LE TEMPS DE LA MEDECINE
L'EFFET des sons, et en particulier de la voix, sur le psychisme humain est connu depuis la plus Haute Antiquité. Si leur utilisation à des fins curatives existe dans toutes les sociétés, c'est Pinel, médecin à Bicêtre puis à la Salpêtrière, qui, le premier, l'introduit en France, au sein de l'hôpital, pour traiter les aliénés. Mais c'est Florimont Rongé, connu sous le nom de Hervé « le compositeur toqué », qui, lors de son passage à Bicêtre, en fait un usage véritablement thérapeutique. Il n'a que 16 ans lorsqu'il obtient le poste d'organiste de la chapelle. Et là, parmi les fous de l'asile, il compose des petites pièces drôles qu'il interprète avec eux et qui, constate-t-il, ont sur eux un effet bénéfique. C'est en découvrant la musicothérapie, qu'il invente donc un genre nouveau, l'opérette ou opéra-bouffe, qu'Offenbach, qui le considère comme son plus sérieux rival, contribuera à rendre célèbre.
La voix porte notre identité.
Aujourd'hui, la tradition des chanteurs et des musiciens thérapeutes perdure, même si l'utilisation du chant et de la musique est devenue plus large. Valérie Drouot*,psychologue clinicienne, formée au chant lyrique, avoue s'être intéressée à l'écoute et à la voix parce qu'elle « avait des problèmes de voix ». « Les problèmes vocaux ne sont pas uniquement dus à des aspects techniques. Il y entre une bonne part de psychologique », explique-t-elle au "Quotidien". Pour travailler l'aspect psychologique, la voix est un excellent vecteur. » Le son, la mélodie, le rythme, le timbre ou l'intonation d'une voix disent ce que nous sommes. La voix porte notre identité, notre milieu socioculturel, notre sexuation biologique.
Dans le centre de Valérie Drouot, tout travail vocal passe d'abord par une pédagogie de l'écoute. Car, affirme-t-elle, « l'oreille contrôle la voix. Contrairement à l'audition, l'écoute se construit au fur et à mesure de nos expériences auditives. On finit par se construire une posture d'écoute qui peut devenir très gênante, parce que très défensive. Cette posture est la traduction au niveau sensoriel de la posture psychique du sujet ».
S'écouter.
Environ soixante heures d'écoute au travers d'une oreille électronique sont nécessaires pour obtenir une bonne harmonisation. Le travail vocal proprement dit (40 heures sur 5 jours) se fait généralement en groupe et consiste à utiliser au maximum l'outil corporel. « Il faut que le corps entier vibre, explique Valérie Drouot. Pour cela, il faut arriver à émettre sa voix dans le lâcher-prise, sans tension. » Mais l'objectif premier est de s'écouter. « Généralement, on ne s'écoute pas. En français, une expression telle que "Ne t'écoute pas" est très significative. Or, chaque fois que j'émets ma voix, elle m'informe et me confirme dans ce que je suis. Si je coupe l'écoute de ma propre voix, j'ai une relation tronquée avec moi-même. Mais s'écouter peut-être douloureux. Des conflits ou des expériences antérieures peuvent resurgir. » Etre confronté à sa propre voix n'est pas simple et les attitudes de fuites sont fréquentes. A certains de ceux qui viennent consulter et qui réclament des modèles - « Je veux la voix de Claire Chazal », par exemple -, elle objecte que « notre voix peut nous trahir ». Elle peut être le baromètre de notre confiance, mais aussi de notre fragilité. Une voix qui n'est pas la nôtre sera perçue comme artificielle. S'ouvrir à sa propre écoute et accepter sa propre voix est le premier pas vers un mieux-être.
Voix de poitrine et voix de tête.
Christophe Ferveur est aussi psychologue clinicien et s'est formé à la musicothérapie (centre international de Noisy-le-Grand et Paris-V), avant d'entamer, avec succès, une carrière de chanteur lyrique. Cela ne l'empêche pas d'intervenir en tant que musicothérapeute à la clinique psychiatrique Georges-Heuyer (Paris), auprès d'adolescents suivis en hôpital de jour pour des pathologies diverses (anorexie, suicide, psychoses, névroses). « Ils doivent être suffisamment stabilisés pour suivre une scolarité. C'est un vrai projet thérapeutique au sein de l'institution et l'autorisation d'un psychiatre est un préalable à la prise en charge », précise-t-il. Là encore, l'objectif est de permettre aux ados de « découvrir leur vraie voix », grâce à un travail autour du corps et du chant. « Chanter en chœur, c'est mettre en commun les harmoniques de chacun. Pour bien chanter, il faut chanter avec sa propre voix, sans essayer de fabriquer une seule personne commune. » Ce travail leur est salutaire, tout comme le travail sur l'identité sexuelle. « Dans la variété actuelle, notamment avec le phénomène Star Academy, les registres et les tessitures des voix ont tendance à s'homogénéiser dans une sorte d'ambiguïté de l'identité. » Pourtant, il existe deux registres de tessiture de la voix, l'une masculine, la voix de poitrine, et l'autre, féminine, la voix de tête. « Il faut vraiment une voix exceptionnelle, comme celle de Céline Dion par exemple, pour chanter les aigus en voix de poitrine ». Or beaucoup de filles tentent de lui ressembler. « En atelier, on se sert de leur motivation pour leur faire retrouver la voix de tête et donc leur féminité. De même pour les garçons qui ont tendance à chanter dans l'aigu. » Le rendu final qui leur permet de constater qu'ils sont capables de chanter juste et en place, accompagnés par le piano, est vécu comme l'accomplissement esthétique du travail de l'année. En 2004, grâce au partenariat avec le théâtre du Châtelet, dans le cadre d'un programme-découverte de l'opéra, ils pourront peut-être participer au spectacle qui sera créé avec eux autour de l'opéra-bouffe d'Offenbach, « la Grande Duchesse de Gerolstein ». Plus d'un siècle et demi après, l'invention du « compositeur toqué » se prolonge encore à travers l'œuvre de son grand rival. Quant à la musicothérapie, l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) est sur le point, grâce à un projet auquel participe Christophe Ferveur, de la faire entrer davantage à l'hôpital.
* Directrice du Centre de l'écoute et de la voix (Paris) où elle utilise la méthode Tomatis ; elle prépare une thèse de psycho-pathologie et psychanalyse (Paris-VII, département des sciences humaines) sur la « fonction de la voix dans l'élaboration psychique ».
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