 2020, la recherche d'un temps d'exercice moins long, d'un confort de vie, fera que les médecins voudront travailler moins qu'en 2000. Nous estimons que 3 étudiants formés aujourd'hui ne vaudront pas 3 mais 2 médecins dans dix ans. A cela s'ajouteront les effets de la féminisation de la profession. En 2020, les trois cinquièmes des médecins seront des femmes. Or aujourd'hui, en ville, l'activité des femmes représente 70 % de celle des hommes ». Reste que les professionnels de santé savent se montrer pragmatiques, et le Pr Langlois résume le sentiment général par cette maxime : « Passer à 6 000 en 2003, ce sera toujours beaucoup mieux que ce que nous avons aujourd'hui. »
Le rôle de l'Observatoire
Avec le SML, dont le président estime qu' « on ne manquera pas de médecins en France sauf dans certaines spécialités et certaines régions », l'Intersyndicale nationale autonome des résidents (ISNAR) est pratiquement la seule, dans ce concert, à faire entendre une voix discordante. L'augmentation du numerus clausus« nous paraît hâtive et inadaptée », écrit-elle dans un communiqué, en reprochant au gouvernement de se tromper de cible : « la priorité n'est pas actuellement d'augmenter le nombre de médecins mais de les aider à s'installer dans les régions médicalement déficitaires. » En évoquant la répartition des médecins sur le territoire, à laquelle s'ajoute leur distribution par spécialité, l'ISNAR rejoint une préoccupation de l'ensemble du corps médical et des pouvoirs publics. Sur ce point, l'appréciation du rôle que peut jouer l' « Observatoire de la démographie des professions de santé et de l'évolution de leurs métiers », dont l'arrêté de création est paru mardi au « Journal officiel », divise. Les uns n'y croient pas et fustigent « un nouveau machin », à l'instar du Dr Chassang, qui craint avec le Pr Langlois que, quand cette instance « rendra ses premiers avis, on aura déjà passé une législature ». Les autres placent beaucoup d'espoir dans cette mesure. Soulagé, le Dr Pierre Costes insiste : « Nous avons enfin créé un outil de surveillance. » « L'observatoire va travailler sur les flux de spécialistes par régions et par spécialités », se réjouit le Dr François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Et la présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), le Dr Rachel Bocher, renchérit : « Il va essayer de repérer les lieux où il faut agir. »
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