A-t-on une chance de devenir médecin, lorsque l'on naît sur le sol de la Nouvelle-Calédonie ? Depuis un an, la réponse est oui. La question n'est nullement ironique puisque c'est un fait : un seul médecin exerçant sur ce territoire d'outre-mer est d'origine canaque. Frédérique Coulon, elle, est canaque. Plus précisément originaire de la tribu des Xepenehe, elle a passé avec succès cette année le concours de PCEM 1, premier opus calédonien.
Catherine Bucherer, maître de conférence à Paris-VI en physique, biophysique et biostatistiques, est chargée de la coordination de ce PCEM 1 en Nouvelle-Calédonie. Elle déroule le fil historique de la mise en place de cette formation. « Lorsque j'ai mis les pieds sur le sol calédonien en mai 2001, il n'y avait pas de faculté de sciences, à part la fac de biologie qui proposait un DEUG. Le ministère des DOM-TOM s'est ému de la situation. Le Haut-Commissaire (équivalent du préfet sur le Territoire) aussi. Tout a été mis en uvre pour la rentrée de février 2002 ». L'université de Noumea restant la plus petite de France, il était difficile de trouver des locaux disponibles sur le campus. Or implanter une première année de médecine « en ville » aurait éloigné les étudiants de la bibliothèque et autres infrastructures universitaires. Finalement, un préfabriqué de 150 mètres carrés a été installé, avec une salle informatique comprenant vingt postes de travail et une salle de cours dotée d'un équipement multimédia pour des visioconférences et projections de DVD (enregistrements de cours donnés à la faculté de la Pitié).
« Ce sont les problèmes de calendrier qui sont finalement les plus difficiles à gérer », explique Catherine Bucherer. « Pour nous, les mois de juin-juillet-août (c'est-à-dire le premier semestre) sont de gros mois, alors que ce sont les vacances en métropole. En revanche, la coordination fonctionne très bien en février-mars-avril, puisque la Pitié est elle aussi en pleine année universitaire. » Certaines matières (physique, chimie organique, biochimie) sont assurées par des enseignants de l'Université de Nouvelle-Calédonie (UNC). D'autres, telles que l'anatomie, la santé publique et la psychologie, le sont par des médecins du centre hospitalier de Noumea. D'autres encore, qui sont très spécifiques, nécessitent la double compétence hospitalo-universitaire. C'est le cas de l'histologie-embryologie et de la génétique humaine, qui sont enseignées par des enseignants « missionnaires » de la Pitié.
« L'an passé, les étudiants n'avaient pas forcément conscience de la masse de travail. Ceux de cette année ont démarré plus rapidement. Même si cela ne préjuge pas de la réussite au concours, ils paraissent très motivés », raconte Catherine Bucherer. « Nous aussi, enseignants, nous nous sentons plus rodés. »
Pas un concours cocotier
Le drastique numerus clausus s'applique à Nouméa comme dans toutes les facs de médecine de France. Autrement dit, « on ne retire aucune place aux étudiants de la Pitié », insiste Catherine Bucherer. Les carabins calédoniens sont même soumis à une condition supplémentaire : les élèves reçus là-bas doivent obtenir des résultats équivalents à ceux des derniers reçus ici, à la Pitié. Ainsi, sur les deux places disponibles pour la promotion calédonienne 2002-2003, une seule a été pourvue parce que le deuxième meilleur résultat restait au-dessous de la note du dernier reçu à la Pitié. C'est de cette manière qu'Andréa a été admise en dentaire et Sébastien en sage-femme. Les places disponibles ne sont donc pas systématiquement attribuées.
« La femme de César doit être insoupçonnable. »
Les sujets sont envoyés de la Pitié et y sont corrigés.
« Le concours de Calédonie n'est pas un concours au rabais. » Pour le Pr Gérard Saillant, le doyen de la faculté de la Pitié-Salpêtrière, c'est une question de principe : il faut maintenir l'idée que tout est fait depuis la Pitié. « Les règles édictées ne doivent pas être battues en brèche, insiste le Pr André Aurengo, responsable du PCEM 1 à la Pitié ; ce serait le meilleur moyen de prêter le flanc à la critique ». L'installation du PCEM 1 à Nouméa a en effet beaucoup fait parler d'elle, et pas seulement en bien, car certains estiment que le coût de cette opération est disproportionné par rapport au petit nombre d'élèves et aux autres filières. « Ma réussite aura au moins rassuré beaucoup de monde », confie Frédérique. Elle a également fait des émules, ce que relève le président de l'UNC, Paul de Decker. « Nous sommes ici dans un espace élitaire où chacun est conscient que toutes les conditions sont réunies pour favoriser la dimension du travail et de la réussite. Maintenant que Paris nous a fait confiance, l'Europe se dit prête à financer un diplôme de "végétalisation" ».
Une enfance « en brousse »
Frédérique a passé son enfance « en brousse », dit-elle. D'une mère métisse et d'un père de l'île de Lifou (ce nom devrait dire quelque chose aux fans du ballon rond, puisqu'il s'agit du pays du joueur Christian Karembeu), elle est arrivée en fin d'école primaire à Noumea avec ses deux petites surs. Et c'est en terminale, à l'une des réunions d'information organisées par Catherine Bucherer, que Frédérique a pris connaissance de ce PCEM 1. « J'ai rempli une fiche puis Mme Bucherer m'a recontactée pour constituer un dossier et j'ai confirmé mon choix », raconte-t-elle simplement. Frédérique se destinait plutôt au métier d'ingénieur, comme Papa. « Dans ma tête, ce n'était pas médecine », avoue-t-elle clairement. Et puis, son choix s'est finalement arrêté après les premières heures de cours. La rentrée universitaire étant antérieure d'un mois à la rentrée scolaire (en mars), elle a pu bénéficier de ce temps de réflexion pour préférer les études de médecine au détriment de la « prépa » où elle était pourtant acceptée. « Le contact humain est beaucoup plus important, les cours me plaisaient et il y avait bien plus de biologie, matière que je voulais conserver dans mon cursus », résume-t-elle. Pas surprise par le contenu des cours, elle a d'abord été impressionnée par la quantité de travail à fournir. « Parfois, on y croit, parfois on n'y croit pas. On se dit que cela ne rentrera jamais et puis on finit par prendre le rythme. Une fois que j'ai été décidée, je suis partie gagnante. »
« Juste des petits coups de chance »
Aujourd'hui, Frédérique prépare son départ vers la Métropole. Direction Paris, et une chambre à la cité U. Elle sera épaulée par Laëtitia, qui, elle aussi, a brillamment réussi son passage en deuxième année, à la Pitié.
Vendredi 4 juillet, 7 heures du matin heure parisienne, 16 heures à Noumea. Le Dr Catherine Lacombe, MCUPH (maître de conférence praticien hospitalier) et coordinatrice à la faculté parisienne du PCEM 1 calédonien, a réuni les Prs Gérard Saillant, André Aurengo, Martin Catala et Laëtitia pour une visio-conférence. Sur l'écran, les élèves de la nouvelle promotion calédonienne (vingt élèves dont cinq redoublants), entourés de leurs enseignants. Alain Puzenat, représentant du ministère de l'Outre-Mer est là-bas avec eux. « Le quota devrait passer à trois places », assure-t-il.
Laëtitia s'adresse à Frédérique par écran interposé : « Il faut travailler mais aussi savoir faire des pauses pour mieux repartir .»
Ce conseil, Catherine Bucherer ne souhaite pas trop que les étudiants calédoniens le mettent en pratique. « Moi, je ne suis pas trop pour la détente. » Les tentations sont suffisamment grandes, chuchote-t-elle, les plages suffisamment proches et le soleil suffisamment chaud pour perturber la concentration des élèves tout au long de l'année. « Et puis notre calendrier est beaucoup moins astreignant car les élèves s'arrêtent ici quasiment six semaines entre les deux semestres. »
Gagnante, Frédérique Coulon reste humble. « Tu as essuyé les plâtres l'an passé », note le doyen Saillant. « Il n'y a pas de secret, juste des petits coups de chance », répond l'étudiante modestement. Elle dit ne ressentir aucune appréhension face à l'aventure qui l'attend. « Au contraire, j'ai plutôt hâte, vu que j'ai travaillé pour ça. » Elle est déçue néanmoins de ne pas partager cette victoire avec un(e) autre camarade.
Frédérique attaquera son premier cours à la Pitié le 22 septembre, mais elle aura auparavant suivi son stage infirmier. Sachant qu'il faut compter un jour pour récupérer une heure de décalage, elle n'aura pas trop d'une semaine pour se mettre dans le bain métropolitain. Sa place est d'ores et déjà réservée dans un avion dès la fin du mois d'août.
Les professions médicales polynésiennes menacent Chirac d'une nouvelle grève
Un préavis de grève a été déposé lundi à Papeete par l'Union des professions médicales de Polynésie française (UPMPF) pour « alerter » Jacques Chirac sur « la gravité de leurs problèmes ». L'Union souhaitait profiter de la présence du président de la République sur le sol polynésien.
En mai, les quatre cents médecins publics et privés de Polynésie ainsi que l'ensemble des professions paramédicales avaient suivi une grève des soins pendant quatre semaines afin d'obtenir la signature d'une nouvelle convention collective avec les autorités de la Caisse de prévoyance sociale (CPS) et le ministère polynésien de la Santé. Deux mois après la fin de cette grève, l'UPMPF estime qu' « aucun progrès n'a été réalisé » sur deux points du dossier : la mise en place d'un haut conseil de la médecine et la modification du statut des médecins du public afin qu'ils deviennent fonctionnaires d'Etat.
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