Le rapport tant attendu a enfin été rendu. Le doyen de la faculté de médecine de Marseille, Yvon Berland, qui présidait le groupe de travail sur la « démographie des professions de santé » (1), a rendu sa copie au ministre de la Santé, Jean-François Mattei, qui lui avait confié cette mission en juillet.
Parmi les dix propositions qui « appellent des prises de décision de toute urgence », toute une série de mesures qui visent d'abord à regrouper les professionnels de santé, généralistes, spécialistes et autres professions au sein de maisons de soins. Un tel dispositif apporterait, selon le rapporteur, un soutien administratif aux professionnels concernés (accueil, secrétariat, lien informatique avec des établissements publics et privés) et devrait non seulement éviter le départ des professionnels déjà installés dans des zones difficiles ou sous-médicalisées, mais aussi favoriser l'installation de nouveaux praticiens. D'autres mesures devront rendre attractive l'installation dans ces régions. Et notamment la fameuse possibilité d'exercer en cabinet secondaire. Cette idée est dans l'air depuis un certain temps ; elle est étudiée aussi bien par les syndicats médicaux que par le gouvernement. Le ministre de la Santé a en effet déposé en ce sens un amendement au projet de loi de la Sécurité sociale 2003 (« le Quotidien » du 3 décembre). Dans le rapport Berland, c'est très clair : l'autorisation de mettre en place un cabinet secondaire doit être proposée dans des zones de pénurie identifiées ou dans lesquelles la population reste insuffisante pour permettre de rentabiliser un cabinet.
En plus d'incitations financières (et notamment l'exonération partielle des charges), le rapport suggère la mise en place d'un mécanisme de conventionnement adapté pour les zones démédicalisées, qui devra être mis au point lors des discussions conventionnelles. A noter d'ailleurs que, dans les discussions actuelles, un volet spécifique concernant les installations dans des zones défavorisées fera l'objet d'une négociation particulière.
Mais pour autant, note le rapport, ces incitations ne seront efficaces que si elles sont accompagnées de mesures concrètes facilitant l'exercice collectif des soins. C'est dans cet esprit qu'il faudra favoriser le recrutement de collaborateurs salariés dans les cabinets médicaux. « Une mesure prioritaire », a d'ailleurs précisé le doyen Berland (voir encadré). D'après le document, la collaboration peut aussi constituer un bon moyen pour les jeunes diplômés de prendre progressivement contact avec l'exercice professionnel libéral en passant par un salariat.
Le relèvement du numerus clausus
Une autre priorité : la mise en place d'un observatoire national de la démographie des professions de santé et de son réseau d'observatoires régionaux.
Le rapport insiste sur la nécessité d'augmenter progressivement, mais rapidement, le numerus clausus pour arriver à 8 000 élèves reçus en deuxième année de PCEM en 2007. Le relèvement doit en effet rester progressif afin qu'on évalue les besoins et l'impact des mesures adoptées, d'éviter les politiques de « stop and go » et de permettre aux établissements de formation d'organiser l'accueil des étudiants supplémentaires.
Le rapport propose de « redéfinir le contour des métiers », en instaurant un partage des tâches, en créant de nouveaux métiers et en facilitant les passerelles entre différentes professions de santé. Il s'agirait notamment, pour le médecin, de se borner à intervenir là où sa compétence est indispensable et donc de déléguer certaines de ses activités à d'autres professions médicales ou paramédicales (dont plusieurs seraient d'ailleurs à créer).
Il serait nécessaire de permettre à des médecins généralistes ou des médecins spécialistes d'accéder à d'autres pratiques que celles qui sont permises par leur formation initiale.
Le rapport suggère l'organisation, dans un cadre administratif unique, de pôles médico-chirurgicaux référents. Ils permettraient la collaboration public-privé pour répondre à des besoins de santé de manière non redondante et non concurrentielle dans un périmètre géographique défini.
Il semble utile de favoriser les postes de praticien hospitalier à mi-temps et les contrats hospitaliers pour les médecins libéraux.
Il paraît nécessaire d'ériger en filière l'ensemble des disciplines médicales et chirurgicales, en mettant en place une plate-forme commune de formation, pour les disciplines médicales, d'une part (y compris la médecine du travail, la santé publique, la biologie médicale et la psychiatrie), et pour les disciplines chirurgicales, d'autre part. Ce tronc commun aurait l'intérêt majeur d'offrir aux futurs professionnels une culture médicale de base avant la spécialisation et de permettre aux internes de choisir en toute connaissance de cause leur filière (pour ensuite faciliter les éventuelles passerelles).
Dans la même logique, il faudrait définir les modalités d'insertion de la formation aux métiers de la santé dans le cadre universitaire, comme c'est le cas dans la majorité des pays européens et en Amérique du Nord. Par exemple, un infirmier, après avoir préparé pendant trois ans une licence professionnelle de soins infirmiers, pourrait, au terme de deux années de formation théorique et pratique complémentaire, accéder à un mastère qui lui donnerait une compétence spécifique dans un domaine de la santé. Une telle formation universitaire légitimera d'autant plus les passerelles professionnelles.
Le rapport préconise enfin la régionalisation de l'examen national classant (ENC), qui va remplacer à partir de 2004 l'internat qualifiant. Le moyen de maintenir les candidats au concours dans la région où ils auront suivi leurs études de 3e cycle, par choix et non par contrainte, et par là même de les inciter à s'y installer. Chaque étudiant aura cependant la possibilité de s'inscrire à l'ENC de trois régions de son choix.
Le rapport Berland mise enfin sur l'intégration de « l'objectif d'éducation sanitaire » de la population et des malades dans l'organisation des soins. Les professionnels de la santé doivent en effet être capables de mener des actions d'information auprès des usagers sur leur lieu de travail, notamment. On attend maintenant les appréciations du ministre sur ce lourd dossier.
(1) Présidé par le doyen Berland, ce groupe de travail était également composé de Anthony Annereau, président de l'Intersyndicale autonome des résidents, du Dr Jean Berthet, chef de service de la maternité de Saint-Junien en Haute-Vienne, d'un infirmier libéral, Olivier Leroy, d'un généraliste, Gilles Errieau, et du Dr Yvette Ract, médecin-conseil national adjointe à la CNAM.
Des reformes à mettre en place rapidement
Même si toutes ces propositions étaient appliquées, la démographie médicale chuterait à 305 médecins pour 100 000 habitants alors qu'elle est aujourd'hui de 332 pour 100 000 habitants, a expliqué le Pr Yvon Berland lors de la remise de son rapport au ministre de la Santé, Jean-François Mattei.
Mais si rien n'est fait, a-t-il encore insisté, la situation pourrait s'aggraver, puisque la densité médicale pourrait diminuer et le nombre de médecins chuter jusqu'à 220 pour 100 000 habitants. D'où l'urgence de réformes à mettre rapidement en place.
Enfin, le doyen de la faculté de médecine de Marseille a indiqué que sa mission avait « évacué » l'idée de faire appel aux médecins étrangers et celle de mettre en place un numerus clausus à l'installation.
Parmi les différentes mesures présentées, a encore précisé le Pr Berland, il lui avait semblé, « sans vouloir me substituer au ministre », que Jean-François Mattei avait été surtout « attentif » au projet de statut de collaborateur salarié.
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