APRES N'DJAMENA et Créteil, l'affaire de l'Arche de Zoé va-t-elle retourner à la case N'Djamena pour y connaître un prochain dénouement ? En France comme au Tchad, c'est l'espoir qu'expriment les avocats des six Français condamnés à huit ans de prison, après avoir été reconnus coupables au Tchad de tentative d'enlèvement d'enfants. «Noussommes en train d'envisager de faire une demande de grâce au président Déby, par l'intermédiaire du ministère tchadien de la Justice», a déclaré à l'AFP, depuis N'Djamena, Me Jean-Bernard Padaré, l'un des conseils tchadiens des condamnés.
«La grâce du président tchadien, en application de la convention d'assistance judiciaire franco-tchadienne, découlerait des engagements pris par l'Elysée d'obtenir la libération des membres del'Arche», confirme au « Quotidien » l'un des avocats du Dr Philippe Van Winkelberg, Me Jean-Claude Giudicelli, qui voit «un événement de bon augure» dans le voyage officiel de Nicolas Sarkozy, programmé le mois prochain, à N'Djamena.
L'avocat annonce qu'avec l'ensemble de ses confrères et les familles des condamnés, il va donc adresser dès cette semaine une demande d'audience au président de la République. «Nous tenons à rappeler que si nos clients se sont montrés enclins à reconnaître le verdict de la cour de N'Djamena, qui les a condamnés à huit ans de travaux forcés au terme d'un procès à charge bâclé, c'est parce qu'ils ont fait confiance aux autorités françaises qui les ont pressésd'adopter cette stratégie.»
La justice française cependant suit son cours. Après la décision, lundi, du tribunal correctionnel de Créteil, chargé d'adapter en droit français la sanction du 26 décembre 2007 de la cour criminelle de N'Djamena, les six condamnés ont annoncé leur commune décision de faire appel de la condamnation à huit années de réclusion. «C'est une deuxième condamnation, aussi inique que la précédente, fulmine Me Mario Stasi, son confrère Giudicelli estimant qu'« on veut faire boire jusqu'à la lie le calice de l'iniquité».
Parmi les familles présentes à la lecture du délibéré, plusieurs ont cédé à la colère et lancé, sous les huées, des insultes à l'adresse des membres du tribunal.
Ceux-ci, dans leurs attendus, ont considéré que l'incrimination retenue au Tchad ( «enlèvement d'enfants en vue de compromettre leur état civil») correspondait en droit français à la «détention ou séquestration de mineurs de 15ans», un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Ils ont rappelé qu'ils n'avaient pas le pouvoir de rejuger les faits, d'apprécier la culpabilité des condamnés, ou l'opportunité des sanctions prononcées par la juridiction étrangère, du fait de la convention judiciaire franco-tchadienne. Ils ont par ailleurs estimé qu' «il n'incombe pas au juge français de rechercher si la procédure qui débouche sur la condamnation tchadienne remplit chacune des conditions d'un procès équitable. Un tel contrôle serait de nature à entraver les mesures d'entraide internationale en matière de coopération judiciaire favorable aux condamnés».
Les juges de Créteil ont affirmé que «la preuve d'un déni de justice flagrant ne ressortait ni de la décision de la cour criminelle de N'Djamena ni d'aucun des éléments produits par la défense». Ils estiment, enfin, que plusieurs principes ont été respectés : «Information de la personne poursuivie relativement aux faits reprochés, même si cette information n'est pas détaillée» ; «légalité des poursuites et des peines, en application des dispositions législatives expressément visées» par la décision tchadienne ; droit à l'assistance d'un avocat ; «existence d'un recours contre la décision» de la cour criminelle.
Appel et autres recours
«Ne pas faire appel d'un tel verdict, réplique, très émue, Tonia Van Winkelberg, reviendrait à reconnaître que Philippe a bien commis des crimes en allant soigner au Tchad entre 150 et 200enfants, sans parler des membres de l'UNICEF et du HCR qu'il a pris en charge au centre médical d'Abéché.»
L'épouse du médecin de Castellane observe aussi que, pour saisir la Cour européenne des droits de l'homme, tous les recours devant les instances françaises doivent avoir été épuisés, ce qui nécessite d'interjeter appel, avant de se pourvoir en cassation.
Après s'être inquiétés d'une éventuelle incompatibilité entre procédure d'appel et recours en grâce, les avocats ont finalement considéré qu'il sera temps de se désister de l'appel si la grâce intervient, une requête étant alors déposée sans autre formalité. L'appel n'insulte pas la grâce.
«Mais, commente, quelque peu désabusé, l'un des défenseurs, l'Arche est devenu aujourd'hui un bien fragile radeau sur les eaux diplomatiques.»
Castellane « choquée » pour son médecin
«On s'y attendait, mais je persiste à croire qu'il y a eu mascarade judiciaire.» Michel Carles, le maire de Castellane, pharmacien retraité, considère que, « si le procès de l'Arche avait eu lieu en France, la décision aurait été tout autre».
Infirmière libérale et animatrice du comité de soutien au Dr Philippe Van Winkelberg, Nathalie Blanc se déclare «choquée, en plein désarroi, face à une décision de justice supposée indépendante qui s'incline en fait devant un régime totalitaire». L'infirmière se dit «effondrée devant un jugement qui brise la vie de notre médecin».
Associée du Dr Van Winkelberg, le Dr Michèle Gastaldi éprouve «un sentiment d'accablement devant l'absurdité du système judiciaire», alors que, depuis le 25 octobre, elle se débat dans des difficultés professionnelles sans nombre pour assurer le fonctionnement du seul cabinet de l'arrondissement et de l'hôpital local.
Tonia Van Winkelberg, quant à elle, est venue assister à l'audience entourée de deux habitants de Castellane, témoins de la solidarité du village, le boulanger, Alain Curvi, et le suppléant de Jean-Louis Bianco, député et président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, Gilbert Sauvant. Elle déclare «vivre un incroyable cauchemar».
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