PARTANT DU PRINCIPE que toute régulation endocrinienne comprend une boucle feed-back et ayant montré ces dernières années que la leptine, une hormone sécrétée par les cellules adipeuses, régule le remodelage osseux, le Pr Gérard Karsenty et son équipe ont émis l'hypothèse que l'os devait être un organe endocrine régulant le métabolisme énergétique. C'est ce qu'ils ont prouvé chez la souris. Leurs résultats, publiés dans la revue « Cell » (1), ont dépassé leurs espérances. L'os sécrète une hormone, l'ostéocalcine, qui, de façon surprenante et unique, réduit les réserves de graisse et régule la glycémie par trois actions synergiques : 1) elle augmente la prolifération des cellules bêtapancréatiques ; 2) elle augmente la sécrétion d'insuline dans les cellules bêta ; 3) elle augmente l'expression dans les cellules adipeuses d'une hormone, l'adiponectine, laquelle augmente la sensibilité à l'insuline. Les souris présentant une forte activité ostéocalcine restent minces et ne deviennent pas diabétiques, même sous un régime riche en graisse. S'il en va de même chez l'homme, il pourrait y avoir des retombées thérapeutiques à court terme : l'ostéocalcine pourrait devenir un traitement potentiel pour le diabète de type 2.
Le squelette sécrète une hormone, l'ostéocalcine.
«Après avoir défini comment la leptine régule la masse osseuse, nous nous sommes fondés sur le principe que toute régulation endocrinienne comprend une boucle feed-back, pour émettre l'hypothèse que l'os devait être un organe endocrine qui régule le métabolisme énergétique ou, en tout cas, certaines fonctions de l'adipocyte», explique au « Quotidien » le Pr Gérard Karsenty qui a dirigé ce travail à la prestigieuse Columbia University de New York. «Afin de tester cette hypothèse, nous avons concentré notre effort sur des gènes exprimés uniquement dans les ostéoblastes et qui ne codent pas pour des facteurs de transcription. Nous avons cherché à savoir si l'invalidation de ces gènes chez la souris affecte le métabolisme énergétique. Ce que notre travail montre, c'est que le squelette est bien un organeendocrine sécrétant au moins une hormone, l'ostéocalcine, dont la fonction est unique dans le métabolisme énergétique.
Unique car elle augmente à la fois la sécrétion d'insuline et la sensibilité à l'insuline, alors que toutes les molécules connues pour réguler l'insulinosécrétion diminuent en général la sensibilité à l'insuline. De plus, cette hormone est la seule qui régule le métabolisme du glucose par trois actions synergiques:
–elle augmente la prolifération des cellules bêta;
–elle augmente la sécrétion d'insuline par les cellules bêta;
–elle augmente l'expression, dans les adipocytes, de l'hormone adiponectine, laquelle augmente la sensibilité à l'insuline.
Dans ce dépistage des gènes exprimés dans les cellules osseuses et contrôlant le métabolisme énergétique, poursuit le chercheur, le premier gène auquel nous nous sommes intéressés est le gène ESP, qui code pour une phosphatase intracellulaire exprimée dans les ostéoblastes (et les testicules). Les souris dont le “knock-out ESP” est spécifiquement ciblé aux ostéoblastes manifestent quatre phénotypes dans le métabolisme énergétique, ce qui est surprenant puisque le K-O réside dans l'ostéoblaste: 1)ces souris sont hypoglycémiques, car elles sécrètent trop d'insuline; 2)elles ont deux ou trois fois plus de cellules bêta, ce qui laissait supposer que des substrats de la phosphatase devaient réguler la prolifération des cellules bêta; les deux derniers phénotypes, en plus d'être surprenants, apportent une nouvelle notion à la biologie du sucre; 3)ces souris présentent une augmentation de la sensibilité à l'insuline, malgré une augmentation de sécrétion d'insuline; 4)elles sont minces, alors que l'insuline est une hormone lipogénique et que les augmentations des taux d'insuline et de la sensibilité à l'insuline devraient conduire a une augmentation de graisse. Ces deux derniers phénotypes, explique Gérard Karsenty, sont dus au fait que, en l'absence d'ESP, il y a une augmentation de la sécrétion par les adipocytes de l'hormone adiponectine qui, elle-même, augmente la sensibilité a l'insuline.»
«La notion selon laquelle en enlevant un gène dans les ostéoblastes on affecte si profondément le métabolisme énergétique était au-delà de nos espérances, indique le Pr Karsenty . Aussi, pour vérifier qu'il n'y avait pas d'artefact, nous avons décidé de surexprimer, chez des souris transgéniques, la phosphatase ESP dans les ostéoblastes. S'il n'y avait pas d'erreur, ces souris devaient développer un diabète de type2. Effectivement, ces souris ont un diabète de type2 et une surcharge pondérale sous un régime normal; elles ont de tout petits îlots bêta et très peu d'insuline et d'adiponectine. Avec la souris K-O ESP et la souris transgénique surexprimant ESP, on pouvait conclure que, nécessairement, les ostéoblastes sécrètent une ou plusieurs hormones qui affectent la prolifération des cellules bêta, la sécrétion d'insuline et la sécrétion d'adiponectine. Une autre conclusion est que cette hormone doit être bien plus active et sécrétée en plus grande quantité chez les souris K-O ESP car, comparées aux souris sauvages, elles sont plus minces et leur glycémie est plus basse. Cela a été testé dans des conditions de biologie cellulaire. Lorsque l'on met en coculture des ostéoblastes et des îlots bêta, explique le chercheur, on augmente de 40% l'expression d'insuline dans les îlots; cela ne survient pas lorsque l'on remplace les ostéoblastes par des fibroblastes. Si l'on remplace les ostéoblastes normaux par des ostéoblastes K-O ESP, on augmente de 50% l'expression d'insuline dans les îlots. Lorsque l'on cocultive des ostéoblastes avec des adipocytes, on augmente l'expression d'adiponectine, et les ostéoblastes K-O ESP sont deux fois plus puissants dans cette action.»
Le mystère des grosses souris K-O en ostéocalcine.
«Quelle pouvait être donc cette hormone? Nous avons fait une supposition éclairée car nous savions depuis dix ans, sans comprendre pourquoi, que les souris K-O ostéocalcine ont beaucoup de graisse.L'idée est venue que, peut-être, ostéocalcine et ESP agissent dans la même voie. De fait, les souris K-Oostéocalcine ont un phénotype qui est l'image en miroir des souris K-O ESP. Elles sont diabétiques sous un régime normal, ont peu d'insuline, peu d'adiponectine et présentent une surcharge pondérale. Lorsque l'on ajoute en culture de l'ostéocalcine sur des cellules bêta, on augmente la sécrétion d'insuline et la prolifération des cellules bêta. Et si l'on ajoute l'ostéocalcine sur des adipocytes, on augmente la sécrétion d'adiponectine. D'autres expériences montrent que l'ostéocalcine est la seule hormone dans les ostéoblastes qui régule le métabolisme du glucose et l'homéostasie du tissu adipeux. Enfin, si chez les souris K-O ESP, on enlève du génome une copie d'ostéocalcine, on normalise tout leur phénotype. Ce qui veut dire deux choses: l'ostéocalcine est bien en aval d'ESP; les souris K-O ESP ont un gain de fonction d'ostéocalcine.»
L'ostéocalcine, un médicament ?
«L'ostéocalcine pourrait-elle avoir une utilité thérapeutique? Les souris qui ont une augmentation d'activité ostéocalcine permettent de poser cette question. Si l'on prend des souris K-O ESP (activité ostéocalcine accrue) et qu'on les fait manger trop, elles ne deviennent ni obèses ni diabétiques. Et si l'on détruit leurs cellules bêta, ces souris ont une insuline très basse, mais elles ne développent pas de diabète car elles ont une augmentation de la sensibilité à l'insuline. En d'autres termes, l'ostéocalcine est en amont de l'insuline et de l'adiponectine. Et d'un point de vue génétique, la surcharge pondérale et le diabète de type2, qui sont deux des manifestations du syndrome métabolique, dépendent de la présence ou de l'absence d'une hormone osseuse. Le fait que, en vieillissant, on gagne du poids, et que cela survient alors que la masse osseuse diminue, semble, à la lumière de nos résultats, être plus qu'une coïncidence; c'est en partie une conséquence pathologique de la baisse de la masse osseuse avec l'âge, puisque l'os est un organe endocrine qui régule le métabolisme énergétique. Si ces observations chez la souris sont transposables chez l'homme, l'ostéocalcine devrait offrir un traitement du diabète de type2 qui remplacerait l'insuline pour la bonne raison que l'ostéocalcine, à la différence de l'insuline, augmente à la fois la sécrétion d'insuline et la sensibilité à l'insuline. Des efforts sont maintenant entrepris par une compagnie pour examiner si l'on peut développer l'ostéocalcine comme un médicament», laisse entrevoir le Pr Karsenty.
«Ainsi, non seulement l'implication conceptuelle de ces résultats est relativement originale parce qu'ils montrent essentiellement que le syndrome métabolique est une maladie osseuse, l'application médicale, s'il y en a une, devrait survenir possiblement à court terme.»
(1) « Cell » du 10 août 2007.
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