QUAND ON PARLE de la peau, immanquablement vient à l'esprit la remarque de Valéry : « Ce qu'il y a de plus profond chez l'homme, c'est la peau ». Plus rarement, cette autre référence à l'auteur : « Il n'y a que les choses superficielles qui puissent ne pas être insignifiantes. Ce qui est profond n'a point de sens ni de conséquences. La vie n'exige aucune profondeur. Au contraire. » Le vocabulaire courant ne lui fait pourtant pas la part belle (le grain de beauté est seulement posé à sa surface) et exprime plutôt une certaine violence du sentiment, du caractère ou de situation : « t'avoir dans la peau », « j'aurai ta peau », « vieille peau » ou « peau de vache » ou encore, « sauver sa peau ».
Pourtant, comme le montre François Dagognet, dans « la Peau découverte »*, notre « cerveau périphérique » (peau et cerveau sont issus du même feuillet embryologique) est l'appareil le plus étendu et le plus lourd du corps humain. Sa surface s'étend sur environ 2 m2, pour un poids d'environ 3 kilos chez un adulte qui en pèse 70. « Un centimètre carré contiendrait, grosso modo, 3 vaisseaux sanguins, 10 poils, 12 nerfs, 15 glandes sébacées, 100 sudoripares et 3 millions de cellules », évalue-t-il. Plus que les chiffres, c'est la variété des composants qui impressionne et qui suggère une multitude de fonctions possibles : nerveuse, immunitaire, endocrinienne et circulatoire.
Cacher et afficher.
Interface entre le dedans et le dehors, elle ne peut être séparée ni du dedans qu'elle contient, ni du dehors qui l'affecte et la stimule. Nous pouvons fermer les yeux, si nous le souhaitons, ou les oreilles, voire les narines, mais il nous est impossible de nous soustraire à tout contact. Ce seul fait la singularise. Elle cache, dans le même temps qu'elle affiche. Dans son ouvrage, François Dagognet regrette que la dermatologie ne cesse de se réduire comme une peau de chagrin.<\!p>Connaît-on beaucoup d'affections qui ne touchent à la fois l'extérieur et l'intérieur du corps ? Qui ne puisse se lire dans leur projection cutanée ? s'interroge-t-il. La dermatologie semble prise en étau entre les spécialités qui lui retirent une à une les entités qu'elle a elle-même isolées : « Les maladies infectieuses comme la rougeole, la varicelle vont aux pédiatres, l'acné aux endocrinologues, les eczémas aux allergologues, les sclérodermies aux rhumatologues, les mélanomes malins aux cancérologues et aux radiothérapeutes... » Bien plus, dit-il, la cosmétologie aujourd'hui, lui arrache des lambeaux de son territoire : « On a cru élever des barrières : la cosmétologie se préoccuperait seulement de la peau saine, la dermatologie de la malade. Il nous semble difficile de fixer les limites entre ce que préconise le thérapeute et ce que commercialise le spécialiste de l'hygiène (les soins du corps). »
Vieille querelle ! Du temps d'Hippocrate, la cosmétique faisait bien partie de la médecine. En témoigne le livre consacré aux maladies des femmes, avec ses recettes à base de plantes pour atténuer les rides ou pour lutter contre la chute des cheveux ou la calvitie des hommes. Mais quand, plus tard, Francis Bacon (1561-1626) fera un inventaire du savoir de son époque il partagera la science de l'homme en quatre branches : la médecine ou l'art de guérir, la cosmétique ou l'art de l'embellissement et de la parure, l'athlétique ou l'art des exercices, l'art voluptuaire enfin, celui du plaisir. L'hygiène corporelle fait partie de la cosmétique. Elle seule trouve grâce à ses yeux. En effet, l'embellissement n'est « ni assez subtile pour tromper, ni assez joli pour qu'on s'en serve, ni assez sain pour plaire ».
C'est que la cosmétique a mauvaise presse. On l'accuse de donner l'illusion de ce qu'on n'est pas. Le Moyen Age, si propre, avait abandonné le fard, la Renaissance et l'Age classique, si sales, se fardent généreusement. Au siècle des Lumières, un témoin affirme encore : « Il n'y a rien de plus aisé à Paris que d'avoir la beauté ; il suffit d'avoir une tête pour se donner un joli visage. Chaque femme conserve le sien dans un petit pot : l'âge ne le détruit pas, parce que le pot se renouvelle toujours. »
Pommades et fards sont là pour cacher une imperfection ou une disgrâce, pour échapper aux effets de l'âge ou dissimuler les cavités de la petite vérole ou autres maladies du temps. Hommes et femmes usent également de l'artifice, car il est aussi un signe de distinction sociale. La fin du XVIIIe marquera le retour vers plus de simplicité et à un certain naturel. La peau se met à nu, le maquillage est réservé aux actrices sur scène et aux prostituées. <\!p><\!p>
Signes tégumentaires.
Aujourd'hui, le marché des cosmétiques explose et les Français sont parmi les premiers consommateurs : produits de maquillage, de soin pour le visage ou pour le corps. Et le phénomène est aussi masculin. La recherche en cosmétologie évolue vers plus de scientificité. Elle reste une science de l'illusion et du faux-semblant, mais se soucie de santé. Les nouveaux produits cherchent à améliorer l'état de la peau, en maintenant son équilibre. L'émergence d'une médecine esthétique est le reflet d'une demande de transformation moins éphémère. Cependant, aux côtés de cette médicalisation du beau, des pratiques de marquage fleurissent, différentes des peintures corporelles qui ont perduré dans les sociétés ancestrales. Le signe tégumentaire est désormais une manière d'écrire dans la chair des moments clés de l'existence ou d'affirmer une singularité radicale.
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