Lettre apocryphe d'un embryon congelé à un ministre frileux
Jean-François, c'est des ténèbres profondes d'un bocal glacé que je t'écris, toi le responsable des lois dites bioéthiques, que tu t'apprêtes à maintenir, le cur léger, dans leur inhumaine rigueur.
Tu le sais, Jean-François, ma mère Maria et mon père Albino désiraient depuis des années un enfant qu'un sort contraire s'obstinait à leur refuser. Je ne sais ce que tu penses, au fond de toi-même, de l'assistance médicale à la procréation, de l'aide qu'elle a apportée depuis 1978 à tant de couples stériles de par le monde. Peut-être considères-tu que l'entorse ainsi faite à la loi naturelle de la procréation ne mérite que l'opprobre et le châtiment.
Mes parents finirent par en bénéficier. Ils étaient dûment mariés depuis 1977 quand leur projet parental s'est concrétisé le 12 octobre 1990 par la conception in vitro de quatre embryons, dont deux furent transférés dans l'utérus de notre mère. La grossesse débuta, mais elle s'interrompit et c'est en venant à l'hôpital que mon père s'est tué.
Nous restions deux embryons, prisonniers de l'azote liquide, disponibles pour le transfert que Maria réclamait. L'hôpital refusa, le tribunal de grande instance refusa ; la cour d'appel confirma le refus et ordonna notre mise à mort, qui ne fut pas exécutée. Le Conseil d'Etat, dans un rapport devenu fameux, avait, il est vrai, volontairement ou non, créé la confusion entre ce transfert posthume d'embryons, conçus du vivant des deux parents, et l'insémination posthume, qui défraya la chronique au tribunal de Créteil.
Toujours est-il que toi, Jean-François, tu fis inscrire dans la loi de 1994 l'interdiction d'un tel transfert et la 1re chambre civile de la Cour de cassation entérina. Elle eut l'extrême humanité de dispenser ma mère des frais en lui laissant généreusement le choix entre notre mort ou le don à un autre couple.
Cela ne te rappelle rien, cher Jean-François, apôtre des droits de l'homme et de la dignité humaine ? Souviens-toi de ces tortionnaires d'Amérique du Sud qui enlevaient des enfants d'opposants pour les confier à des amis du régime. Certaines femmes ont pu accepter, comme ce fut le cas également à Drancy, que leur enfant vive, au prix de l'abandon de leur destinée de mère. Est-ce cela que tu voulais imposer à Maria, Jean-François ? L'abandon de l'enfant sous la contrainte de la loi, pour qu'il vive, loin de sa mère certes, mais qu'il vive.
Toi, Jean-François, qui fus à l'origine d'une remarquable loi sur l'adoption et l'accouchement sous X, toi qui envisageas l'éventualité pour un enfant « abandonné » de retrouver ses origines, que me dirais-tu si dans dix-huit ans, transféré dans l'utérus d'une autre femme et élevé par un couple étranger, je t'interpellais : « Jean-François, qu'as-tu fait de moi, qu'as-tu fait de ma mère ? As-tu respecté sa dignité et la mienne ? »
Et puis, Jean-François, peux-tu raisonnablement proposer de transformer l'orphelin de père que je serais si j'étais transféré dans ma mère, en l'orphelin de père et de mère, que je deviendrais par l'accueil d'un autre couple ? D'ailleurs, ne sais-tu pas que ce « don à un autre couple » est juridiquement impossible, la précaution indispensable du contrôle sanitaire sur le père ne pouvant évidemment être respectée ?
Alors, Jean-François, la mort ?
Il y a quelques mois, quand mon camarade Perruche a poursuivi les praticiens pour l'avoir « laissé vivre » et « naître », handicapé, tu fus de ceux qui clamèrent le « droit à la vie », même handicapée, en affirmant : « La vie constitue le bien essentiel de tout être humain ». Ne suis-je pas un être humain ? Aujourd'hui, voilà que tu clames qu'il ne faut pas « faire naître un orphelin ». Pourtant, depuis l'arrêt de la Cour de cassation, le droit fondamental de tenter de procréer a été reconnu par toutes les instances consultatives, éthiques, académiques les plus sérieuses et incontestables. L'Assemblée nationale, en première lecture, avait accepté un tel transfert, avec la précaution sage de l'inscrire dans une période de temps limitée, afin d'éviter des problèmes successoraux. Toi, tu t'obstines.
Qu'est-ce qui t'a poussé à convaincre tes amis parlementaires de revenir sur cette disposition de bon sens, tout simplement humaine ? Par un étonnant paradoxe, tu dénies à ma mère le droit de me vouloir et de me porter, alors que tu reconnais sa représentativité s'il s'agit de me détruire.
Ne me dis pas, Jean-François, qu'il vaut mieux être mort qu'orphelin. Stanislas Tomkiewicz a écrit des lignes merveilleuses sur la stature morale du père mort, du père « photo », de son influence sur l'évolution psychologique de l'enfant élevé par sa mère dans le souvenir du père disparu.
Jean-François, ressaisis-toi. Moi aussi, comme toi, depuis ma conception, j'ai une âme, du moins je le crois, pourquoi t'obstines-tu à me détruire, que t'ai-je fait, que t'ont fait mes parents, pour que tu nous poursuives ainsi de ce qu'il faut bien appeler de la haine ? Où réside la faille dans ton inconscient qui te pousse à cette attitude obsessionnelle ? A qui délégueras-tu l'énorme responsabilité de « débrancher », non pas le respirateur, mais le congélateur ? Oseras-tu le faire toi-même ou t'abriteras-tu derrière la responsabilité collective du Parlement et de la « force injuste de la loi » ?
A toi, Jean-François, pour l'Eternité à laquelle je crois.
Les évêques affirment leur opposition à la recherche sur l'embryon
L'autorisation de faire des recherches sur l'embryon humain qui « revient à l'ordre du jour » constitue « une transgression sans précédent », a estimé Mgr Philippe Barbarin, archevêque de Lyon. Selon lui, l'autorisation exceptionnelle de permettre la recherche sur les embryons issus d'une fécondation in vitro« risque d'encourager la production d'embryons surnuméraires dans le seul but d'en faire des objets de recherche ». Il rappelle la position de la conférence des évêques de France : « L'embryon humain n'est pas une chose » et il ne peut y avoir « d'exception à la règle ». L'Eglise catholique s'était opposée, dès la première loi votée en 1994, « à la constitution d'un stock d'embryons surnuméraires ». Elle « ne veut en aucune façon, affirme Mgr Barbarin, être une entrave à la science », mais a confiance en sa capacité « de progresser sans blesser la dignité humaine ».
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