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IL S'AGIT D'ABORD d'un « coup » de presse remarquable, dans la mesure où, en reliant diverses actions gouvernementales, de la réduction du budget de la recherche à la gestion de l'éducation par Luc Ferry, on peut, effectivement, déceler une trame ou des intentions (à prouver) de l'exécutif contre les forces vives de la pensée française. En d'autres termes, la pétition, et la publication qui la lance, cristallisent un malaise diffus à laquelle elles donnent un nom : guerre contre l'intelligence.
Ensuite, on compte, parmi les signataires, des gens qui, sans conteste, appartiennent à la fine fleur de ce pays, du cinéaste Bertrand Tavernier à l'ancien Premier ministre Michel Rocard, dont on a toujours loué l'immense intelligence, en passant par le philosophe Jacques Derrida. Si tous ces intellectuels de haute volée estiment que la politique du gouvernement risque de rendre la France plus bête, la critique fait mouche : elle n'est pas un pur réflexe de contestation, ni l'une de ces grèves insolentes qu'organisent des privilégiés, elle ne verse pas des larmes sur la cruauté sociale du pouvoir, elle sort complètement de l'arène politique où se poursuit le débat droite-gauche depuis des décennies, dans une ambiance lassante et un climat accablant tant il est prévisible.
Raffarin soupçonné.
Cette fois, le coup vient d'ailleurs ; il a une dimension certes intellectuelle, avec un zeste tardif de gauche caviar, mais universelle aussi. Ce qui est en jeu, disent les détracteurs du gouvernement, c'est l'intelligence actuelle et future de tout un peuple. Le débat politique est soudain transporté dans la sphère métaphysique.
A quoi les commentaires de presse ajoutent que Jean-Pierre Raffarin, dans de multiples déclarations, a exprimé, à l'égard des intellectuels, une profonde méfiance. De là à imaginer que la bêtise est au pouvoir, il n'y a qu'un pas, allègrement franchi par les signataires de la pétition.
On ne peut pas laisser les choses en l'état. Rares seront ceux qui voudront, par loyauté pour le gouvernement, discréditer les signataires : ils ne peuvent contester la qualité de leurs adversaires, regroupés sous une nouvelle coupole, qui ne serait plus politique, mais intellectuelle. Ils tenteront sans doute de rappeler que M. Raffarin, en homme du terroir, loin d'avoir fait l'apologie de l'idiotie, a plutôt prôné le bon sens que les gens dont le savoir augmente sans cesse oublient parfois. Autrement dit, les puissantes avancées de leur pensée, qu'elle soit scientifique, philosophique ou sociale, les rendent parfois aveugles à de simples mécanismes qui rendent mieux compte de l'évolution de la société que leurs complexes élaborations mentales.
Le bon sens ne doit pas être opposé à l'intelligence pure ; il ne correspond pas à une intelligence diluée ou pas encore formée ; il permet d'approcher les crises par les moyens de la praxis.
UNE ARME NEUVE DANS L'ARSENAL DE LA GAUCHE
Quelle définition de l'intelligence ?
Une très grande intelligence conduit à la lucidité et la lucidité conduit au scepticisme. Par exemple, le 9 février dernier, « le Quotidien » publiait l'analyse d'un livre d'Antoine Sénanque où il est dit que « la médecine est une imposture ». L'un de nos lecteurs a pris ce jugement au premier degré et nous a adressé une lettre sévère. Mais M. Sénanque n'a jamais dit qu'il fallait abolir la médecine et les médecins. Il pense seulement qu'ils sont faillibles et son perfectionnisme exige quelque chose de plus. On peut en dire autant de n'importe quelle profession, ce que ne veut pas dire qu'il faille exterminer tous les professionnels. L'intelligence permet de voir ; le bon sens permet de faire de son mieux.
La deuxième remarque portera inévitablement sur le sens introuvable du mot intelligence. Denrée relativement rare, elle ne s'en présente pas moins sous des formes extrêmement variées. Ce qui nous fonde à demander aux signataires de la pétition à quelle forme d'intelligence ils font référence : celle du physicien, celle du philosophe, celle de l'artiste ? Qu'ils répondent ou non à la question, ils sont déjà coupables de la faute à laquelle ils étaient le moins exposés : la simplification qui engendre la démagogie.
On conviendra que les signataires, par la formule qu'ils ont choisie, guerre à l'intelligence, ne prétendent pas que le gouvernement en est privé, mais qu'il en a peur. Ils n'agitent pas le spectre d'un conflit entre les idiots et les intelligents.
Tous à gauche.
Bien que nous ayons renoncé à lire patiemment la liste des 8 000 pétitionnaires, il nous semble néanmoins que toutes les têtes de file du mouvement répondent à une caractéristique commune : ils sont à gauche. De sorte que le public sera tenté de penser que la gauche s'approprie l'intelligence et qu'elle nie à la droite la faculté d'en avoir. Or certains exemples viennent aussitôt à l'esprit qui montrent plutôt que la gauche au pouvoir n'a pas toujours favorisé les progrès de l'intelligence ; ainsi, la recherche, si tristement abandonnée à son sort aujourd'hui, n'a pas non plus été très encouragée par le gouvernement de M. Jospin. Et l'exception française, mot d'ordre de notre nationalisme culturel que partagent la droite et la gauche, nous semble traduire des craintes et des faiblesses plutôt qu'elle n'encourage la création dans notre pays supérieurement intelligent où les « blockbusters » cinématographiques sont quand même « Astérix » et « les Visiteurs ».
Enfin, il faut bien dire que l'accusation portée à M. Raffarin constitue une arme neuve dans l'arsenal employé par la gauche contre la droite et que cette manière plus subtile que les précédentes de s'en prendre au pouvoir ne poursuit tout de même qu'un affrontement idéologique vieux de plus d'un siècle.
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