La gynécologue qui avait contribué à faire éclater le scandale du Distilbène en France, en 1983, Anne Cabau, est décédée ce 1er juillet à Paris à l'âge de 81 ans, a annoncé le Réseau DES France, association des victimes de ce médicament.
« Elle a été une lanceuse d'alerte à une époque où ce terme n'existait pas. Sans ses travaux, l'affaire du Distilbène n'aurait jamais éclaté », a déclaré Nathalie Lafaye, secrétaire de l'association.
Le Distilbène est le nom commercial d'une hormone de synthèse (le diéthylstilboestrol, ou DES), commercialisée en 1946 aux États-Unis puis prescrite en France entre 1948 et 1977 aux femmes enceintes pour prévenir les fausses couches et traiter les hémorragies gravidiques. Des années après l'exposition in utero, il s'est révélé être à l'origine de graves complications chez les filles de mères traitées : cancers génitaux (col de l'utérus et vagin), infertilité, fausses couches, accouchements prématurés...
La France lente à réagir
Dès 1953, une étude américaine remet en cause son rôle dans la prévention des fausses couches. Puis en 1971, d'autres travaux américains imputent une responsabilité du DES dans la recrudescence des cancers du vagin chez les jeunes filles dont les mères avaient pris du Distilbène. La Food and Drug Administration (FDA) l'interdit immédiatement.
En France, il faut attendre 1977 pour que le Vidal mentionne ses effets néfastes et le déconseille. Mais ce sont les travaux du Dr Anne Cabau, jeune gynécologue ayant complété sa formation aux États-Unis, qui les premiers font éclater le scandale. Intriguée par des malformations de l'utérus chez ses patientes au début des années 1980, cette spécialiste de l'infertilité rassemble des données sur des cas de malformations chez les enfants des femmes traitées au Distilbène, parmi les adhérents de la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN). Ses résultats sont repris le 16 février 1983 dans un article du « Monde » signé du Dr Claudine Escoffier-Lambiotte, intitulé « Une monumentale erreur médicale : les enfants du Distilbène ».
Elle revient dans une interview en 1983 – diffusée ce mardi sur France Inter – sur sa démarche :
« Ça a fait l'effet d'une bombe », se souvient Nathalie Lafaye. « Si des scandales comme celui du Mediator et de la Dépakine ont ensuite autant secoué le pays, c'est qu'il y avait eu auparavant l'histoire du Distilbène », ajoute-t-elle.
Le retentissement de ses travaux sur le Distilbène a valu au Dr Cabau d'être « ostracisée » par le corps médical, selon la responsable du réseau DES France : « Certains l'accusaient de faire sa pub, il y a même eu une plainte devant le Conseil de l'Ordre des médecins, finalement retirée. » En 1983, le collège national des gynécologues-obstétriciens mène une enquête épidémiologique sur le « devenir des grossesses des patientes exposées in utero au DES » et aboutit aux mêmes résultats qu'outre-Atlantique : 15 % de grossesses extra-utérines chez les patientes Distilbène, contre 2 % chez les femmes témoins, 10 % de fausses couches au deuxième trimestre, contre 0,5 % habituellement. Et 30 % à 40 % de femmes avec un problème d'infertilité. Mais il faudra encore attendre 1989 pour que le ministère français de la Santé publie la première brochure à l'attention des médecins sur la prise en charge de ces patientes.
Arrière-petite-nièce du capitaine Dreyfus
« Elle se battait pour faire connaître la vérité. C'est un grand combat qu'elle a mené », a assuré la présidente et cofondatrice de l'association, Anne Levadou, rappelant que le Dr Cabau était l'arrière-petite-nièce du capitaine Dreyfus.
Anne Cabau faisait partie du conseil scientifique du Réseau DES France.
L'association estime qu'environ 160 000 enfants ont pu être exposés au Distilbène in utero, prescrit surtout entre 1964 et 1972. De nombreuses demandes d'indemnisation ont été ou doivent être examinées par les tribunaux, dont une partie a déjà donné lieu à réparation depuis le début des années 2000.
En 2011, dans une décision qui a fait jurisprudence, la cour d'appel de Versailles a même reconnu un lien entre la prise de Distilbène et un handicap à la troisième génération, en accordant des dommages-intérêts au petit-fils d'une femme traitée avec ce médicament.
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