PERIPLE ? Dévotion aux pas du comte ? Pas vraiment. De nombreux allers-retours entre le Middle-West et la Nouvelle-Angleterre, des retours à Paris, et on néglige New York, juste le temps de voir Woody Allen en clarinettiste inspiré, la routine, quoi. On part vers les villes du Middle-West, Buffalo, Cleveland, Detroit, et même Lackawana. En même temps, s’anime un effervescent style descriptif.
Villes désolées, désaffectées, presque fantômes, gratte-ciel inoccupés, usines délabrées, BHL sait regarder et décrire, s’attrister aussi de ce que sont devenues ces cités pour lui pionnières et symboliques des Etats-Unis, aujourd’hui «entre Dresde et Sarajevo». Comme les belles pages de Sartre sur New York, l’auteur réaffirme cet attachement si européen aux découpes de « skylines », et peut se faire enchanteur en accueillant celle qui lui permettra, allant au Nord-Ouest, d’oublier tant de ruines et de maisons rouillées : Seattle.
Mais l’Amérique sans poésie ni modernité, avec drapeaux partout, guette. Il s’y attendait, il ne l’évite pas, il sait qu’à la fin, les « Red Necks » tirent sur la motocyclette. Il y a bien sûr un indéracinable fondamentalisme riche de toutes ses « mégachurches ». Telle celle de Willow Creek, près de Chicago, où un film montre qu’au bout de l’ADN il y a Dieu et où un prédicateur démontre que si Darwin a raison, Dieu n’a plus de boulot ! Et de hurler à une foule mesmérisée : «Qui voudrait que Dieu soit out of job ?»
Justement, Darwin... Le voilà très habilement récupéré par son ennemi, le créationnisme scientifique (sic). Il s’agit de dire : il y a deux théories, vous êtes libres de croire à celle que vous voulez. C’est, dit justement l’auteur «le principe du révisionnisme à visage libéral et tolérant».
Même tolérance libérale, un peu plus loin dans le voyage, avec ces musées nazis : poupées à l’effigie de Goebbels et dialogue modèle : «Vendriez-vous des objets ayant appartenu à Ben Laden?
–Ah non, ils n’auraient pas la qualité esthétique de ces objets nazis!» Et la réflexion adéquate de BHL : «Ce kitsch hitlérien, ce jeu morbide avec l’horreur, ce désir tout bête de se déguiser librement en nazi.»
Même tolérance dans une maison du même nom – elles sont nombreuses en allant vers la Californie – et là, c’est grâce à la plume de l’auteur, «the best little whorehouse», nadir du petit bordel de campagne made in USA :drapeau étoilé à l’entrée, filles boudinées très ex-majorettes tristement recyclées, chambre avec caméras... en cas d’agression ou de non-paiement, distributeurs de cash un peu partout, statue de la Liberté à la tête du lit et du client. Et bon accueil de l’auteur qui n’était venu que pour parler de Tocqueville.
Déceptions.
Justement, où est-il l’auteur de la « Démocratie en Amérique » ? Un peu prétexte au livre où encore objet d’empoignades théoriques chez les Etats-Uniens ? Il y a bien cette incroyable anecdote du « cop » (flic) renfrogné qui engueule l’auteur sur un parking d’autoroute et, tout à coup, se déride lorsque ce dernier évoque Tocqueville. Trop beau pour être vrai, donc vrai sans aucun doute. Mais où sont les forums de discussion sur Bush, la guerre en Irak et, de manière générale justement, la solidité, la vitalité, de la démocratie américaine ?
C’est ici que tout devient névralgique, car Bernard-Henri Lévy a choisi de confondre l’anti-américanisme étriqué et franchouillard. Il doit donc se rendre dans ces lieux où, croit-il, peut souffler l’esprit. Ainsi à un congrès de jeunes démocrates à Chicago, censé présenter des thèmes anti-Bush, antinéo-cons (c’est plus drôle en français), il n’entend parler que fund raising, pompes à finances, fric et fric.
Plus meurtrières encore, les occasions de discussions avec les grandes pointures intellectuelles. Visite à Fukuyama, à Washington ; déception, car l’auteur de «la fin de l’histoire» ne croit plus trop à l’inéluctabilité de la démocratie en Irak. Déception lors d’une visite en Nouvelle-Angleterre chez Norman Mailer, qu’il trouve éteint, plus mort que nu... Déception qui, en anglais, signifie tromperie ; a-t-on trompé BHL ou s’est-il lui-même trompé ?
Toujours est-il que le lecteur est sans cesse confronté aux analyses du pire, et que sur ce terrain Bernard-Henri Lévy est remarquable. En particulier, on a l’impression que, de Rykers à Guantanamo en passant par Alcatraz, c’est toute l’histoire américaine qui s’exprime par ses prisons : rejet, confinement, privation sensorielle, mépris du droit.
Alors ? Si l’Amérique est en proie au vertige, si en totalisant fondamentalisme, impérialisme, néo-cons et mensonges cyniques, elle peut plus que décevoir, a-t-elle pour autant «la rage», comme le disait Sartre ? Accordons à BHL de ne pas avoir suivi le conseil du rédacteur en chef de « L’homme qui tua Liberty Valance », le film de John Ford : «Lorsque la réalité ne correspond pas à la légende, imprimez la légende»...
Bernard-Henri Lévy, « American Vertigo », Grasset, 495 p., 20,90 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature