Bébés
La peau, organe du toucher, a été longtemps considérée comme une simple enveloppe, à peine un organe, la renvoyant ainsi au superficiel par rapport aux autres organes siégeant, eux, dans la profondeur. En fait, la peau est un organe vital assurant de multiples fonctions de survie. Elle est aussi aux avant-postes du sujet, puisqu'elle est liée à la beauté, au plaisir, à la sexualité. Donc, par le toucher, de notre naissance à notre mort, nous nous ouvrons au monde.
La croissance des nouveau-nés de mammifères est perturbée si on interrompt les échanges tactiles avec leur mère ; leur système immunitaire s'affaiblit non seulement après la séparation, mais aussi plus tard, à l'âge adulte. Les expériences de Harlow sont particulièrement éclairantes. Les réactions psychologiques des bébés singes rhésus en présence de mères artificielles différentes, les unes constituées de chiffons doux (les « mères-fourrure ») les autres faites seulement de fils métalliques (les « mères-fil de fer ») révèlent l'attirance des bébés vers les « mères-fourrure ». Si, dans la cage, on introduit un objet étranger, le bébé singe, paniqué, va se réfugier auprès de la « maman-fourrure ». Si dans la cage il n'y a que la « mère-fil de fer », il se blottira dans un coin de la cage sans bouger. Quant au jeune singe qui a pu se réfugier auprès de la « mère-fourrure », il prendra au bout de quelque temps de l'assurance, et il pourra toucher enfin l'objet qui lui faisait si peur.
Quant aux nouveau-nés humains, ces échanges tactiles sont l'occasion d'une communication préverbale qui témoigne de l'amour que la mère porte à son enfant. Le psychanalyste Didier Anzieu écrit cette jolie formule : « Le massage devient message. » La parole naît aussi de ces premiers échanges avec la mère.
L'ethnologue Margaret Mead fait à son tour remarquer combien, lors du bain, moment privilégié pour les échanges tactiles, l'attention des bébés américains est trop souvent distraite de la relation avec la mère par les objets nombreux qui flottent dans la baignoire.
Des échanges tactiles harmonieux précoces permettent à l'enfant de s'individualiser et de s'autonomiser dans une peau bien à lui en se faisant confiance au sein de ses limites.
Caresses
Les caresses assurent dans ces conditions leurs trois fonctions principales : frontière entre le dedans et le dehors, creuset pour les expériences satisfaisantes, communication avec autrui. L'enfant peut alors s'aimer, s'estimer.
Dans certains cas, les échanges tactiles précoces sont perturbés.
Spitz, psychiatre anglais, a décrit en employant le terme d'« hospitalisme » une carence affective entraînant des régressions graves et rapidement irréversibles survenant chez des nourrissons qu'une hospitalisation précoce sépare de leur mère. Ainsi, après une phase réversible de tristesse suivie par une phase de fureur contre la mère, le nourrisson, si les choses perdurent, peut s'enfoncer dans un état parfois létal, marqué par l'indifférence et l'apathie, comme si ce nourrisson avait perdu tout espoir de retrouver les échanges avec sa mère.
Il existe bien un lien entre violence et privation d'échanges tactiles.
Harlow constate que lorsque des bébés singes sont séparés de leur mère, leur taux de dopamine augmente, cette augmentation s'accompagnant toujours d'importantes conduites impulsives et violentes.
Prévention
Quelle peut être alors la prévention de ces perturbations des échanges tactiles ?
Chez les prématurés, en particulier, les équipes de pédiatrie ont favorisé, malgré les difficultés pratiques évidentes, les échanges tactiles entre les parents et le nouveau-né, ce qui a amélioré le pronostic vital pour les plus fragiles. De plus, dans diverses maternités, ont été conçus des lits et des matelas épousant étroitement le corps du bébé. Cette réponse efficace à l'agitation du bébé et à l'angoisse des parents a été imaginée par des soignants à la suite des constatations faites dans le premier trimestre, à savoir que les bébés s'apaisaient par la proximité retrouvée avec l'adulte, mais surtout par la restriction motrice qu'entraîne la prise du bébé dans les bras de l'adulte. Nous retrouvons ici les techniques traditionnelles d'emmaillotement qui elles-mêmes ne font que répéter et prolonger l'enveloppement étroit du bébé par l'utérus dans la période prénatale. Les effets de la non-limitation proposée à l'enfant moderne risquent donc aujourd'hui de nous interroger. Une dernière remarque clinique sur les nourrissons : ceux qui sont atteints de dermite atopique verront cette dernière considérablement améliorée si le traitement local est administré au cours de massages attentifs et prolongés prodigués par les parents.
Sujets âgés
Chez les personnes âgées, souvent seules, peu caressées, peu embrassées, les échanges tactiles tendres leur sont rarement possibles. Le toucher qui est une entrée en contact (parfois agressive), le plus souvent tendre ou érotique et affective, n'existe plus pour elles. Elles n'émeuvent, n'intéressent, n'attendrissent plus personne.
Partage
Par le toucher, l'individu cherche à exprimer, à communiquer, à partager, certes, la tendresse, mais aussi la reconnaissance, la complicité, l'emprise, la séduction, le désir sexuel, le désir de possession, celui de destruction. Le toucher est le seul sens qui peut détruire l'objet que celui qui touche se propose de connaître, d'aimer, de posséder, parfois jusqu'au meurtre.
Parmi tous les mouvements affectifs véhiculés principalement par le toucher, deux d'entre eux, la tendresse et la sexualité, forment les deux courants de l'amour, mais, dans les relations nouées entre adultes et enfants et entre soignants et malades, il existe la crainte d'un débordement, d'une « contamination » du courant tendre par le courant érotique.
L'adolescent d'ailleurs nous rappelle combien ce toucher avec un autre individu n'est pas un acte anodin. Son corps change. Il rejette les caresses des parents qui sont obligés de prendre leurs distances, mais ce corps qui grossit, qui a des boutons, l'occupera des heures dans la salle de bains. Il l'admirera, le « bichonnera » ou, au contraire, le maltraitera, par exemple en excoriant points noirs ou acné.
Il peut avoir honte de ses changements corporels, et il nous faut connaître en tant qu'éducateurs ou médecins cette pudeur exagérée pour en tenir compte dans notre examen clinique.
Soignants
Tous les soignants ont affaire au toucher et à la tendresse. Plus particulièrement les dermatologues et les gynécologues, qui pourraient au fur et à mesure de leur examen expliquer ce qu'ils font, ce qu'ils découvrent au palper d'un dos, d'un pelvis ou d'un sein. Cela mettrait les patients en confiance, lèverait toute ambiguïté éventuelle et permettrait l'obtention de renseignements cliniques et psychiques précieux.
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