PASCAL HAMMEL, gastro-entérologue hospitalo-universitaire, spécialiste des cancers coliques et du pancréas, passe, à 45 ans, une année «de l'autre côté de la perfusion» du fait d'un lymphome. Ecrire une sorte de livre de bord s'est vite imposé comme une évidence à ce père de quatre enfants, médecin passionné, jusqu'alors en bonne santé. Cet ouvrage est la chronique de sa maladie, journal de ses émotions et réflexions sur la médecine en général comme sur les réseaux de prise en charge du cancer en particulier. Dans le but, dit-il, d' «éveiller une conscience critique pour réfléchir à la façon de communiquer au mieux avec les malades». Car le médecin qui tombe malade, «l'arroseur arrosé», connaîtra «en live» tout ce que le malade «lambda» expérimente habituellement : les phases de déni, de colère, le désespoir, la peur, les maladresses comme les délicates attentions de l'entourage, les liens créés avec les soignants, le soulagement apporté par l'accès à des professionnels compétents, l'angoisse générée par les incompétents imprudents, le prix social et financier de la maladie. De cette expérience qu'il nomme «traversée à la rame de mon petit océan personnel», Pascal Hammel tâche de tirer quelques enseignements sur la façon de se comporter avec un ami malade, de garder la juste distance tout en offrant une empathie suffisante, mais aussi d'exercer son métier de médecin.
Des forces insoupçonnées.
Premiers symptômes de la maladie, phases du diagnostic, de l'annonce, traitements, crainte de la récidive, l'auteur détaille toutes les étapes de son parcours jusqu'à la rémission complète et la reprise de son activité professionnelle. Forcément colorée par cette expérience hors normes. Car il faut avoir les nerfs solides, même quand la maladie est derrière, explique-t-il. Du fait de la crainte de la récidive, des séquelles physiques possibles, même si elles sont invisibles, des modifications des liens avec les autres, des souvenirs de cette expérience traumatisante, entre autres. A quoi s'ajoute l'incompréhension ambiante, facteur d'accroissement de l'isolement du «rescapé».
Mais de tels combats ont aussi leurs vertus et aspects positifs, affirme Pascal Hammel. La connaissance de soi et des autres, par exemple : «J'ai découvert des forces intérieures insoupçonnées libérées quand on affronte un danger vital. J'ai bénéficié de la solidarité humaine, j'ai vu les autres se mettre en quatre pour m'aider.» S'il est bien convaincu qu'il n'est pas besoin d'avoir vécu cette expérience de la maladie pour être attentif aux patients, il reconnaît mieux décrypter certaines réactions de ses patients à la lumière de «la dureté des traitements et de la trouille de mourir» qu'il a lui-même vécues. Et est encore un peu plus persuadé qu'auparavant de la nécessité de tout faire pour conserver notre système de soins comme des risques qui le menacent. «L'encombrement progressif de notre système de soins, la forte baisse annoncée de l'offre médicale après 2010 et la difficulté d'entrer en contact avec les équipes médicales expertes vont rendre la vie difficile aux futurs malades», explique t-il. En dehors d'une expérience intime partageable par tous, son propos est également pédagogique et devrait permettre au lecteur de mieux comprendre notre système de soins, ses moyens et ses acteurs.
Une maladie hors normes.
La « Revue des deux mondes » consacre au cancer une partie de son numéro de février 2008 avec des contributions de Patrice Pinell, médecin, sociologue et auteur d'une histoire contre le cancer, d'Orlane Clouet, oncologue médical, d'un médecin du travail spécialiste de l'amiante, Anne-Marie Eugène-Mourre, et d'une patiente, Andrée Janvier. Avec 350 000 nouveaux cas chaque année en France, 15 000 décès, dont 40 % chez des sujets de plus de 65 ans, un nombre de nouveaux cas qui va tripler d'ici 2030 dans le monde, un nombre de décès qui va doubler, le cancer est aussi de plus en plus souvent une maladie chronique, explique Orlane Clouet dans son état des lieux de la maladie et de sa prise en charge en France. La lutte qui lui est opposée est un facteur d'ordre et d'harmonie, «une formidable utopie scientifique», revêtant deux aspects : le désir d'immortalité et le rêve de la paix mondiale, développe Patrice Pinell ; «l'organisation de la lutte contre le cancer rassemblant dans les mêmes élans, espoirs et efforts, des médecins, des scientifiques et des politiques». Une maladie hors normes.
Pr Pascal Hammel, « Guérir et mieux soigner - Un médecin à l'école de sa maladie », Fayard, 300 pages, 18 euros. « Revue des deux mondes », « La condition cancer », février 2008, 190 pages, 11 euros.
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