DE NOTRE CORRESPONDANTE
UNE PRÉDISPOSITION génétique est à l'origine de 5 à 10 % des cancers du sein chez la femme. Dans les années 1990, deux gènes de susceptibilité majeure au cancer du sein, BRCA1 et BRCA2, ont été identifiés. Les femmes porteuses de mutations dans l'un de ces deux gènes courent un risque très élevé, puisqu'elles ont 50 à 80 % de chance d'avoir un cancer du sein dans leur vie.
Toutefois, ces deux gènes n'expliquaient que 15 à 25 % du risque familial de cancer du sein (et n'expliquaient qu'une faible proportion des cancers du sein tardifs), et les études de liaison génétique ultérieures n'ont pas permis d'identifier d'autres gènes majeurs de susceptibilité.
On en a déduit que la susceptibilité au cancer du sein était largement polygénique, c'est-à-dire qu'elle est liée à un grand nombre de loci (ou régions d'ADN), chacun ayant un petit effet sur le risque de cancer du sein.
Récemment, des études d'association ont permis d'identifier des variants dans 4 gènes de réparation d'ADN (CHEK2, ATM, BR1P1 et PALB2) qui confèrent un risque doublé de cancer du sein, mais ces variants sont rares dans la population.
Des variants de CASP8, fréquents dans la population, ont été associés à un risque de cancer du sein légèrement augmenté ou abaissé.
Cependant, à plus de 75 %, le risque familial de cancer du sein demeurait inexpliqué. Une équipe internationale, dirigée à Cambridge (Royaume-Uni), a réalisé la plus vaste étude génomique d'association conduite à ce jour pour rechercher des allèles de risque au cancer du sein. Elle a étudié l'ADN de près de 50 000 femmes (la moitié atteinte d'un cancer du sein, l'autre non) et a identifié 5 nouveaux loci de susceptibilité.
«Cette étude identifie des régions contenant des gènes qui expliquent 4% du risque héréditaire», précise, dans un communiqué, le Pr Douglas Easton (Cancer Research UK), premier signataire de l'étude publiée dans « Nature ». «Maintenant que nous connaissons l'efficacité de ces méthodes de recherche, nous pensons que de nombreux autres gènes du cancer du sein pourront être découverts. »
Ce travail est le fruit de la collaboration de plus de 15 équipes (incluant les chercheurs français Paul Brennan, Valérie Gaborieau et Fabrice Odefrey, de l'Iarc de Lyon) ; il repose sur les récents progrès technologiques qui permettent d'analyser des centaines de milliers de SNP dispersés au long du génome, dans de larges études de comparaison cas témoins.
Une approche en trois temps.
Les chercheurs ont utilisé une approche en trois temps.
Dans un premier temps, ils ont étudié plus de 250 000 SNP, des marqueurs de variants communs trouvés dans le génome, chez 400 patientes et 400 témoins du Royaume-Uni. Les patientes avaient un cancer du sein et une forte histoire familiale de cancer du sein (deux parents du premier degré affectés).
Puis, 12 000 marqueurs SNP montrant un lien avec le cancer du sein (plus fréquemment trouvés chez les patientes affectées de cancer du sein) ont été analysés dans un autre échantillon plus large de 4 000 patientes et de 4 000 témoins (étude SEARCH).
Ensuite, les chercheurs ont testé 30 des SNP les plus significatifs dans 22 études cas témoins supplémentaires, soit au total chez 23 000 femmes atteintes et 23 000 femmes témoins.
Au final ont été identifiés cinq SNP significativement liés au cancer du sein, qui sont situés dans : le gène FGFR2 (Fibroblast Growth Factor Receptor 2), qui code un récepteur tyrosine kinase, amplifié et surexprimé dans 5 à 10 % des tumeurs du sein ; le gène TNRC9, qui code peut-être un facteur de transcription ; une région qui contient le gène MAP3K1, codant une protéine de signal ; le gène LSP1 (Lymphocyte-Specific Protein 1), qui code une protéine du cytosquelette des cellules endothéliales et hématopoïétiques ; une région du chromosome 8q, qui ne contient aucun gène connu.
Pour chacun de ces SNP, l'allèle fautif, relativement fréquent dans la population, est associé à un risque légèrement accru de cancer du sein ; le risque est accru de 20 % chez les porteuses hétérozygotes et de 40 à 60 % chez les porteuses homozygotes.
Le risque d'avoir un cancer du sein – normalement 1 sur 11 – s'élèverait à 1 sur 6 ou 7 chez les femmes homozygotes pour un allèle fautif.
Pas de dépistage génétique.
Les risques accrus par ces allèles de susceptibilité ne sont pas suffisamment importants pour justifier un dépistage génétique. Lorsque d'autres allèles à faible risque seront identifiés, une combinaison de ces allèles pourrait contribuer au pronostic et avoir une importance clinique.
Ces cinq nouveaux loci de susceptibilité n'interviennent pas dans les voies jusqu'à présent impliquées dans le cancer du sein (réparation d'ADN, voie de synthèse et de métabolisme des hormones sexuelles) ; trois d'entre eux interviennent dans la croissance ou le signal cellulaire. Ce qui ouvre de nouvelles voies de recherche.
«Pour l'instant, nous ne savons pas comment ces gènes interagissent entre eux ou avec les facteurs liés au mode de vie. Nous nous attacherons à le découvrir et nous poursuivrons notre recherche d'autres gènes de susceptibilité», déclare le Pr Bruce Ponder (université de Cambridge).
Signalons deux autres études, publiées dans « Nature Genetics ». David Hunter (Harvard Medical School à Boston et NCI à Bethesda) et coll. ont génotypé plus de 500 000 SNP chez plus de 1 100 patientes postménopausées d'origine européenne atteintes de cancer du sein, et 1 100 témoins. Ils ont identifié dans FGFR2 4 SNP qui sont associés au cancer du sein sporadique de la ménopause.
L'équipe islandaise de deCODE Genetics (Simon Stacey, Kari Stefansson et coll.) a également conduit une étude génomique d'association (en 2 temps), en génotypant environ 300 000 SNP chez 1 600 patientes islandaises affectées de cancer du sein et plus de 11 000 témoins, puis en testant les SNP significatifs dans cinq groupes de réplication (au total, plus 4 500 femmes affectées et 17 000 témoins).
Ils ont identifié 2 SNP, ou variants génétiques, qui sont associés au cancer du sein exprimant le récepteur aux estrogènes.
L'un des SNP, ou allèle à risque, est situé sur le chromosome 2q35, qui ne contient aucun gène connu. Vingt-cinq pour cent des femmes d'origine européenne sont homozygotes pour cet allèle à risque et elles ont un risque accru de 44 %.
L'autre allèle à risque réside sur le chromosome 16q12, près du gène TNRC9 identifié dans l'étude d'Easton et coll. Environ 7 % des femmes d'origine européenne sont homozygotes pour cet allèle et ont un risque accru de 64 %.
De nombreux autres allèles qui créent une faible susceptibilité au cancer du sein, mais fréquents dans la population, devraient être identifiés par cette approche. Une meilleure compréhension du risque génétique du cancer du sein permettra de mieux distinguer et de traiter les femmes à risque.
« Nature » et « Nature Genetics », 27 mai 2007, DOI : 10.1038/nature05887, DOI : 10.1038/ng2075, DOI : 10.1038/ng2064.
Risque
Gènes à haut risque, rares
– BRCA1, BRCA2 : les femmes porteuses d'une copie mutée de ces gènes ont entre 50 et 85 % de risque de développer un cancer du sein au cours de leur vie (soit plus d'une chance sur deux).
– TP53, PTEN.
Pour les femmes avec histoire familiale de cancer du sein et/ou de l'ovaire, le dépistage génétique ne teste actuellement que ces quatre gènes, car leur mutation est associée à un haut risque de développer un cancer du sein.
Gènes à faible risque, rares
CHEK2, ATM, BRIP1, PALB2
Les variants à risque dans ces gènes de réparation d'ADN sont portés par moins de 1 % de la population.
Gènes à faible risque, fréquents
– CASP8 : environ 1 femme sur 50 est homozygote pour l'allèle fautif de ce gène. Un autre variant commun de ce gène a été associé à une modeste réduction du risque de cancer du sein.
– FGFR2 : environ 1 femme sur 6 est homozygote pour l'allèle fautif de ce gène, et la contribution de ce gène au risque héréditaire de cancer du sein est certaine.
– TNRC9 : environ 1 femme sur 16 est homozygote pour l'allèle fautif de ce gène.
– MAP3K1 : environ 1 femme sur 13 est homozygote pour l'allèle fautif de ce gène.
– LSP1 : environ 1 femme sur 11 est homozygote pour l'allèle fautif de ce gène.
– 8q : cette région chromosomique contribue apparemment au risque de cancer du sein, mais aucun gène spécifique n'a encore été identifié.
– 2q35 : environ 1 femme sur 4 d'origine européenne est homozygote pour l'allèle fautif de ce gène.
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