PAR LE Dr LUDOVIC DE GABORY*
L'ADÉNOCARCINOME de l'ethmoïde (ADKE) est le type histologique le plus fréquent (80 %) des cancers de l'ethmoïde. Quatre-vingts pour cent d'entre eux sont dus aux poussières de bois. Le risque de développer ce type de cancer augmente avec la durée de l'exposition : l'odds ratio est de 5,3 pour des durées inférieures à 5 ans, de 10,7 pour des durées de 10 à 19 ans et de 36,7 pour des durées de 30 ans et plus (1). Cette relation causale forte est aussi dépendante de l'intensité d'exposition. Mais, en pratique, la découverte se fait le plus souvent à un stade avancé, en raison notamment de ses manifestations cliniques banales, aspécifiques chez un travailleur habitué aux rhinites irritatives des poussières de bois et de survenue tardive, en raison du développement au sein de cavités aériennes. Or le bénéfice individuel d'un dépistage à un stade précoce semble important, car le taux de survie à 5 ans est proche de 100 %, avec une prise en charge associant chirurgie et radiothérapie aux stades T1, T2 et T3. Il n'est plus que d'environ 80 % pour une lésion T4a (lyse de la base du crâne sans atteinte méningée) et de moins de 20 % à 3 ans pour une lésion T4b, l'extension méningée et cérébrale restant aujourd'hui le principal facteur de mauvais pronostic, quel que soit le traitement proposé.
Cependant, le problème du dépistage systématique de l'ADKE tient au fait qu'il ne représente que 0,2 à 0,8 % de tous les cancers et de 2,5 à 3 % des cancers des voies aérodigestives supérieures. En référence aux critères de l'Organisation mondiale de la santé, complétés de ceux de la Haute Autorité de santé, un dépistage chez des sujets asymptomatiques ne se justifie qu'en cas de cancers d'évolution lente et locale, quasiment jamais métastatiques d'emblée et sans association à d'autres cancers synchrones (2). La question d'un dépistage pour l'ADKE ne se pose alors que vis-à-vis d'une population ciblée à haut risque. Or cette population semble relativement bien identifiée.
D'après les grandes cohortes rétrospectives, le pic d'incidence se situe autour de 60 ans (3, 4). Seulement 10 % des patients ont moins de 50 ans. Le délai de latence entre le début de l'exposition et l'âge du diagnostic est de 40 ans en moyenne. Il est impossible de prévoir sa durée de manière précise et individuelle. Effectivement, on ne peut pas savoir s'il est dépendant des caractéristiques de l'exposition (durée, intensité, âge de début) en raison du manque de données épidémiologiques. Cependant, le risque relatif est le reflet de la population atteinte. La forte puissance statistique de la relation dose/effet a permis aux épidémiologistes de déterminer que le risque relatif est directement dépendant des deux premiers paramètres et qu'il est élevé dès la première année d'exposition. Dans l'état actuel des connaissances, il est, en revanche, impossible de différencier, au cours d'un dépistage, les bois travaillés et les postes de travail occupés par les salariés, ces critères rentrant probablement en jeu dans l'intensité d'exposition. Dans ce contexte, il ressort que toute la population exposée ne doit pas nécessairement bénéficier dès le premier jour d'exposition d'un dépistage. Seul le travailleur qui a été exposé plus de 12 mois cumulés, lors de tâches d'usinage ou d'activités documentées exposant à une concentration supérieure à 1 mg/m3/8 heures de travail (valeur maximale d'empoussièrement autorisée), pourrait réaliser un dépistage 30 ans après le début de l'exposition.
Pour ce faire, la nasofibroscopie semble être l'outil de dépistage le plus pertinent. Les radiographies standards des sinus apparaissent aujourd'hui obsolètes. Elles étaient l'outil de dépistage aidées de quelques coupes de scanner des précédentes recommandations datant de 1995. Le scanner injecté des sinus de la face est trop sensible et pas assez spécifique : il entraînerait l'apparition de trop de faux positifs avec ses conséquences, il est irradiant et d'un coût élevé. L'IRM serait l'examen le plus sensible et le plus spécifique, et le seul capable de différencier un processus tumoral de son environnement inflammatoire et rétentionnel naso-sinusien. Mais, il n'est pas assez répandu sur le territoire français et serait trop coûteux.
La nasofibroscopie.
La nasofibroscopie, en revanche, présente des avantages importants en rapport avec l'histoire naturelle de cette tumeur. Les données expérimentales, obtenues à partir de modèles mathématiques de reconstructions tridimensionnelles de fosses nasales par imagerie de cavités nasales de volontaires sains, montrent que l'accumulation des poussières inférieures à 10 µm n'ayant pas été arrêtées par la valve nasale se ferait principalement sur les faces exo-sinusiennes du carter ethmoïdal et dans la fente olfactive. Or, en situation clinique, les pédicules d'implantation de ces tumeurs ont été récemment observés dans ces régions grâce aux qualités visuelles qu'offre le matériel d'endoscopie lors de la chirurgie endonasale (5). Ce n'est que secondairement qu'elles envahissent les masses latérales de l'ethmoïde. Dans ce contexte, il n'est plus nécessaire de connaître le contenu des cellules ethmoïdales, puisque cette lésion ne s'y développe probablement pas. Cette notion autorise donc l'utilisation du nasofibroscope pour surveiller la muqueuse de ces régions et pour dépister les lésions à un stade précoce. Cet examen est facilement disponible, peu coûteux, indolore et reproductible.
De nouvelles recommandations sur la surveillance des travailleurs exposés aux poussières de bois ont été établies en ce sens par la Société française de médecine du travail, celle d'ORL et de chirurgie cervico-faciale, la Société française du cancer et celle de santé publique ; elles sont en cours de validation par la Haute Autorité de santé.
* Hôpital Pellegrin, Bordeaux.
(1) Demers PA, et al. Am J Int Med 1995;28: 151-66.
(2) HAS. « Guide méthodologique : comment évaluer a priori un programme de dépistage ? » ANAES, mai 2004, 68 p.
(3) De Gabory L, et al. « Les adénocarcinomes de l'ethmoïde, étude rétrospective de 76 patients ». In : XXXVIe Rapport de la Société française de carcinologie cervico-faciale : Les tumeurs malignes du massif facial et des cavités naso-sinusiennes. Fontanel JP, Klossek JM. EDK, Paris 2004:41-50.
(4) Choussy O, et al. Laryngoscope 2008;118:437-43.
(5) Jankowski R, et al. Rhinology 2007;45 (4):308-14.
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