PAR LE Dr ERIC FRAU*
LE DÉCOLLEMENT de rétine (DR) est une pathologie rare atteignant 0,2 % de la population, pour laquelle il existe des facteurs de risque connus : présence de déhiscence, fragilisation de la rétine visible comme les palissades et les plaques de givre, antécédents de chirurgie de la cataracte, surtout lorsque la capsule postérieure du cristallin est ouverte, et antécédents de décollement de rétine de l’autre oeil. La forte myopie est aussi un facteur de risque reconnu. Enfin, certaines pathologies malformatives rares, comme la maladie de Marfan, expose à la survenue d’un décollement de rétine.
La prophylaxie repose le plus souvent sur la photocoagulation au laser. L’énergie luminueuse traversant l’oeil et l’épaisseur de la rétine neurosensorielle est transformée en chaleur au niveau de l’épithélium pigmentaire. La brûlure provoquée au niveau des tissus entraîne une adhérence entre la rétine, l’épithélium pigmentaire et la choroïde. Pour être efficace, la photocoagulation doit être faite en rétine non décollée. La photocoagulation est une technique simple, réalisée sous anesthésie topique, en ambulatoire, au cabinet de l’ophtalmologiste. Plus rarement est pratiquée une cryoapplication, voire dans certains cas une indentation, les techniques sont plus lourdes, nécessitant un bloc opératoire et une anesthésie locale péribulbaire ou générale.
Les déhiscences.
Une déhiscence est définie comme une solution de continuité intéressant toutes les couches de la rétine neurosensorielle.
Les déchirures ont une forme en fer à cheval dont les cornes sont dirigées vers l’ora serrata. Il existe le plus souvent une bride de traction de vitré insérée sur le clapet et responsable de la survenue de la déchirure. Ce sont les plus dangereuses puisqu’il existe une traction persistante. Parfois, le clapet antérieur a été arraché et on retrouve un trou avec un opercule en avant constitué de rétine arrachée. Dans ces cas, la traction est relâchée. Une déchirure de plus de 90° est une déchirure géante, pour laquelle le traitement prophylactique est le plus souvent dépassé.
Les trous par atrophie de la rétine surviennent en rétine amincie, parfois au sein de plaque de givre ou de palissade, ils peuvent exister en dehors de tout décollement postérieur du vitré. Le plus souvent, il n’y a pas de traction vitréenne, mais un décollement à développement lent peut cependant survenir alors que le vitré n’est pas décollé.
En cas de déchirures symptomatiques, de myodésopsies ou de phosphènes, le risque de décollement de rétine est de 31 à 57 %. La photocoagulation rétinienne autour des déhiscences abaisse la fréquence de décollement de rétine à 1,4 à11,6 %. Le traitement d’une déhiscence symptomatique s’impose donc et est une urgence. Si le soulèvement rétinien s’étend au-delà d’un diamètre papillaire des berges de la déchirure, le traitement par photocoagulation est dépassé et la mise en place d’une indentation épisclérale est préférable. Le traitement des trous atrophiques est plus discuté lorsqu’ils sont symptomatiques. Le risque de survenue d’un décollement de rétine est de 12,5 %. Lorsque l’on peut mettre en évidence un soulèvement des vaisseaux adjacents ou une traction vitréenne, la photocagulation est toujours indiquée. En l’absence de toute traction, certains auteurs proposent une simple surveillance ; cependant, la facilité de réalisation d’une photocoagulation est souvent préférable à une surveillance souvent lourde pour les patients.
Les déhiscences asymptomatiques sont retrouvées dans 5,8 à 13,7 % des études cliniques, de 4 à 7 % après autopsies ; de 0,6 à 0,8 % des patients ont aussi des déchirures et 0,8 % des trous à opercules. Dans 45 % des cas, ces lésions sont isolées et, dans les autres, elles sont associées à des lésions dégénératives de la périphérie rétinienne.
Le risque de décollement de rétine est de 70:1 lorsqu’il existe une déhiscence asymptomatique, ce qui amène de nombreux auteurs à préconiser une simple surveillance sur un oeil phake sans antécédent de décollement sur l’oeil controlatéral. Cependant, si l’on compare à la fréquence du décollement de rétine, qui est de 3,5 à 12,6/100 000 dans la population générale, on peut considérer que le risque est largement augmenté dans cette situation et que la gravité d’un décollement de rétine peut faire préférer un traitement prophylactique par photocoagulation devant une déhiscence asymptomatique.
Les risques de décollement de rétine sont modifiés si l’oeil a été opéré de cataracte. Après chirurgie intracapsulaire (ou extracapsulaire avec rupture capsulaire peropératoire), le risque de décollement de rétine est de1,5 à 2 %. Le risque de survenue d’un décollement de rétine est multiplié par 5 à dix ans sur un oeil opéré de cataracte par extracapsulaire manuelle ou phakoémulsification. Le risque pour un oeil aphake de développer une déchirure est de 36,8 % contre 13,1 % pour un oeil phake après décollement postérieur du vitré. Enfin, un décollement de rétine survient sur 18 % des yeux phakes après déchirure secondaire au décollement postérieur contre 85,7 % pour des yeux aphakes. Une prophylaxie par photocoagulation des déhiscences peut être proposée sur les yeux aphakes ou pseudophakes, quelles soient symptomatique ou non. Une photocoagulation circonférentielle sur 360° systématique chez tous les yeux pseudophakes n’est cependant pas recommandée, car elle ne protège qu’un oeil traité sur cent. De plus, une telle photocoagulation étendue nécessite plusieurs séances et expose à des complications comme le développement d’une membrane épirétinienne ou la survenue de déchirure en arrière des cicatrices de laser circonférentiel.
Dégénérescences rétiniennes périphériques.
Les plaques de givre et les palissades sont les deux aspects les plus fréquemment observés. Ils correspondent à un amincissement rétinien associé à une adhérence vitréenne sur la rétine en arrière. Les études cliniques et post mortem estiment la prévalence de ces lésions entre 5 et 9,5 % avec une fréquence identique dans les deux sexes et parmi les différents groupes raciaux étudiés. Elles sont plus fréquentes après la deuxième décade de vie et sont bilatérales chez 30 à 50 % des individus. Près d’un tiers des décollements de rétine sont associés à une dégénérescence périphérique, cette association atteint 61 % au Japon où la prévalence de la myopie est plus importante. Classiquement, les décollements de rétine associés aux dégénérescences périphériques sont dans 87 % des cas secondaires à une déchirure localisée à la limite postérieure de la palissade ou la plaque de givre survenant au moment du décollement postérieur du vitré. Un trou atrophique dans la zone de dégénérescence est associé au décollement de rétine dans 3 à 7 % des cas. Le plus souvent, le vitré n’est pas décollé, le décollement est souvent d’apparition lente et longtemps asymptomatique. Cette éventualité est plus fréquente chez les sujets jeunes et myopes. L’incidence cumulée de décollement de rétine par trou dans une zone de dégénérescence est de 1,1 à 1,5 %, l’incidence cumulée de décollement de rétine par déchirure associée à une dégénérescence périphérique est de 3,6 % à 80 ans. L’incidence cumulée de décollement secondaire à un trou ou à une déchirure associé à une dégénérescence périphérique est de 5,5 %, ce qui est peu différent des 5,3 % de décollements de rétine après traitement prophylactique des dégénérescence périphériques. La plupart des auteurs préconisent donc une simple surveillance de ces dégénérescences lorsqu’il n’y a pas d’antécédent de décollement de rétine controlatérale. Ces éléments doivent être modulés en fonction des facteurs de risque associés comme la myopie au-delà de 6 dioptries, l’aphakie, la pseudophakie ou le projet d’opérer le patient de la cataracte. Enfin, l’âge du patient et l’état du vitré postérieur doivent être pris en compte : le risque étant toujours plus faible lorsque le vitré est déjà décollé, alors qu’un patient d’une cinquantaine d’années, dont le vitré n’est pas encore collabé, présente un risque plus important de décollement de rétine à court terme.
Prévention de l’oeil controlatéral.
La fréquence de l’atteinte du deuxième oeil après décollement de rétine d’un oeil varie de 5,8 à 11,2 %.
Si le deuxième oeil est phake, l’efficacité du traitement prophylactique est diversement apprécié selon les études. Plusieurs situations sont à considérer. Si l’oeil controlatéral est normal, une simple observation est recommandée. En présence de déhiscences sur l’oeil controlatéral d’un oeil phake ayant eu un décollement de rétine, le risque de décollement passe de 2,6 % à 0 % lorsqu’une prophylaxie autour des déhiscences est réalisée. Le bénéfice de 2 à 3 décollements évités pour 100 yeux traités paraît faible pour certains auteurs, mais, chez un patient qui a déjà subi le traumatisme du traitement d’un décollement de rétine, ce bénéfice semble suffisant surtout si le premier oeil a été perdu. En cas de lésion rétinienne sur un oeil phake controlatéral d’un oeil aphake ayant eu un décollement de rétine, le risque est identique avec ou sans traitement prophylactique. De nombreux auteurs préconisent la surveilllance. Cela est à moduler en fonction de la récupération du premier oeil et des facteurs de risque associé du deuxième oeil, ainsi que de l’assiduité du patient à sa surveillance. Sur un oeil phake qui présente des zones de dégénérescences périphériques dont le premier oeil phake a fait un décollement de rétine, un traitement prophylactique des zone anormales est préconisé si le décollement postérieur du vitré ne s’est pas produit ; dans le cas contraire, une simple surveillance est proposée.
Si le deuxième oeil est aphake ou pseudophake et que le premier oeil a fait un décollement de rétine alors qu’il était aphake, le risque de décollement de rétine passe de 14,8 % à 3,7 % lorsque les lésions périphériques sont traitées. Le risque de décollement de rétine sur les deuxièmes yeux aphakes est de 10,2 à 14,3 % lorsque la périphérie rétinienne ne retrouve aucune anomalie. Sur ces yeux, le traitement prophylactique par photocoagulation sur 360° ne diminue pas le risque, une simple surveillance est donc préconisée.
Les décollements par déchirures géantes représentent un cas particulier. Ils sont rares : 1 cas pour 200 décollements de rétine, mais la bilatéralisation survient dans 25 à 48 % des cas, ce qui impose la recherche d’un traitement prophylactique. La cryothérapie ou la photocoagulation sur 360° ont été proposées, mais la survenue de déchirures sur la berge postérieure du traitement prophylactique n’est pas exceptionnelle. La mise en place d’une indentation épisclérale a été essayée avec des résultats intéressants, bien que cette technique soit agressive pour un traitement préventif.
* Centre ophtalmologique Saint-Sulpice, Paris.
Rétinoschisis sénile
Le rétinoschisis sénile est une dissection au sein des couches du neuroépithélium. Sa prévalence est de 7 % après 40 ans et est bilatéral dans 82 % des cas. Une progression posterieure se produit dans 3 % des cas, mais elle n’atteint jamais la macula. Le risque de survenue d’un décollement de rétine par amincissement et déhiscence du mur externe et interne est de 1/2 000. Une simple surveillance est donc recommandée. Le seul problème étant de faire la différence entre un décollement de rétine à développement lent et un rétinoschisis sénile
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