EMPRUNTANT l'escalier décoré d'une fresque de François Tortosa (22 ans en prison) et d'Isabelle le Gouïc, l'on découvre à l'entresol deux belles salles voûtées, que le bâtiment qui les couvre ne laisse pas deviner. C'est le musée Singer-Polignac, géré par le Centre d'étude de l'expression. Sur les cimaises, portraits au crayon dessinés par René Ernest Bredier, professeur de dessin, lors de son hospitalisation à Sainte-Anne ; gouaches de René Héroult, interné dans Le même hôpital à partir de 1943 ; croquis de « folles » pris sur le vif par le Dr Gachet (dernier médecin de Van Gogh) à la Salpêtrière vers 1860 ; oeuvres de Pujolle, interné à Toulouse à partir de 1926 et dont les aquarelles, souvent commandées par ses psychiatres, furent admirées par les surréalistes ; un travail contemporain d'Isabelle Le Gouïc sur le thème de l'exposition « La couleur des mots, l'écriture dans la peinture ». Cette année encore, le Dr Anne-Marie Dubois, praticien hospitalier et conservateur de la collection Sainte-Anne, a choisi quelques pièces parmi les 70 000 de la collection. «Environ 1200 peuvent être considérées comme des oeuvres d'art», souligne le Dr Dubois, qui est en train d'en publier le catalogue raisonné sous le titre « De l'art des fous à l'oeuvre d'art ».*
Patients artistes.
Le livre raconte aussi l'histoire d'une collection, constituée en 1950 à partir de l'Exposition internationale d'art psychopathologique organisée par les Prs Jean Delay et Robert Volmat dans le cadre du premier congrès mondial de psychiatrie. Il s'agissait de présenter au public les réalisations de « patients artistes » apportées par 17 psychiatres de différents pays. «C'était dans l'air du temps», explique le Dr Dubois. Dès 1900 s'était tenue à Londres, au Bethlem Royal Hospital, la première exposition publique d'oeuvres de malades mentaux. En 1905, le Dr Auguste Marie (1865-1937) avait ouvert à l'asile de Villejuif « le petit musée de la folie ». Le Dr Paul Meunier publiait en 1907, sous le pseudonyme de Marcel Réja, « l'Art chez les fous ». En 1922, l'Allemand Hans Prinzhorn (1886-1933) rédigeait l'« Expression de la folie » tout en enrichissant la collection de la clinique de Heidelberg (5 000 pièces). «À cette époque, poursuit le Dr Dubois, certains psychiatres ont pris conscience de la valeur artistique des oeuvres qu'ils avaient d'abord collectées comme documents cliniques; il y a des mouvements de va-et-vient entre les milieux artistiques et psychiatriques.»
Les surréalistes connaissaient bien Sainte-Anne et les travaux des malades. En 1945, Dubuffet a inventé le concept d'art brut pour regrouper «des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique (…) de sorte que leurs auteurs y tirent tout de leur fonds propre et non pas des poncifs de l'art classique ou de l'art à la mode».
Et en 1946, Sainte-Anne avait organisé avec succès sa première exposition, sobrement intitulée « OEuvres de malades mentaux ». Jean Dubuffet tient sa grande exposition « L'Art brut préféré aux arts culturels » en 1949. Sa collection est aujourd'hui à Lausanne, où un musée d'art brut a été inauguré en 1976.
Quant à la collection initiée à Sainte-Anne avec les dons de l'exposition de 1950, elle comprend un fonds d'oeuvres provenant de collections de psychiatres français et étrangers à partir de la fin du XIXe siècle et un fonds contemporain, avec la production des malades au sein d'ateliers thérapeutiques depuis cinquante ans. Après une interruption, le Dr Anne-Marie Dubois a repris le flambeau tenu jusqu'en 1992 par le Dr Claude Wiart. Le Centre d'étude de l'expression organise plusieurs expositions par an, mettant l'accent sur la nature artistique des oeuvres. Loin du mythe de la folie créatrice dont se sont longtemps bercés à la fois les artistes et les psychiatres. Il y a aussi des artistes chez les fous. Et il faut les reconnaître. Voilà tout. Tout juste peut-on évoquer une collection hospitalière singulière, que l'on peut rattacher parfois à l'art brut, quelquefois à l'art naïf et le plus souvent à des courants artistiques ou culturels de l'histoire de l'art du XXe siècle.
* Éditions Édite, 39 euros le volume. Deux volumes parus.
Exposition « La couleur des mots 2 », du 20 septembre au 26 octobre de 14 h à 19 heures, tous les jours, sauf mardi, hôpital Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, www.ch-sainte-anne.fr, www.centreetudeexpression.com.
Une collection redécouverte
Conservée pendant plus de soixante-dix ans dans les caves du CHS Pierre-Janet, autrefois nommé le Bon-Sauveur, à Albi, la collection du Dr Benjamin Pailhas a été récemment réhabilitée et présentée au public pour la première fois le 28 mars dernier dans le cadre de la politique d'ouverture vers la ville de la fondation Bon-Sauveur-d'Alby. Né à Cestayrols, près d'Albi, le Dr Benjamin Pailhas a été médecin chef du Bon-Sauveur de 1898 à 1930. Il fut parmi les premiers à s'intéresser aux productions artistiques de ses malades et à les collectionner. Il eut notamment Auguste Marie comme collaborateur. Cette collection comprend des sculptures, dessins, broderies, objets et outils créés par au moins 26 malades différents entre 1900 et 1936. Composées de matériaux très simples, toutes les oeuvres ont un caractère spontané, que la fondation n'hésite pas à rattacher à l'art brut.
Collection Benjamin Pailhas, les 20 et 21 septembre, de 10 h à 12 h et de 14 h à 17 h, fondation Bon-Sauveur-d'Alby, salle du Petit Lude, 81000 Albi, Tél. 05.63.48.48.48. La collection est également accessible le 5 décembre et un vendredi par mois sur rendez-vous.
Au programme
Comme chaque année, de nombreux hôpitaux et musées de médecine participent aux Journées du patrimoine. En Alsace, ce sera l'occasion de visiter la collection de 28 000 pièces de l'Institut d'anatomie ainsi que les bâtiments historiques de l'hôpital civil ; à Clermont-Ferrand, l'Hôtel-Dieu dévoile ses sous-sols en collaboration avec le groupe Spéléo Auvergne (réservation nécessaire) ; en Basse-Normandie, visite guidée de la cour d'honneur et de la chapelle du centre psychothérapique de l'Orne à Alençon et du centre hospitalier Mémorial France - États-Unis de Saint-Lô ; à Lille, circuit des hôpitaux en autobus et exposition à l'hôpital Huriet.
À Paris et dans la région parisienne, les hôpitaux Saint-Louis, Lariboisière, la Pitié-Salpêtrière, Saint-Maurice - Esquirol seront ouverts (avec des animations), un moment musical brésilien est organisé par le comité Laennec-Turgot (qui se bat pour l'ouverture au public des parties historiques) devant l'ancien hôpital Laennec le 20 de 15 h à 18 h. À signaler, à Draveil, la reconstitution d'une cuisine hospitalière dans un ancien pavillon de chasse, la villa Kermina, propriété de l'association hospitalière Les Cheminots. Le musée de l'Assistance publique et le musée du Val-de-Grâce seront ouverts.
Programmes complets et horaires sur www.journeesdupatrimoine.culture.fr.
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