En sa qualité d’établissement de santé, l’hôpital a toujours été considéré comme un univers particulier. Souvent l’un des employeurs principaux de son bassin de vie, il participe pour beaucoup dans la vie économique de la cité. Pourtant, son fonctionnement est resté longtemps singulier. À plus d’un titre. Une des illustrations importantes de ce particularisme est la facturation. Jusqu’en 2004, les acteurs publics fonctionnaient sur la base d’une dotation globale de financement (DGF). En vigueur pendant deux décennies, (elle avait libre cours depuis le budget de 1984, N.D.L.R.), elle a généré moult difficultés. Un exemple, elle ne permettait pas de suivre efficacement l’inflation enregistrée dans la consommation médicale. Tout simplement car elle ne prenait pas en compte les évolutions d’activité d’un établissement, d’une année à l’autre. Pour ces raisons, elle a été remplacée par la T2A. Véritable révolution et à ce titre critique à prendre en compte, cette nouvelle approche permet de déterminer les ressources d’un établissement à partir de son activité. Avec en prime des recettes alignées sur une démarche médicalisée de l’activité. En clair, elle offre la possibilité de concilier deux logiques : médicale et économique. Vaste programme qui passe par une maîtrise de l’information et un changement des pratiques quotidiennes. Une mutation culturelle profonde ayant un impact sur les recettes relatives à l’activité réalisée sur la base de trois critères : celles directement liées à l’activité réalisée, celles attribuées pour la permanence des soins et celles des enveloppes pour les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC).
Un répit pour les hôpitaux locaux
Compte tenu de son caractère structurant, la T2A ne pouvait être adoptée en mode big-bang. Une avancée au fil de l’eau a ainsi été retenue pour un remplacement progressif de la DGF : 10 % du budget en 2004 devaient être soumis à la T2A, 25 % en 2005, pour atteindre théoriquement les 100 % au terme du programme, en 2008. Cette évolution s’applique à tous les établissements, hormis les hôpitaux locaux qui, grâce à l’intervention des sénateurs, bénéficient d’un répit. De fait, un amendement à l’article 32 du PLFSS 2010 leur permet de continuer d’être financés sur la base de la DGF. Jusqu’au 1er janvier 2012. Ils obtiennent ainsi un délai qui leur offre l’occasion de se préparer plus tranquillement à la T2A.
Fin de la DGF pour les CHU
Quant aux autres, fini la dotation globale. Au CHU de Nantes, par exemple, les travaux en la matière ont avancé dans le calendrier établi en vue de permettre à l’établissement de prendre en compte les réalités de la T2A dans 10 % de son budget dès 2004. En préalable, comme c’est le cas dans bon nombre d’établissements très peu équipés alors d’outils analytiques et de pilotage de fin des activités, le groupe d’établissements nantais avait décidé d’intégrer une plate-forme logicielle de comptabilité analytique, en l’occurrence SAS ABM. « Cet outil constitue pour nos équipes un support d’analyse des coûts. Il est opérationnel depuis début 2009 et nous a permis de l’exploiter pour l’analyse de notre budget 2008 », explique Éric Manœuvrier, directeur administratif et financier.
Important pour les aspects calculatoires et tout particulièrement pour l’analyse des coûts par séjour (groupe homogène de santé ou GHS), l’outil implémenté vient accompagner une mutation organisationnelle et culturelle en profondeur introduite par la T2A. Tout au long du projet, il a fallu mobiliser, informer et former les collaborateurs sur une nouvelle approche d’analyse des coûts, débouchant sur celle des processus de soins. Dès la première année, 10 % du budget des établissements du CHU du Nantes étaient passés en T2A. En 2008, cette approche a été totalement adoptée, remplaçant du même coup la dotation globale financière. Cela dit, il fallait tenir compte des disparités entre les différents sites. Certains étaient « surdotés », d’autres « sous-dotés ». Face à une telle situation et pour éviter des pertes, « nous avons dû créer un coefficient de convergence pour chaque établissement, selon sa situation. Ces taux de transition persisteront jusqu’en 2012, année de convergence des différents établissements », explique Éric Manœuvrier.
L’adoption de la tarification à l’activité permet au CHU nantais de disposer désormais d’une connaissance fine de ses activités. Grâce à des indicateurs précis et réguliers, il procède à une ventilation des coûts par séjour et d’un compte de résultats par pôle d’activité. Sur cette base, le département de l’information médicale vérifie et valide les données de codage produites par la direction financière ; celles-ci sont alors transférées à l’ARS qui les met à la disposition de la caisse régionale d’assurance maladie (CRAM) pour déclencher les remboursements sur la base des droits de l’assuré. Une procédure assez lourde qui devrait être simplifiée en 2012, avec l’avènement de la tarification au fil de l’eau.
Projet expérimental Fides
En attendant, force est de constater que la T2A a été bien accueillie au sein du groupe, malgré les difficultés incontournables d’un tel projet d’envergure. Illustration de cette grande avancée, les médecins ont désormais intégré les notions d’équilibre entre les recettes et les dépenses. Pour aller plus loin dans de bonnes conditions, le CHU de Nantes a décidé de se porter candidat au projet expérimental Fides, facturation individuelle des établissements de santé. « Nous espérons être retenus dans le cadre de cette phase de tests qui nous permettra d’envisager l’adoption de la nouvelle approche de facturation dans des conditions optimales. Il faut le rappeler, sa prise en compte nécessite une remise à plat complète des processus et de l’organisation », prévient Éric Manœuvrier. Autant dire à quel point elle est critique dans un contexte hospitalier où se multiplient d’autres projets parallèles.
Le fonctionnement opérationnel de la Fides s’est avéré plutôt poussif. Après une première étape moribonde, ce programme expérimental destiné in fine à préparer les hôpitaux publics et privés d’intérêt collectif à la facturation individuelle, est enfin mis sur les rails. Grâce à un double levier : d’un côté la désignation d’un chef de projet en janvier 2010, en l’occurrence, Myriam Reynaud, et de l’autre, la mise sur pied d’un comité de pilotage. La mission de ce dernier est de définir les orientations stratégiques et d’opérer les arbitrages nécessaires. Il est présidé par Jean-Marie Bertrand, secrétaire général des ministères chargés des Affaires sociales.
Une cinquantaine d’établissements concernés
Plus généralement, le projet Fides va mettre à contribution les conclusions du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de décembre 2008. Il permettra de tester en grandeur nature la mise en œuvre d’une facturation directe des consultations et des séjours aux caisses d’assurance maladie par des établissements de soins. Une telle nouvelle approche de facturation permettra de produire des données détaillées et relatives aux prestations de santé des établissements de soins concernés, à l’échelle nationale comme régionale. L’objectif est d’aboutir à une optimisation des dépenses de santé. Autre but affiché : contribuer à limiter la complexité pour l’ensemble des acteurs impliqués : assurés sociaux, établissements de santé, organismes d’assurance maladie et réseau de la DGFIP2. Cette expérimentation impliquera une cinquantaine d’établissements. Elle sera l’occasion de prévoir les conditions d’une meilleure généralisation de la facturation au fil de l’eau. Et d’évaluer les meilleures conditions de mise en œuvre de la facturation et des paiements.
Parmi les établissements qui ont postulé à cette expérimentation, figure également le CH d’Argenteuil. « Nous espérons être retenus parmi les sites pilotes afin d’anticiper la mise en place de la facturation individuelle »,
indique Corinne Chevalier, DIM. Pour cet établissement, la Fides intervient en aval d’un projet de la T2A mené depuis 2004. Comme les autres acteurs, la fin de la DGF a été progressive pour céder définitivement la place à la cible, en 2008. Au cœur de cette mutation, principalement deux services, le département de l’information médicale (DIM) et le service facturation. Le premier calcule les différentes prestations pour chaque séjour d’hospitalisation (GHS, suppléments). Quant au second, il procède à la facturation sur la base de la situation de chaque patient, en tenant compte du niveau et de la qualité de sa couverture (assuré social couvert, non couvert et réglant personnellement ses dépenses maladies, bénéficiant d’une aide médicale, etc.). Actuellement, les deux fichiers produits de part et d’autre font l’objet d’un appariement lors de leur envoi par le DIM à l’ARS. L’arrêté de versement issu du chaînage des données médicales et administratives déclenche le paiement des séjours par l’assurance maladie. La généralisation de la facturation au fil de l’eau mettra fin à cette dualité qui peut parfois être source de lourdeur. Les prestations calculées par le DIM alimenteront la facturation avec une transmission directe à l’assurance maladie. Une collaboration étroite et suivie entre le DIM et la facturation garantira les recettes de l’établissement.
D’ores et déjà inscrite dans les mœurs, la T2A a ouvert la porte à d’autres projets, parmi lesquels l’intégration de nouvelles briques technologiques destinées notamment à la production de tableaux de bord et du reporting. La Fides s’inscrit dans son prolongement en vue de permettre une facturation plus fluide des actes. L’hôpital, malade chronique de ses finances, en a besoin.
2. Direction générale des finances publiques.
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