LES RÉFUGIÉS tibétains entre accablement et tentation de révolte. Les Drs Véronique Pesquet-Tiennot, généraliste à Vernon (Eure), et Philippe Bouvier, psychiatre libéral à Paris, connaissent bien les ethnies himalayennes de la vallée de Katmandou, qu'ils fréquentent régulièrement depuis plus de quinze ans, à raison d'une mission annuelle, parfois deux. L'un et l'autre sont vice-présidents d'Assistance médicale toit du monde (AMTM), une ONG créée en 1992 pour répondre à la demande d'aide des populations du Tibet réfugiées au Népal et en Inde, abandonnées de tous. Hier comme aujourd'hui. Après les émeutes de Lhassa, qui, estime le parlement des tibétains en exil à Dharmasala, «ont entraîné la mort de centaines de Tibétains avec usage de la force», leur mission (quinze personnes, dont quatre médecins, un pharmacien et un infirmier) a décollé le mois dernier après avoir reçu le feu vert du Quai d'Orsay. «Nous sommes des humanitaires, pas des suicidaires, souligne le Dr Pesquet-Tiennot. De fait, nous avons trouvé à Katmandou une situation calme en apparence. Mais tous les jours, pendant les deux semaines que nous venons de passer dans la capitale népalaise, nous avons été témoins des manifestations de jeunes réfugiés tibétains. Pour échapper aux matraques des policiers et des militaires, ils portent des tee-shirts blancs à la place de leurs tuniques safran et défilent silencieusement dans les rues, en colonnes par deux.»
Des réfugiés écorchés vifs.
Les médecins d'AMTM n'ont pas été les témoins directs de la répression que le nouveau régime népalais, très proche des Chinois, oppose aux jeunes réfugiés. «Mais au contact direct avec les réfugiés, nous avons constaté à quel point les événements les avaient touchés, confie le Dr Bouvier. On les sent écorchés vifs, informés via Internet, mais convaincus que tout n'est pas encore connu des atrocités endurées au Tibet.» Le psychiatre cite le cas de Norbou, moine âgé d'une trentaine d'années, qu'il connaît depuis plus de dix ans : «D'ordinaire d'humeur égale et enjouée, à l'évocation de la répression chinoise, il éclate en sanglots, complètement désemparé.»
«D'une manière générale, s'étonne le Dr Pesquet-Tiennot, les jeunes Tibétains qui nous assistent comme interprètes sont nés au Népal. Ces réfugiés de la deuxième génération n'en sont pas moins en proie à un stress intense. Le Tibet reste pour eux la Terre promise. L'attention que leur portent les médias du monde entier entretient un énorme espoir et les incite à s'engager pour la libération de leur peuple.»
«C'est ce qui rend la situation actuelle assez explosive, estime le Dr Bouvier, nonobstant le tempérament et la culture traditionnellement non violents des bouddhistes. Les nerfs sont à vif, le sentiment général de ras-le-bol peut faire craindre le pire.»
Le risque de voir la situation dégénérer, selon les humanitaires, est d'autant plus réel que la diaspora tibétaine est en butte à une situation sanitaire critique.
AMTM intervient au Népal dans des monastères-écoles, des orphelinats, des maisons d'accueil pour hommes et femmes âgés où le minimum d'hygiène n'est pas respecté. Dormant à trois ou quatre par lit, les enfants boivent l'eau dans laquelle ils pataugent toute la journée.
Lame partagée et hépatite B.
«Dans le monastère-école du Dolpo, qui accueille à Katmandou 120enfants originaires de cette région où fut tourné le film “Himalaya”, nous avons compris ce qui pourrait bien contribuer à entretenir la très forte prévalence de l'hépatiteB parmi les enfants moines, à des taux avoisinant 10%, explique le Dr Pesquet-Tiennot. Tous les mois, on leur rase le crâne avec une lame qui sert pour quatre enfants à la suite. Il faut beaucoup de persuasion pour leur expliquer que, malgré l'extrême pénurie, les lames doivent être changées après chaque rasage.»
Exemple de l'absence de moyens médicaux, le cas de cette adolescente de14 ans, atteinte d'un kyste bénin du nez. «En l'absence de tout moyen d'intervention ORL, elle ne pouvait plus respirer, rapporte le Dr Pesquet-Tiennot, et avait commencé à se laisser mourir.»
Sans ressources, les vieillards aussi affrontent des situations dramatiques. «Par exemple, à Katin, à une vingtaine de kilomètres de Katmandou, nous avons pris en charge un octogénaire qui, n'ayant jamais connu que des feux de bois, avait voulu éteindre un réchaud à gaz avec un jet d'eau, se brûlant au deuxième degré. Huit mois après, ses deux mains étaient comme des momies cartonnées et il gagnait sa vie en tournant des moulins à prières. Il a fallu des heures à notre infirmière pour lui faire des pansements.»
Au monastère de Nyingma Palyul, comme à l'école du Dolpo, beaucoup d'enfants sont couverts de gale, de teigne, de furonculose, avec des plaies infectées des jambes.
Mais c'est surtout la tuberculose qui préoccupe les humanitaires. Des formes pulmonaires, mais aussi osseuses et digestives, avec de plus en plus de cas pénicillino-résistants. «Le dépistage est difficile, constate le Dr Bouvier, a vec beaucoup de promiscuité et de gens qui toussent constamment. Bien sûr, les données épidémiologiques statistiques sont inexistantes.»
Facteur particulièrement aggravant, la malnutrition. Les équipes d'AMTM ont constaté que, dans les orphelinats, la ration journalière servie aux adolescents ne dépassait pas 1 600 calories, soit la moitié des besoins recommandés. «D'où l'intérêt, souligne le Dr Bouvier, d'accompagner notre démarche médicale d'un programme alimentaire, mais aussi d'assainissement de l'eau et de distribution de vêtements. » Question posée par les humanitaires : combien de temps des non-violents endureront-ils encore leur sort ?
AMTM recrute

Les équipes médicales d'Assistance médicale toit du monde (AMTM) visitent deux fois par an 25 sites, 18 au Népal, 7 en Inde : orphelinats, monastères-écoles, maisons de retraite. L'association compte 440 adhérents et 120 intervenants bénévoles (médecins, pharmaciens, infirmières, logisticiens...). Elle prépare une prochaine mission pour assister l'équipe de l'hôpital de campagne de Pharping, à une trentaine de kilomètres de Katmandou. « Les candidats doivent pouvoir travailler en équipe avec des non-médecins, porter une attention particulière au dépistage et à la prévention, plus qu'à la prise en charge curative, ne pas avoir peur de la misère et parler anglais», précise-t-on à l'association.
CV et lettre de motivation à envoyer par courrier à AMTM, 81, avenue du Maréchal-Joffre, 92000 Nanterre, tél. 01.47.24.78.59.
Des parrains sont également recherchés, qui apportent une contribution financière de l'ordre de 30 euros par mois, pour assurer l'alimentation et les études d'un enfant.
La santé au Népal
– Espérance de vie : 58 ans.
– Mortalité infantile : 72/100 000 (enfants n'atteignant pas l'âge d'1 an).
– Principales pathologies : tuberculose, lèpre, diphtérie.
– 0,04 médecin pour 1 000 habitants (3,4 en France).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature