Les conflits entre les gynécos et l'assurance-maladie

De plus en plus d'accords sont conclus au niveau local

Publié le 06/06/2004
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INDISCRÉTION ou manipulation ?
Les versions divergent au sujet de l'entrevue accordée le 26 mai par Xavier Bertrand à quatre médecins spécialistes libéraux de Saint-Etienne, membres de la coordination de la Loire. C'est le Dr Guy-Marie Cousin, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens (Syngof), qui a jeté un pavé dans la mare la semaine dernière (« le Quotidien » du 4 juin) en affirmant dans un communiqué que le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie avait, lors de cette rencontre au ministère, « demandé à la caisse primaire [de la Loire, ndlr] de suspendre toutes les sanctions, d'accepter des dépassements d'honoraires sur 50 % des actes médicaux réalisés, et d'autoriser les médecins gynécologues-obstétriciens à appliquer la majoration pour consultation de 2 euros » (réservée depuis septembre 2003 aux gynécologues médicaux).
Dans l'entourage de Xavier Bertrand, on confirme que l'entretien a bien eu lieu, par l'entremise de deux députés UMP du département, Gilles Artigues et Dino Cinieri, mais on « dément formellement » toute intervention du secrétaire d'Etat dans le contentieux qui oppose depuis avril des gynécologues et des ophtalmologistes à la caisse primaire d'assurance-maladie (Cpam) de Saint-Etienne (voir encadré).
En réponse au déconventionnement-sanction de quatre de leurs confrères, une trentaine de spécialistes avaient annoncé leur sortie du règlement conventionnel minimal en avril avant qu'une médiation du préfet aboutisse à un « accord moral » entre les parties jusqu'au 14 juin (« le Quotidien » du 20 avril et du 12 mai).
Au secrétariat d'Etat à l'Assurance-maladie, on soutient que le leader du Syngof fait de la « politique-fiction » puisque « l'Etat n'a pas la charge de l'assurance-maladie », même si le gouvernement « suit attentivement les déconventionnements partiels et plus ou moins collectifs ». Le Syngof s'est livré à « une manipulation de l'information, c'est intolérable » et son président « prend des risques politiques importants », ajoute un proche de Xavier Bertrand.
Il reste que le préfet de Loire, Michel Morin, déclare au « Quotidien » qu'à la suite de l'entrevue du 26 mai « le cabinet de Xavier Bertrand (l') a appelé pour (lui) dire qu'il trouvait que ce qu'on avait fait [à Saint-Etienne, ndlr] était pas mal ». Le préfet précise qu'il a entrepris sa médiation au début de mai, « tout seul comme un grand », mais « sans interdiction de Paris ». « Après le 14 juin, on fera le point » entre les parties, poursuit Michel Morin, qui garde une approche « très pragmatique » afin d' « éviter des choses ennuyeuses pour la santé publique ».
Le Dr Yves Doménichini, porte-parole de l'Association des médecins spécialistes libéraux de la Loire, qui a été reçu par Xavier Bertrand avec trois confrères (son associé obstétricien et deux ophtalmologistes), n'en dit guère plus et s'en remet prudemment à « la communication » du secrétariat d'Etat et du préfet.

D'autres compromis locaux.
Quoi qu'il en soit, la rencontre entre Xavier Bertrand et les quatre spécialistes libéraux stéphanois amplifie la rumeur selon laquelle il y aurait plusieurs accords locaux et verbaux qui mettraient l'Etat de droit entre parenthèses au nom de la santé publique.
Pour la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam), la règle est simple et immuable : « La responsabilité des caisses est de faire respecter les engagements des médecins avec tact et mesure. » Autrement dit, les politiques de sanction à l'égard des spécialistes qui appliquent largement des dépassements d'honoraires peuvent varier sensiblement selon les caisses primaires qui disposent d'une certaine marge de manœuvre en la matière.
Victor Perez, président de l'Association des directeurs des caisses d'assurance-maladie (Adcam), le confirme. « Chacun prend des mesures en fonction de la réalité de la situation dans le département et des pressions, puisque dans certains départements, il y a des interventions du préfet ou de députés, explique-t-il. Si l'offre de soins est plus rare, cela nécessite un dialogue plus approfondi et des décisions en dérogation au principe de fermeté. »
Cependant, Victor Perez souligne que cette fermeté « a payé quand même » ces derniers mois, et que « l'Adcam est solidaire des actions judiciaires contre les spécialistes qui s'autoproclament en secteur II » (en falsifiant leurs tampons et documents).
Le plus souvent, les Cpam se contentent de ralentir le déclenchement des procédures de sanction, comme celles du Finistère. Yves Le Dantec, directeur de la Cpam de Brest, ne cache pas qu'il a rencontré le 18 mai, avec son homologue de Quimper, « une vingtaine de gynécologues ». Ont-ils alors passé un accord moral ? « Dans un sens oui, dans un sens, non », répond Yves Le Dantec. Soucieux de « ne pas gâcher le dialogue » avec eux, le directeur de la Cpam de Brest va étudier chaque cas et n'enclenche pas de procédure de sanction financière avant la « fin de juin », date à laquelle « on aura la lisibilité de la réforme de l'assurance-maladie ».
En Meurthe-et-Moselle, le Dr Marc Bohl, obstétricien et président de la coordination départementale, observe que seules des sanctions financières ont été prises (suspension de la prise en charge des cotisations sociales) et que la Cpam de Nancy entretient avec les spécialistes de secteur I frondeurs « des relations partenariales constructives ».
L'accord occulte le plus souvent cité concerne la Sarthe. Dans ce département, où 28 spécialistes (dont 11 obstétriciens) s'étaient déconventionnés l'été dernier, ceux-ci seraient « en honoraires libres depuis la fin d'août mais n'en profitent pas abusivement, en faisant des DE sur les consultations essentiellement, et pas sur les accouchements », indique le président du Syngof. Pour sa part, le Dr Jack Mouchel, leader des spécialistes sarthois, se refuse à préciser les modalités de ses « bonnes relations avec les gens de la caisse du Mans ». « On en a marre de cette République bananière », commente le Dr Bohl.
Le Dr Cousin en appelle à l'arbitrage du ministre de la Santé car il dénonce à la fois les inégalités géographiques ainsi créées et la discrimination vis-à-vis de certaines spécialités. En effet, déplore-t-il, « d'autres conflits locaux subsistent, notamment en Lot-et-Garonne et dans le Rhône ».
Dans la Sarthe, la Drôme, la Loire ou ailleurs, la menace des obstétriciens sur les accouchements joue bien sûr un rôle capital. « Nous, les obstétriciens, nous avons des moyens de nuisance que les autres n'ont pas », rappelle le président du Syngof. « Dans d'autres Cpam, on prend en otage des gynécologues médicales en les menaçant de déconventionnement : c'est un assassinat, une destruction à terme de leur outil de travail ». Il s'agit de « sanctions qui servent d'exemple et ne posent pas de problèmes par rapport aux établissements », relève le Dr Jean Marty, un autre dirigeant du Syngof. Ce dernier a tenté en vain une médiation dans le Lot-et-Garonne jeudi dernier.
En tout cas, les gynécologues n'ont pas fini de faire parler d'eux. Le Dr Jean-Pierre Laplace annonce qu'en Gironde « au moins deux tiers des obstétriciens libéraux menacent de se déconventionner au 20 juin » si la caisse ne suspend pas la sortie du RCM de leurs consœurs gynécologues médicales. Là encore, ils en appellent aux politiques puisqu'ils vont saisir... Alain Juppé, maire de la ville.

Loire : une précision de Xavier Bertrand

Dans une lettre adressée au « Quotidien », le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie, Xavier Bertrand, précise qu'il n'est en aucune façon intervenu dans le litige qui oppose depuis plusieurs mois un certain nombre de gynécologues-obstétriciens de la Loire à la caisse locale d'assurance-maladie. Contrairement à ce qu'avait laissé entendre un communiqué du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens (voir « le Quotidien » du 4 juin), « il n'a jamais été question d'une intervention de ma part (...), écrit Xavier Bertrand. J'ai simplement souhaité rappeler à mes interlocuteurs l'offre de médiation du préfet ». Il « n'appartient en aucune manière à l'Etat d'intervenir dans les compétences propres des caisses de l'assurance-maladie », tient-il encore à préciser.

> AGNÈS BOURGUIGNON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7554