Démangeaison enchantée...
Elle est arrivée dans une robe imprimée synthétique, dont on se demande où on peut encore les acheter. Son visage était couperosé et elle parlait avec un fort accent de l'Est.
Rencontre inhabituelle pour le praticien citadin que je suis. Elle était affligée d'un prurit anal très ancien, féroce, bien évidemment rapporté à des hémorroïdes qu'elle n'avait pas.
Quand je la questionnais pour évaluer les caractéristiques et l'intensité de la démangeaison, elle me dit : « Docteur faut me guérir, ça me gratte que ça en est un enchantement » (sic !).
Il m'a fallu plusieurs minutes pour comprendre. Elle exprimait par cette tournure une gêne si intense que cela évoquait pour elle un sort – un enchantement – qui lui aurait été jeté par maléfice.
Il me fallait assumer un rôle de sorcier au final séparé du rôle de soignant uniquement par quelques siècles. Elle n'était ni perverse, ni envoûtée ; elle souffrait juste du caractère essentiel du prurit : son irrépressible besoin de grattage.
C'était dans les années 69, dans un hôpital de Tunis où je faisais mon service au titre de la coopération. Ce matin-là, j'ai la surprise de voir arriver au milieu de ma consultation d'une cinquantaine d'autochtones une petite vieille dame, manifestement une Française.
Elle attend un moment que mon infirmier nous laisse seuls dans la pièce et après avoir regardé à droite et à gauche, elle s'approche de mon bureau :
– « Docteur, je suis française, ici depuis toujours, mais je suis âgée et j'ai décidé de rentrer en France. »
– « Définitivement ? »
– « Oui, Docteur, tous mes amis sont rentrés ou ont disparu, je ne connais plus personne ici. Il faut que je parte, mais voilà, j'ai un problème d'argent et c'est pourquoi je viens vous voir. »
– « Je comprends bien, mais en dehors d'une maladie cardiaque, je ne vois pas comment je pourrais vous aider. »
– « Justement, Docteur, je suis malade du cœur : j'ai été consulter à Marseille et on m'a dit qu'il me fallait un pacemaker ! »
– « Grand Dieu, je vois encore moins comment je peux vous être utile... »
– « Ecoutez-moi, Docteur : vous vous doutez que j'ai encore de l'argent ici, mais il m'est interdit de le sortir. Alors je me suis dit : vous m'achetez un pacemaker en France que je me débrouille pour faire rentrer ici. Vous me le mettez, je vous rembourse en dinars avec un bon taux de change (tous les expatriés font ça), ainsi c'est comme si j'avais ramené mon argent en France. »
– « Mais Madame, si vous rentrez en France, vous bénéficierez de la sécurité sociale qui vous prendra en charge, et puis, il faut que je vous le dise, je n'ai jamais posé de pacemaker... »
– « Tant pis, Docteur, je vois que vous n'êtes pas au courant de tout ça. Je vais voir pour mes formalités à l'ambassade et je vous dirai. »
Bien entendu, je lui ai fait un ECG qui montrait un trouble de conduction certain, mais qui, à l'époque, n'était pas considéré comme majeur. Et surtout, elle était totalement asymptomatique ...
6 ou 8 mois passent quand j'ai la surprise de la revoir dans le service sur un brancard : elle avait fait une syncope dans la nuit, chez elle, et avait décidé de retenter sa chance auprès de moi.
Je la prends aussitôt en charge, lui monte une sonde de stimulation (pour la première fois de ma vie) : ça marche... et maintenant que faire ?
Mon supérieur n'est pas en Tunisie, il est en France à un congrès. Je contacte l'assistance sociale de l'ambassade à Tunis qui, je ne sais comment, m'avertit une heure plus tard qu'elle a obtenu plusieurs places pour un brancard pour la patiente et pour moi dans un avion en partance pour Lyon .
Le temps d'un coup de fil à l'hôpital cardiologique de Lyon où je ne connaissais personne mais qui me fait confiance et lui réserve un lit. Je n'ai plus qu'une chose à faire : retirer le tiroir de stimulation de l'appareil de monitoring, ce qui me donne une autonomie de stimulation de 3 ou 4 heures.
Je n'ai aucune autorisation officielle pour partir si ce n'est la bénédiction de l'assistante sociale. Je rentre le lendemain matin par le premier avion après avoir embrassé mes parents qui s'étaient déplacés à l'aéroport et que je n'avais pas vus depuis plus d'un an (ils n'ont pas compris grand-chose à mon histoire).
Un an plus tard, installé en France en libéral, je vois arriver une vieille dame dont le visage me rappelait quelqu'un :
– « Bonjour Docteur, vous vous souvenez de moi ? Je viens pour me faire contrôler ! »
– « Mais comment avez-vous su que j'étais ici ? »
– « Je vous ai cherché, ça a été facile... »
C'était il y a 45 ans...
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