LE Dr JEAN-JACQUES RICHARDOT est médecin généraliste au Grand-Bourg, dans la Creuse. Et le problème de la disparition des services publics, et même privés, il le connaît bien, car il le subit de plein fouet.
Le Dr Richardot regrette que les heures d'ouverture de sa banque (deux demi-journées par semaine) le contraignent à des contorsions d'emploi du temps pour y déposer dans des délais raisonnables les chèques de ses patients ; le téléphone portable qui fonctionne tout au fond du jardin, mais pas dans la maison, n'est pas non plus sa tasse de thé, quant à la connexion Internet bas débit, elle lui fait perdre du temps, notamment quand il s'agit de télétransmettre. Mais il y a plus grave encore : « Ma fille entre en seconde et, ici, il n'y a pas d'autre troisième langue que l'italien. Elle va donc devoir nous quitter et partir pour Limoges, afin de poursuivre convenablement ses études. »
Toujours dans le département de la Creuse, le Dr Michel Trabuc, président du conseil départemental de l'Ordre des médecins, a délibérément un ton plus mesuré : « Le conseil départemental ne s'implique pas directement dans la mobilisation pour la sauvegarde des services publics ; mais nous sommes très attentifs à la question de désertification. Le problème est que, dans la Creuse, il y a une réelle dépopulation ; si bien que les services publics fonctionnent au ralenti. Et, pour conserver les écoles, il faut d'abord qu'il y ait des élèves ! »
Mais, pour le Dr Trabuc, à côté des services publics qui disparaissent, il y a aussi le problème récurrent de la permanence des soins : « Dans un département comme le nôtre, les astreintes deviennent extrêmement pénibles et les médecins sont sur le fil du rasoir. Les réquisitions préfectorales peuvent tomber d'un moment à l'autre. » De sorte que le Dr Trabuc, sans s'y impliquer directement, porte un regard bienveillant sur la mobilisation en faveur de la sauvegarde des services publics : « Cela fait parler des problèmes de notre région, et cela peut inciter l'Etat à porter sur nous un regard bienveillant. » Car la situation de la démographie médicale de la Creuse commence à l'inquiéter : « Bien sûr, nous avons actuellement suffisamment de généralistes ; ce qui m'inquiète, c'est leur moyenne d'âge, qui tourne autour de 55 ans. Qu'en sera-t-il dans dix ans ? »
Un risque.
Dans la Haute-Vienne, le Dr Thierry Lebrun est généraliste à Nexon, et vice-président de MG-France. « Avant même de parler des services publics, prévient-il, il faut dire que la nouvelle convention médicale ne va pas arranger la démographie médicale en zone rurale ; elle rend l'exercice des généralistes encore moins attrayant, et il y a un risque de baisse du nombre de médecins à la campagne. » Comment la disparition des services publics retentit-elle sur son exercice ? « Progressivement, c'est nous, médecins généralistes, qui assumons cette mission de service public quand nous faisons des visites à domicile, notamment chez les personnes âgées. » Aider un patient âgé à remplir des documents administratifs, poster son courrier, téléphoner à sa place à une administration ou à une banque, voilà qui maintient certes le lien social, mais au détriment du temps médical. « Vous pourrez faire un pont d'or aux étudiants en médecine, ajoute-t-il , mais, s'ils ne veulent pas aller à la campagne, ils n'iront pas. D'autant que, ici, en plus du manque d'infrastructures, il faut gérer à la fois la PDS et l'aide médicale urgente. Un généraliste de campagne a intérêt à savoir gérer un infarctus du myocarde, sinon mieux vaut aller exercer en ville. »
Dans la Mayenne, le Dr Luc Duquesnel est sur la même longueur d'onde : « Dans ces régions qui perdent leur population et leurs services publics, pourquoi voulez-vous que les médecins soient les seuls à rester ? » Et le Dr Duquesnel de citer en vrac les téléphones portables qui ne passent pas, les rendez-vous chez un pédopsychiatre hospitalier, avec cinq à six mois d'attente, le manque structurel de personnel hospitalier, et l'Internet bas débit qui empêche de mettre en place des expériences de régulation médicale à domicile. « Je soutiens cette mobilisation à 200 % », conclut-il.
Solidarité nationale.
Pour Michel Chassang, président de la Csmf, l'exposé du problème tient en peu de mots : « Si les services publics disparaissent, les médecins aussi. » D'autant qu'il n'est pas certain « que le coût de maintien des services publics soit aussi important qu'on le dit, compte tenu du fait que ces régions à faible démographie sont assez réduites géographiquement. Quoi qu'il en soit, c'est un problème de solidarité nationale : les gens payent les mêmes impôts, ils ont droit aux mêmes services ».
Seule note un peu dissonnante dans ce concert de défense des services publics, le Dr Dinorino Cabrera, président du SML, pour qui cette disparition des services publics en zones rurales est « une évolution de la société qu'il faut accepter ». Selon lui, « le médecin du XXIe siècle n'a plus vocation à s'installer à la campagne. Il vivra en ville ou en périphérie, et se rendra dans les zones peu peuplées grâce à son cabinet secondaire. Je regrette bien évidemment la disparition progressive des services publics en zones rurales, mais c'est un problème sociétal majeur : l'homme a tendance à s'agglutiner dans les grandes villes ».
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