« Victoire absolue », « succès sur toute la ligne », « texte exemplaire », « renouveau » : au matin du 5 juin 2002, à 7 heures précisément, les responsables des syndicats médicaux, les yeux rougis mais le verbe haut, qualifiaient en termes dithyrambiques le protocole d'accord signé au bout de la nuit avec l'assurance-maladie.
Au terme d'une ultime négociation marathon, une page « pleine de fureur et de bruit » venait d'être tournée. Les radios reprenaient l'information en boucle et même les caisses ne boudaient pas leur plaisir. Jean-Marie Spaeth, président de la CNAM, évoquait un « accord historique ». Quant au gouvernement, qui avait donné son feu vert et sa bénédiction bien avant cette nuit décisive (le passage du C à 20 euros, promis par le candidat Chirac pendant la campagne présidentielle, avait été réglé par Matignon), il jubilait, à quelques jours du premier tour des élections législatives. En quinze jours, Jean-Pierre Raffarin et surtout Jean-François Mattei, qui s'était personnellement engagé sur ce dossier, avaient réussi à déminer un conflit dans lequel la gauche s'embourbait depuis des mois, refusant de céder au magistère médical et à la pression des événements.
C à 20 euros (au 1er juillet), V à 30 euros (au 1er octobre, selon un schéma plus complexe), le versant tarifaire de l'accord était à la mesure du malaise des médecins de famille qui s'exprimait depuis novembre 2002 dans un conflit tout aussi « historique ».
L'« affaire du siècle »
Au-delà de l'enveloppe financière, substantielle (1), la philosophie de l'accord du 5 juin était séduisante. Et novatrice. Sur la forme, il s'agissait de reconstruire un système conventionnel moribond avec la participation active des syndicats majoritaires, CSMF en tête. Sur le fond, l'idée-force était de compenser le coût des revalorisations par des économies dégagées grâce à la diffusion de « bonnes pratiques médicales », mais aussi de responsabiliser des patients : essor des prescriptions en génériques et en dénomination commune, réduction des prescriptions d'antibiotiques inutiles, moindre remboursement des visites de confort par une nouvelle tarification, généralisation des accords de bon usage des soins (AcBUS)... En clair, une « optimisation » médicalisée des dépenses. Un pari risqué pour les pouvoirs publics mais motivant pour la profession, désormais associée à la maîtrise et non plus culpabilisée. Les syndicats de généralistes affichaient leur volonté de jouer le jeu en mobilisant leurs troupes. Fait notable : aucune sanction n'était prévue en cas de non-respect des objectifs fixés au niveau national, au demeurant assez flous. Faute de contreparties opposables, quelques esprits chagrins avaient osé contester un « chèque en blanc » donné aux généralistes. A gauche, on dénonçait l'opportunisme électoral du gouvernement, tout en reconnaissant à mots couverts que les socialistes avaient été mauvais sur ce dossier. « Pour les médecins, c'est l'affaire du siècle », lâchait aussi Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française. Mais ces voix critiques eurent une portée limitée. Après tout, l'opinion publique n'avait-elle pas ratifié, sondages à l'appui, les revendications légitimes des généralistes ?
Douche froide
Un an après, le retour sur terre est brutal. « C'est la gueule de bois des lendemains de fête », soupire un responsable syndical signataire de l'accord. Au sein des centrales polycatégorielles, l'enthousiasme de juin 2002 a laissé place au désenchantement, dans la foulée de la rupture des négociations entre les caisses et les spécialistes. Résumant la morosité, le Syndicat des médecins libéraux (SML) comme l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF) s'apprêtent à célébrer « un triste anniversaire ». Celui de la désillusion. Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, a toujours le sens de la formule. « 5 juin 2002, espoir, 5 juin 2003, cauchemar », dit-il (voir page 4). Quant à la Fédération des médecins de France (FMF), qui n'avait pas signé ce fameux accord, elle estime que chaque semaine qui passe conforte son analyse de l'époque. « Il y a un an, dans une ambiance d'euphorie générale, j'ai pris la décision difficile de ne pas signer, seul contre tous, se souvient le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF. J'estimais que ce simple rattrapage sur les honoraires ne réglait strictement rien sur le fond, ni la permanence des soins, ni la télétransmission ni, surtout, la liberté tarifaire puisqu'on avait refusé de parler du secteur II. Aujourd'hui, l'histoire me donne raison. » Hormis MG-France, qui s'accroche à la convention généraliste de 1998 (récemment prorogée) et continuera de l'enrichir, les syndicats médicaux ont rompu le fil du dialogue avec les caisses et attendent la réforme de l'assurance-maladie. Quant au gouvernement, il est contraint de reprendre la main (en publiant un nouveau règlement conventionnel minimal) au moment où sa marge de manuvre est la plus réduite, laissant peu d'espoir aux syndicats de nouveau bousculés par une base inquiète.
Dans une sorte de bégaiement de l'histoire médicale, les coordinations redonnent de la voix. Comme au printemps 2002, les menaces de déconventionnements massifs fleurissent par centaines avec, cette fois, la volonté affichée d'aller au bout du processus. Sur fond de dépassements d'honoraires, les relations entre les médecins et de nombreuses caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM) sont plus crispées que jamais. Un retour à la case départ ? Pour le SML, « les caisses, par leur attitude dogmatique, ont réduit à néant l'espoir du 5 juin » de construire ensemble un système d'optimisation médicalisée des dépenses. L'assurance-maladie renvoie le compliment aux syndicats, taxés de « surenchère » sur la liberté tarifaire. Un an après les retrouvailles en fanfare, le dialogue de sourds.
Succès et vaines promesses
Il serait toutefois injuste de réduire à un sentiment de frustration générale ce premier anniversaire. Dans la foulée de l'accord du 5 juin, le second semestre 2002 a été marqué par une indéniable percée des médicaments génériques, dynamique qui peine à trouver un second souffle, comme le montrent certains propos agacés du ministre de la Santé. L'optimisation des prescriptions d'antibiotiques est également sur les rails grâce à la généralisation progressive des tests de diagnostic rapide de l'angine. En revanche, les nombreux accords de bon usage des soins annoncés (sur la polymédication des personnes âgées, la prescription des psychotropes, les vaccinations, la prise en charge des lombalgies communes...) sont restés lettre morte. Quant au nombre de visites, il a effectivement baissé, parfois de manière spectaculaire, après la réforme de la tarification prévue dans l'accord, à la satisfaction de milliers de médecins de famille qui n'attendaient que ça. Ce nouveau « mode d'emploi » des soins à domicile est d'ailleurs cité par les syndicats comme un modèle de responsabilisation du patient, à imiter dans l'avenir. Un exploit qui n'a pu être réédité pour les consultations, malgré des mois de négociations.
D'autres chantiers ouverts en juin 2002 restent inachevés et en particulier celui, toujours très sensible, de l'organisation des gardes et de la permanence des soins en médecine générale. Il y a un an, après sept mois de crise ponctuée par les journées et ponts « sans toubib », les médecins espéraient sans doute autre chose que le très long feuilleton de la réécriture de l'article 77 du code de déontologie.
(1) En année pleine, l'ensemble des revalorisations représentaient un surcoût global de près de 800 millions d'euros pour la collectivité (dont 100 millions à la charge des mutuelles).
La suite demain et jeudi de notre dossier sur l'accord du 5 juin.
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