Le texte, signé par les caisses d'assurance-maladie et les médecins, n'est pas un simple et anodin accord tarifaire. Par l'ampleur et la durée du conflit qui a précédé et abouti à ce protocole, par l'importance des revalorisations tarifaires, par les changements de comportements qu'il annonce en matière de visites à domicile et de prescriptions médicamenteuses, les retombées de ce texte et les interrogations qu'il soulève seront multiples.
Pour les médecins, ce n'est peut-être pas l'affaire du siècle comme le prétend le président de la Fédération nationale de la Mutualité française, mais c'est une revalorisation d'une ampleur inégalée. Si l'on s'en tient au tarif de la consultation de base, l'augmentation depuis janvier est de 14 %. Avec les revalorisations accordées en janvier (mais sans tenir compte des mesures sur la visite, dont l'impact est difficile à évaluer), l'augmentation des recettes par généraliste devrait osciller entre 9 500 et 10 000 euros par an. Soit, en termes de revenus (une fois les frais déduits), une augmentation de l'ordre de plus de 5 000 euros par an. La revalorisation du métier de généraliste est bel et bien amorcée, même si tout le monde admet que cette revalorisation ne passe pas uniquement par des hausses tarifaires.
Pour l'assurance-maladie, le protocole d'accord constitue un pari sur l'avenir. Aux prises avec un conflit persistant, soumise à la pression du gouvernement, la CNAM a finalement accepté ce qu'il y a quelques temps encore elle jugeait inadmissible : la revalorisation de la consultation et de la visite. Mais ces dépenses bien réelles pour l'assurance-maladie (255 millions par an pour l'assurance-maladie pour le passage du C à 20 euros) sont gagées par des économies virtuelles.
Rien ne dit, en effet, que l'engagement à prescrire en dénomination commune un quart des médicaments d'ici à un an sera tenu et aucune sanction n'est prévue en cas de non-respect. L'assurance-maladie est revenue dans ce domaine à une logique d'objectif prévisionnel et non d'objectif comptable, ce qu'auraient refusé les médecins. Elle dispose cependant d'un atout dans cette affaire : globalement, les praticiens ne semblent plus hostiles à établir leurs ordonnances en dénomination commune, ni à prescrire des génériques. En revanche, les autres objectifs (notamment ceux concernant les prescriptions de certains types de médicaments) seront peut-être plus difficiles à atteindre.
Pour les syndicats médicaux, du moins pour ceux qui ont été à l'origine du conflit - la CSMF et le Syndicat des médecins libéraux -, l'accord constitue un double succès. D'une part, parce qu'ils ont obtenu tout qu'ils réclamaient ou presque. D'autre part, parce que ces organisations qui n'avaient pas signé de conventions médicales et qui étaient donc hors du jeu conventionnel vont pouvoir retourner la tête haute à la table des négociations et participer aux discussions pour la rédaction de nouvelles conventions, fortes du rapport de force qu'elles ont su établir en leur faveur.
De leur côté, les assurés sociaux devront accepter de modifier leurs comportements. La prescription sous dénomination commune risque de heurter certains patients, notamment les personnes âgées habituées à leur marque de spécialités. Mais surtout, les assurés sociaux devront accepter de renoncer à des visites à domicile dites de confort, sous peine d'être moins bien remboursés. Longtemps considérée comme une spécificité de la médecine à la française, la visite à domicile semble être aujourd'hui sur la voie du déclin. Le nombre de visites par médecin et par an ne cesse de diminuer depuis de nombreuses années déjà. L'accord signé va accélérer cette évolution.
Pour le gouvernement, l'accord constitue un succès. D'abord, parce qu'il met un terme à un conflit de près de sept mois, que n'avait su résoudre l'équipe de Lionel Jospin. Ensuite, parce qu'il prouve qu'en la matière, l'équipe de Jean-Pierre Raffarin, qui jugeait légitimes les revendications des médecins, a tenu les promesses faites par Jacques Chirac lors de la campagne électorale. Mais ce succès apparent pourrait vite se transformer en victoire à la Pyrrhus. Dans quelques semaines par exemple, lorsqu'il s'agira de déterminer l'évolution du SMIC, Jean-Pierre Raffarin, s'il est encore aux affaires, aura du mal à expliquer qu'aprés avoir augmenté de 14 % le tarif de la consultation, il hésite à donner un substantiel coup de pouce au SMIC.
Pour le système conventionnel, les retombées sont positives. Les relations entre l'assurance-maladie et les praticiens souffraient de ce que les syndicats représentant la majorité de la profession étaient dans une logique d'opposition. Ils vont pouvoir réintégrer le jeu conventionnel et participer notamment à la mise en place d'un système de maîtrise médicalisée des dépenses de ville, mise en place qui ne sera certainement pas une partie de plaisir. Dans ce domaine, là tout reste à faire.
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