Ni responsables, ni coupables.
Après la confirmation de la situation catastrophique de la branche maladie dont le déficit cumulé 2002-2003 approchera, selon la commission des comptes de la Sécurité sociale, 16 milliards d'euros (voir tableau), les syndicats de médecins libéraux ont décidé à l'unisson de prendre les devants. Et de riposter, ou du moins de s'expliquer. Avant même que les premières flèches soient tirées dans leur direction, ils ont rejeté haut et fort tout nouveau discours culpabilisant la profession médicale, argumentaire qui avait marqué le plan Juppé de sinistre mémoire.
Il faut dire que l'analogie avec le milieu des années 1990 a été vite faite par les uns et les autres pour caractériser l'ampleur des déficits. Dans son habituel avant-propos, François Monier, secrétaire général de la commission des comptes, va droit au but. « La situation n'a de précédent que la crise financière des années 1990 qui s'était traduite par des déficits très importants sur la période 1993-1996, avec un maximum de 10 milliards d'euros en 1995. » (pour le régime général) Pour 2003, c'est presque 8 milliards d'euros de déficit du même régime général que redoute la commission des comptes, le double des prévisions de la loi de financement de la Sécu votée à l'automne. Cela nous ramène « aux pires années du régime général », a reconnu Jean-François Mattei.
ONDAM 2003 : 700 millions d'euros de dépassement
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les représentants des médecins redoutent, sinon un plan de rigueur avec un nouveau système de maîtrise des dépenses à la clé, du moins une sévère « mise à la diète » qui priverait les praticiens, notamment les spécialistes, des revalorisations tarifaires attendues. D'autant que la commission des comptes annonce déjà un dépassement d' « environ 700 millions d'euros » de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) pour 2003, dont le taux d'évolution avait pourtant été qualifié de « réaliste et sincère » par tous les observateurs (+ 5,3 %). La commission envisage une augmentation de 6 % des dépenses d'assurance-maladie cette année. Fait significatif : à plusieurs reprises, sans nier la « crise des recettes » qui explique l'essentiel de la dégradation des comptes, le rapport de la commission insiste sur la « très forte » évolution du poste des soins ambulatoires, ces dernières années, et sur l'impact des récentes revalorisations d'honoraires (généralistes, pédiatres). Les « importantes revalorisations tarifaires accordées aux professionnels de santé libéraux en 2002 et 2003 représentent environ 0,6 point d'ONDAM en 2002 et 0,8 point en 2003 », constate la commission qui souligne la « croissance régulière du pouvoir d'achat des spécialistes, que ce soit avec un recul de trois ou sept ans ». De là à rendre (au moins partiellement) responsables les médecins libéraux de la situation actuelle, il n'y a qu'un pas que certains ont été tentés de franchir.
« Nous sommes dans un pays où n'importe quel médecin peut s'installer n'importe où pour prescrire n'importe quel traitement à n'importe quel citoyen qui vient le consulter autant de fois qu'il le veut, a regretté le président du Medef, Ernest-Antoine Seillière, sur BFM. C'est un système unique au monde, dans lequel la liberté est complète, la dépense sans limite. » La CFE-CGC « s'interroge », pour sa part, sur les « coûts des mesures prises depuis janvier entre la CNAM et les médecins ». La CFTC juge que la hausse des dépenses était prévisible au regard du « dérapage des indemnités journalières (...), des revalorisations successives des honoraires des professionnels de santé et d'une politique conventionnelle médicale exsangue ». Le PS accuse le gouvernement d'avoir « décidé d'augmenter les honoraires des médecins sans contrepartie », renonçant à « toute maîtrise des dépenses ».
A l'UMP, enfin, plusieurs parlementaires admettent à mots couverts que la question de la régulation des dépenses de médecine de ville se pose à nouveau cruellement.
Le feu n'est pas encore nourri, mais les syndicats médicaux ont perçu la menace. « Les médecins n'accepteront pas de payer les pots cassés par les caisses », a immédiatement mis en garde le Dr Dino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Estimant que les caisses ont « bloqué à plusieurs reprises, pour des raisons politiques, la négociation », le président du SML estime qu'elles seules « portent la responsabilité du dépassement de l'ONDAM ». Pour le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, majoritaire, c'est essentiellement « l'incurie des gestionnaires de la Sécurité sociale qui est en cause ».
Quant à la Fédération des médecins de France (FMF), elle considère que la crise financière actuelle fortifie son analyse. « Chacun voit bien qu'il n'est plus possible de lier les honoraires médicaux aux possibilités financières des caisses, il faut une soupape de sécurité et de liberté tarifaire », explique le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF.
Même la Coordination nationale des médecins spécialistes (CNMS) s'est fendue d'un communiqué martelant que « la solution pour la réduction de ce déficit ne passe pas par le blocage des honoraires ». Tous appellent le gouvernement à publier, en attendant la réforme de l'assurance-maladie, un règlement conventionnel minimal (RCM) porteur d'espoir et en aucun cas « pénalisant ». Il est peu probable, à cet égard, que l'annonce de Jean-François Mattei de « revalorisations ciblées » pour les spécialités cliniques (voir par ailleurs) rassurera une base déboussolée et parfois tentée par le déconventionnement.
Les généralistes ont, de leur côté, de solides arguments à défendre. Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, rappelle « l'engagement déjà effectif des généralistes dans la maîtrise des volumes ». Réforme de la visite à domicile, prescriptions en molécules ou en génériques, bon usage des antibiotiques... : les représentants des médecins de famille font valoir qu'ils ont « joué le jeu » depuis un an et relevé, en partie au moins, le défi de la responsabilité partagée .
Les résultats du régime général |
||||
En milliards deuros | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 (p) |
---|---|---|---|---|
Maladie |
-1,6
|
-2,1
|
-6,1
|
-9,7
|
Accidents du travail |
0,4
|
0,0
|
0,0
|
-0,1
|
Vieillesse |
0,5
|
1,5
|
1,7
|
1,5
|
Famille |
1,5
|
1,7
|
1,0
|
0,4
|
Total |
0,7
|
1,2
|
-3,4
|
-7,9
|
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