L'adoption par les députés, en deuxième lecture, d'un amendement au projet de loi sur la grande criminalité créant un délit d'interruption involontaire de grossesse (IIG) donnera lieu a posteriori à une concertation, afin de lever « toute ambiguïté », a décidé le garde des Sceaux.
L'amendement punit l'interruption de grossesse provoquée « par une maladresse, une imprudence, une inattention, une négligence ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence » de un an de prison et de 15 000 euros d'amende, voire du double en cas de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence ». Pour les gynécologues-obstétriciens et le mouvement féministe, il ouvre une « brèche dangereuse ». Les uns y voient de « possibles entraves à l'exercice de la médecine ftale », les autres une atteinte au droit des femmes de choisir leur maternité.
Le Planning familial craint qu'on donne « insidieusement au ftus le statut juridique d'une personne. Et, si le ftus est une personne, l'avortement sera interdit ». Position que fait sienne Françoise de Panafieu, vice-présidente du groupe UMP à l'Assemblée en charge des questions familiales et du droit des femmes. Sur ce point précis, Dominique Thouvenin, professeur de droit à Paris-VII, est formelle : « En créant, avec la femme enceinte, une catégorie spéciale à protéger, on définit bien l'existence juridique du ftus, et même de l'embryon », dit-elle. Or, en l'état actuel de la jurisprudence, la Cour de cassation a stipulé à trois reprises que l'enfant à naître n'était pas une personne, dans des affaires de femmes enceintes ayant perdu leur ftus à la suite de négligences médicales ou d'accidents de voiture.
La philosophe et écrivain Elisabeth Badinter évoque « un climat, une atmosphère générale dans la société » qui pourraient aider « les intégristes de tous poils (à) se saisir » de l'amendement, si ce n'est déjà fait.
Jean-Paul Garraud, député UMP de Gironde, à l'origine du texte qualifié de « liberticide », se défend de toute remise en cause de l'IVG. Il prétend seulement « combler un vide juridique », puisque la loi Veil ne connaît pas l'IIG par la faute d'un tiers. « Un sous-amendement au projet de loi précise que la nouvelle disposition ne peut en aucun cas faire obstacle au droit de la femme enceinte de recourir à un avortement », précise Jacques Barrot, président du groupe UMP.
Si la législation du 17 janvier 1975 « pose le principe du libre choix de la femme (...) elle n'autorise pas (...) un chauffard à décider à sa place, estime Jean-Paul Garraud . C'est pourquoi, de 1975 à 1999, la justice a continué à poursuivre pour homicide involontaire les auteurs d'accident de la route responsables de la perte d'un ftus », à l'instar de la plupart des pays européens. Selon lui, le problème soulevé par ses détracteurs « vient de ce que la Cour de cassation a renversé sa jurisprudence en 1999 et 2001. Désormais, elle ne reconnaît l'homicide involontaire qu'à partir de la naissance de l'enfant ». « Mon amendement protège les femmes enceintes, il ne reconnaît pas un statut au ftus », martèle le député de la majorité, au même titre que « l'article du code pénal sanctionnant les auteurs de coups et blessures volontaires ayant entraîné la perte d'un ftus qu'a fait adopter en 1999 le gouvernement socialiste ».
Pour l'heure, la portée d'une modification de l'amendement Garraud reste vague. En tout état de cause, la copie parlementaire est susceptible d'évoluer, en particulier lors de son examen par le Sénat en janvier prochain, selon le rapporteur du projet de loi Perben, Jean-Luc Warsmann, député UMP des Ardennes. « On peut se demander si la protection du personnel médical pourrait être éventuellement encore renforcée. » Deux « garde-fous solides » sont déjà prévus par le texte, estime le parlementaire : le délit ne saurait être constitué lorsque l'acte pratiqué présente un risque, ni quand il a lieu en urgence à l'initiative d'un médecin ignorant que la femme est enceintes. Mais il n'exclut pas que le nouveau texte s'appuie sur un délit existant, comme les blessures involontaires. Jean-François Mattei, de son côté, promet aux médecins que leurs « conditions d'exercice ne seront en aucune manière affectées ». Environ 90 000 amniocentèses sont réalisées en France chaque année pour le dépistage des anomalies chromosomiques, chaque acte comportant un risque de fausse couche d'environ 1 %. « Si la menace d'une condamnation pénale pèse sur le praticien, l'accès à ce type d'examen va devenir impossible pour les patientes », met en garde le Collège national des gynécologues et obstétriciens français.
Le 27 mai 2003, « le Sénat s'était opposé courageusement à un amendement similaire au détour de la loi sur la Sécurité routière », déposé, là encore, par Jean-Claude Garraud, rappellent le Planning, l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception et le Collectif pour le droit à l'avortement.
Droit du foetus : la France devant la Cour de Strasbourg
Une Française, Mme X, dénoncera devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, le 10 décembre, le refus de Paris de qualifier d'homicide involontaire l'atteinte à la vie d'un enfant à naître qu'elle portait et qu'elle a perdu par erreur médicale.
La requérante, aujourd'hui âgée de 36 ans, s'est rendue le 27 novembre 1991 dans un hôpital de Lyon pour y subir la visite médicale du sixième mois de sa grossesse. Par malchance, ce jour-là, une homonyme se présente dans le même établissement pour se faire retirer un stérilet. Confondant les deux femmes, le médecin procéda à un examen de Mme X et provoqua une rupture de la poche des eaux, rendant nécessaire un avortement thérapeutique. Après plusieurs épisodes judiciaires, la cour de cassation a annulé en 1999 l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, déclarant le praticien coupable d'homicide involontaire (six mois avec sursis et 1 500 euros d'amende). Dans son verdict du 30 juin 1999, elle estimait que « les faits litigieux ne relevaient pas des dispositions relatives à l'homicide involontaire, refusant ainsi de considérer le ftus comme une personne humaine pénalement protégée ».
Invoquant l'article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l'homme, la requérante soutient au contraire que l'Etat a l'obligation de mettre en place une législation pénale visant à réprimer et à sanctionner une telle atteinte à l'enfant à naître.
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