Miction du matin
Mme R. Ginette, 39 ans, est secrétaire dans une entreprise. On lui découvre une hématurie microscopique à la bandelette urinaire sur une miction du matin. Il n'y a ni protéinurie, ni leucocyturie, ni pyurie. Elle est normotendue à 119/81 mmHg lors de la mesure en position assise après 5 minutes de repos. La précédente visite de médecine du travail remonte à trois ans. Selon la patiente, il n'y aurait pas eu d'analyse urinaire ou, du moins elle ne s'en souvient pas. Elle a eu 3 grossesses sans aucun problème, notamment sans infection urinaire basse ou haute à traduction clinique. Elle a fait entre 18 et 22 ans de rares infections urinaires qui ne se sont jamais reproduites après sa première grossesse à l'âge de 22 ans. Elle n'a jamais eu d'hématurie macroscopique. Elle prend une pilule contraceptive. Elle n'a pas de dyslipidémie. Elle fume un paquet de cigarettes par jour depuis plus de vingt ans.
Le bilan biologique effectué au décours de la visite de médecine du travail confirme l'hématurie microscopique à 53 000 hématies/ml. Il n'est pas retrouvé de protéinurie, ni de microalbuminurie. La fonction rénale est normale, la créatinine plasmatique étant dosée à 56 µmol/l et la clairance calculée par la formule de Cockcroft et Gault à 102 ml/min.
Son médecin traitant l'adresse à la consultation d'un urologue. Une échographie rénale, une urographie I.V. et une cystoscopie sont pratiquées. Ce bilan radiologique et endoscopique exclut la présence d'une lithiase dans les voies urinaires, une tumeur rénale ou des voies urinaires. La patiente a un suivi gynécologique régulier, le dernier examen normal remontant à six mois.
La persistance d'une hématurie microscopique (28 000 H/ml) au décours du bilan urologique inquiète la patiente. Le médecin généraliste l'adresse à la consultation de néphrologie. L'examen réalisé par le néphrologue confirme la tension artérielle normale (121/75 mm/Hg), en l'absence de tout traitement médicamenteux. Aucune anomalie objective n'est retrouvée. La patiente n'exprime aucune plainte. L'interrogatoire approfondi révèle qu'une soeur cadette de la patiente est également porteuse d'une hématurie microscopique isolée.
Commentaire 1
Quel bilan pour cette hématurie microscopique?
Un bilan urologique de première intention est justifié, pour deux raisons essentielles. La première est que l'hématurie était méconnue jusqu'à présent ; la seconde est que cette patiente, par son tabagisme ancien et important, a un risque de survenue d'un cancer vésical. Ces deux raisons justifient donc l'avis et le bilan urologiques. Une maladie lithiasique, une tumeur rénale, une tumeur des voies urinaires et de la vessie ont été écartées.
Commentaire 2
Pourquoi envisager une cause néphrologique?
Le caractère familiale de l'hématurie microscopique évoque une néphropathie d'origine génétique. L'absence de protéinurie et d'hypertension artérielle est plutôt en faveur d'une néphropathie bénigne. Cette patiente se considère d'ailleurs en bonne santé. Elle n'a jamais présenté jusqu'à présent de signes cliniques en faveur d'une maladie générale. Les 3 grossesses, qui se sont toutes déroulées normalement, plaident également en faveur de l'absence de maladie générale chronique ancienne. Il s'agit donc d'une néphropathie familiale primitive.
Commentaire 3
Quel bilan complémentaire néphrologique faut-il réaliser?
Le médecin traitant peut classer cette néphropathie ; classement dont dépendent les examens qu'il y a lieu de réaliser : syndrome de néphropathie glomérulaire, syndrome de néphropathie tubulo-interstitielle, syndrome de néphropathie vasculaire.
On peut d'emblée éliminer un syndrome de néphropathie vasculaire : ce n'est pas l'âge de découverte, il n'existe pas d'hypertension artérielle et la fonction rénale est normale. L'échographie rénale a montré des reins de taille normale et de contours réguliers. Il n'est pas exclu que cette femme, si elle continue de fumer, développe plus tard, vers l'âge de 60 ans, une néphropathie vasculaire (néphroangiosclérose, néphropathie ischémique par sténose athéromateuse des artères rénales). L'apparition de cette néphropathie vasculaire sera alors associée à une hypertension artérielle, notamment systolique, et à une insuffisance rénale débutante. L'imagerie montrera des signes en faveur de la néphropathie vasculaire : une atrophie rénale débutante uni- ou bilatérale, des contours irréguliers des reins à l'échographie, voire des calcifications vasculaires au niveau du hile rénal.
Peut-on évoquer un syndrome de néphropathie tubulo-interstitielle ? La réponse est également négative. Tout d'abord, s'il s'agissait d'une néphropathie tubulo-interstitielle aiguë, il existerait une insuffisance rénale. On peut éliminer une néphropathie tubulo-interstitielle chronique pour deux raisons essentielles : les reins sont de taille normale et de contours réguliers à l'échographie, la fonction rénale est normale. En effet, une néphropathie tubulo-interstitielle chronique ne peut être évoquée que lorsqu'il existe une insuffisance rénale souvent modérée, séquellaire d'un accident aigu. En l'absence d'insuffisance rénale, de protéinurie et d'hypertension artérielle, il est très difficile de l'évoquer avec certitude. Les néphropathies tubulo-interstitielles chroniques sans insuffisance rénale sont rares et sont le plus souvent évoquées lorsqu'il existe une maladie générale qui peut s'accompagner d'une acidose rénale.
Chez cette patiente, il s'agit bien d'un syndrome glomérulaire. C'est le caractère familial de l'hématurie microscopique qui est l'élément clinique déterminant. En effet, si l'hématurie avait été isolée, sans caractère familial, il n'aurait pas été possible de conclure en l'absence d'une protéinurie ou d'une microalbuminurie associée. Aurait-il alors fallu réaliser une biopsie rénale ? La réponse est négative si la biopsie rénale a pour but essentiel d'orienter une action thérapeutique. En effet, cette néphropathie familiale ne présente pour l'instant aucun signe d'évolutivité (pas de protéinurie, pas d'hypertension artérielle). Aucun traitement ne sera donc proposé à cette patiente. La biopsie rénale doit-elle être pratiquée à visée diagnostique ? La réponse est également négative, car le caractère familial de l'hématurie oriente vers une anomalie génétique de la membrane basale glomérulaire, « la maladie des membranes basales minces ». C'est une affection relativement fréquente, caractérisée au plan histologique par un amincissement diffus et généralisé de la membrane basale glomérulaire (MBG). Alors que l'épaisseur de la MBG chez les sujets normaux est 300 à 400 nanomètres, elle est de 150 à 220 dans la maladie des membranes basales minces.
Cette maladie glomérulaire doit être distinguée d'autres formes d'atteinte glomérulaire également responsables d'une hématurie microscopique isolée : la néphropathie à dépôts mésangiaux d'IgA, la néphropathie héréditaire avec surdité ou syndrome d'Alport. Les premiers ont souvent des épisodes d'hématurie macroscopique et une histoire familiale négative. A l'inverse, les seconds ont une hématurie microscopique et une histoire familiale d'insuffisance rénale, avec une prédominance chez les sujets masculins. La biopsie montre le plus souvent en microscopie optique des glomérules normaux. C'est l'examen en microscopie électronique qui permettra de montrer les modifications d'épaisseur de la MBG.
Quelle surveillance faut-il proposer ?
Le pronostic à long terme de l'hématurie familiale est excellent chez la grande majorité des patients. Une insuffisance rénale lentement progressive peut survenir chez certains patients, mais elle est toujours précédée d'une protéinurie abondante, voire d'hypertension artérielle. Lorsque la protéinurie apparaît, cette maladie peut bénéficier d'un traitement par l'enzyme de conversion, même en l'absence d'une hypertension artérielle.
La surveillance doit donc se limiter à un contrôle de la tension artérielle et à un dosage de protéinurie une fois par an, associés à la mesure de la clairance de la créatinine par la formule de Cockcroft.
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