19 h 30, la journée tirait à sa fin, j'allais pouvoir rentrer tôt. Dehors il faisait déjà nuit noire et le froid humide de ce début novembre me figea, à peine sorti de mon cabinet. Une centaine de mètres à peine me séparait de mon habitation où mon épouse et les enfants m'attendaient pour y partager un repas bien chaud.
Soudain une voiture s'arrêta à ma hauteur, me tirant rapidement de mes rêveries domestiques. Deux femmes affolées en descendirent en pleurs, me suppliant de venir bien vite au chevet de leur fils et frère qui avait complètement perdu la tête. Il s'était enfermé dans sa chambre depuis le matin, interdisant l'entrée à quiconque et menaçant de se « foutre en l'air ». Elles avaient tout tenté pour le raisonner, en vain.
Avec les pieds de plomb, je me dirigeais alors vers ma voiture, y jetais rageusement ma sacoche et me rendais rapidement à leur domicile, situé à l'autre bout du village, où m'attendait le père, très inquiet et à la fois rassuré de me voir.
– « Il est à l'étage Docteur, suivez-moi, il ne veut pas nous laisser entrer mais je pense qu'avec vous il n'y aura pas de problème. Méfiez-vous quand même, il est armé d'un revolver, mais ne vous inquiétez pas, je reste derrière la porte ! »
– « Très aimable à vous, mais s'il tire, la première balle sera néanmoins pour moi ! »
L'homme eut alors un sourire compatissant et m'invita à pénétrer, sans plus attendre, dans l'antre de son fils. À l'intérieur régnait une ambiance lugubre. La pièce était faiblement éclairée par une lampe de chevet qui diffusait une lumière jaunâtre et projetait sur les murs, d'aspect délavé, des ombres à l'allure inquiétante.
À une extrémité de la chambre se trouvait le lit sens dessus dessous, sur lequel gisait le patient. Il semblait dormir paisiblement, émettant quelques ronflements intermittents, tenant dans sa main droite son arme de poing et dans l'autre un verre renversé. Sur la table de nuit, une cigarette finissait de se consumer dans un cendrier, laissant échapper une odeur de cannabis frelaté.
Quelques comprimés de sédatifs puissants étaient éparpillés çà et là, autour d'une bouteille de vodka vide, à même le sol. À l'autre bout de la pièce, face au lit, bien rangées sur une longue et rustique table de chasse, et accolées au mur, trônaient trois vivariums.
Elles étaient aussi éclairées par une lumière ocre et abritaient de grands lézards à la démarche pesante mais au regard vif, d'énormes serpents apparemment somnolents, et des araignées géantes aux pattes velues, semblant attendre une improbable proie. Sous la table, une cage métallique de bon volume renfermait une bonne dizaine de rats bien vigoureux.
La frayeur qui commençait progressivement à m'envahir, se trouva brusquement majorée lorsque le jeune homme me demanda méchamment ce que je faisais là. Il me fixait avec intensité, les yeux hagards et empreints de haine, le revolver dirigé vers moi.
– « Mon Dieu, s'il tire je vais m'effondrer dans les cages et me faire dévorer par ces horribles animaux d'un autre monde ! Qu'elle triste fin pour un modeste médecin de campagne, de périr ainsi en pleine jungle ! »
Soudain il me sembla entendre dans le lointain, un vague roulement de tam-tam africain, au rythme régulièrement accéléré. Il s'agissait en fait tout banalement du bruit de mon cœur stressé qui résonnait dans ma poitrine subitement étriquée. La bouche sèche, ne sachant plus sortir un mot, je sentais mes jambes se dérober, mes mains trembler et devenir moites, et une sueur froide me glacer le dos.
– « Non, ce n'est pas possible, ma dernière heure n'est pas déjà arrivée! Il ne peut pas me faire ça ce gamin que je connais depuis si longtemps, que j'ai vu grandir, et dont les parents me sont si attachés ! »
Il fallait que je lui parle, qu'il me reconnaisse, que je le rassure sur la raison de ma présence dans sa chambre. Recouvrant alors toute mon énergie et reprenant courage, je me mis à avancer lentement et le plus calmement possible vers lui, en lui parlant gentiment, pour m'identifier d'abord, puis pour lui expliquer pourquoi et comment je me trouvais là devant lui. Il tenait toujours son arme dirigée vers moi, me laissant entrevoir la mort au bout de son canon.
Arrivé au pied de son lit, il me reconnut enfin et finit par poser délicatement le revolver sur la table de nuit. Je pouvais enfin m'asseoir à ses côtés et entamer une longue et délicate conversation afin de lui faire accepter de se faire soigner. Il se sentait mal à l'aise, angoissé, incompris, rejeté, persécuté, torturé, et voulait se venger de tout et de tous. A cet effet il avait acheté son flingue à une de ses vieilles connaissances acoquinées depuis peu avec de sombres malfrats.
Peu à peu, à force de patience et de sollicitude, je parvins à le calmer et apparemment à le raisonner.
À l'issue de deux heures d'un dialogue entrecoupé de cris de révolte, de menaces et de gestes agressifs, je réussis à le convaincre de se faire hospitaliser dans une structure adaptée. Très heureux de cette issue, je le laissai préparer tranquillement ses affaires et descendis avec son père, resté silencieusement et patiemment derrière la porte durant toute la durée de l'entretien. En bas, nous attendaient, mortes d'inquiétude, la mère et la sœur du jeune homme. J'entrepris alors de leur expliquer ce qui lui arrivait.
À peine avais-je fini que nous vîmes apparaître, dans l'encoignure de la porte, notre malade, habillé de pied en cape, et muni de son revolver. Grand et dégingandé, emmitouflé dans un duffle-coat bleu marine, la tête recouverte de la capuche, il nous surpassait de trois têtes et paraissait plus nous menacer du regard que de son arme.
Il ne voulait pas qu'on l'interne et était prêt à faire passer un très mauvais moment à celui qui essayerait de le gruger. Puis il se dirigea hâtivement vers la sortie et disparut rapidement dans la nuit glauque, tandis que nous le menacions de faire intervenir les gendarmes. Dès qu'il fut parti, conscients du danger qu'il représentait, à la fois pour lui-même et pour les gens qu'il pouvait éventuellement rencontrer, nous décidâmes, d'un commun accord, d'appeler les forces de l'ordre.
Une fois sur place, les officiers commencèrent leur interrogatoire en me demandant quel était le motif de son geste et une foule de précisions à propos de l'arme et des munitions emportées par le fugitif.
– « Je tiens, avant toute chose, à vous préciser que, bien qu'il soit armé, il ne s'agit en aucun cas d'un délinquant et encore moins d'un truand, mais bel et bien d'un malade. Je ne pense pas qu'il ait réellement l'intention de se servir de son arme contre qui que ce soit, mais peut-être pourrait-il, s'il se sent menacé, la retourner contre lui. »
– « L’arme qu’il porte est un revolver ou un pistolet ? De quel calibre sont ses munitions ? Et comment l’a-t-il eue ? »
Face à mon ignorance, l'un d'eux m'expliqua qu'un revolver possédait un barillet dans lequel on introduisait les balles une par une, contrairement à un pistolet qui, lui, avait un chargeur. Quant au calibre, ils purent le vérifier lorsqu'ils fouillèrent sa chambre sur l'invitation du père et y retrouvèrent quelques douilles de 22. Prenant alors la chose très au sérieux, ils appelèrent sur le champ la brigade de recherche et partirent fouiller le village.
La chasse à l'homme était lancée. Je sus quelques jours plus tard que le gaillard avait déjoué tous les pièges tendus par la maréchaussée et qu'il était revenu tranquillement chez lui à l’aube.
Par la suite, il fut sommé de se présenter à la gendarmerie avec son revolver qui lui fut confisqué et il dût consentir à se faire soigner dans un établissement spécialisé, au risque, s'il refusait, de se voir inculper de détention illégale d'arme à feu et d’usage illicite de drogue.
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